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fut leur partie principale, ils revendiquoient toutes les efpèces de plaies & d’ulcères î
& faifoient ufage auffi, dans bien des cas, de la diète & des médicamens.
On fe ferait donc une idée bien faufle de ce qui fe paffoit à cet égard, Toit
chez les Grecs, foit chez les Romains, fi l’on préfumoit que cette divifion
purement fcholaftique de l’art de guérir, eût été rigoureufement adoptée dans
la pratique, ou que les loix enflent jamais obligé ceux qui fe vouoient à l’exercice
de quelqu’une des branches de cet A r t, à s’y renfermer abfolurdent, fans
pouvoir en exercer d’autres. On ne fauroit douter qu’il n’y ait eu alors des
Médecins qui, renonçant au traitement des maladies internes, s’en tenoient à
l’exercice de la Chirurgie; mais que bornés à faire des incifions, à appliquer le
fer & le feu., à réduire les luxations & les fraétures, ils aient abandonné aux
Médecins Pharmaceutes , l’application des médicamens, le foin d’arrêter les
hémorrhagies , de procurer la chute de l’efearre , lorfqu’ils auraient eux-mêmes
appliqué le feu, c’eft ce qu’on ne peut raifonnablement fe perfuac 1er (i). Chacun
fe livrant à la partie de la Médecine qu’il affeâionnoit le plus , ou qu’il entendoit
le mieux, rien n’empêchoit ceux qui ne vouloient pas s’en tenir à une feule, de
les embrafièr toutes. « En effet, dit Celfe, je crois qu’un même homme peut
3)les remplir, mais puifqu’on les a divifées, j’eftime particulièrement celui qui
55 fait le plus. 55
L ’Hiftoire des fiècles fuivans nous montre par-tout les diverfes branches de
la Médecine rapprochées & réunies, comme étant les differentes parties d’une
même Science. On avoit non-feulement des Médecins-Chirurgiens, mais encore
des Médecins - Herniaires , Lithotomijles , Phlébotomijles , Oculijîes ,
Auriculaires, D en tijle s , comme auffi des Médecins-Diététijles , des Pharmaceutiques
, des Herborijles , &c. & tous, au rapport même de Galien,
portoient également le nom de Médecins, d’après le but qu’ils fe propofoient
les uns & les autres. Chacun avoit également le droit de fuivre l’exercice de
la partie à laquelle il s’étoit d’abord appliqué , ou de s’adonner à une
ou à plufieurs autres, fuivant l’efpérance qu’il pouvoir avoir d’y réuffir, Auffi
voyoit-on fouvent tel homme qui, dans fa jeunelfe , avoit exercé la Chirurgie,
l’abandonner dans la vieillefîe, ou lorfque d’autres circonftances l’engageoient
à fe vouer à la Médecine interne. C ’eft ainfi que Galien, Chirurgien à
Pergame, devint Dictétifte à R om e , où les fréquentes ôccafions d’opérer
avoient formé des Chirurgiens qui le furpaflbient peut-être en habileté , comme
il étoit lui-même au-defïus de fes Contemporains, par la fécondité de fon
efprit & l’étendue de fes connoiffances. Les études des Médecins & celles des
Chirurgiens étoient communes ; ils puifoienr la fcience aux mêmes fources ;
l’Elève d’un Médecin diététifte devenoit fouvent un Médecin - Chirurgien,
l’Elève d’un Médecin-Chirurgien devenoit un Médecin diététifte.
Dans l’ancienne E g yp te , au contraire, il y avoit autant de clafles de
(1) Hifloire de la Chirurgie, T. I ,_p. 338.
J r t v ï L l j l j y i l I S A l K t j .
Médecins que l’on avoit obfervé ou imaginé de différentes fortes de maladies ,
parce que perfonne n’entreprenoit d’en guérir de plus d’une efpèce. Les uns
faifoient la Médecine des yeux, d’autres celle de la tête, d’autres celle de la
poitrine, ou du ventre ; chacun s’attachoit à un genre de maladie particulier
interne ou externe. Cette Médecine étoit entre les mains des Prêtres, qui,
dépositaires des traditions fur lefquelles on l’avoit d’abord fondée, s’en arrogèrent
enfuite tout-a-fâit 1 intendance, par 1 obligation qui fut impofée à ceux qui avoient
été atteints de quelque maladie , d’aller faire inferire dans les Temples des Dieux
les procédés curatifs & les remèdes dont ils seraient fervis. Le Temple de
Memphis devint le principal dépôt de ces regiftres Salutaires,. Les Prêtres formèrent
fur ces regiftres un Code Médicinal, dont il n’étoit pas permis d’enfreindre les
loix. C eft d après ce C o d e , qu’ils faifoient regarder comme facré, & qu’ils
attribuoient affermes, ou a quelquautre Divinité, que la Médecine fut exercée
dans la fuite. Si les Médecins, en fuivant ce qu’il prefcrivûit, ne parvenoient
point a la guerifon des malades, ils n’étoient refponfables de rien, au lieu,
quen ne s y conformant point, fi l’événement ne juftifioit pas leur conduite,
us etoient punis de mort. L e pretexte d’une loi fi fevère, _étoit qu’une pratique
confirmée par une longue expérience, & appuyée de l’autorité des plus grands
Maîtres de 1 A r t , etoit préférable à tout ce que pouvoir produire l’expérience
d un petit nombre de particuliers. C e principe'qui, dans certaines limites, peut
paraître fondé, devint pernicieux par l’étendue qu’on lui donna ; la Médecine
étant alors trop peu avancée, cette contrainte, loin d’en accélérer les progrès |
la tint dans une perpétuelle enfance (1). En mêlant la Religion à l’Art de
guérir qu ils exerçoient au nom des Dieux, lès Prêtres s’en affinèrent la poffeffion
cxclufive, & perfonne, à cet égard , ne put leur faire concurrence. — Mais enfin
la Medecine fe débarraffa de ces entraves, & l’on vit s’élever en Egypte, fous
les Ptolomees, des Médecins & des Chirurgiens célèbres.
Vers le onzième fiecle , les Médecins Arabes, prefque tous Courtifans
grands Seigneurs , on afpirans à le devenir, cherchèrent à fe débarraiïer de
quelques fondions^ rebutantes de la Médecine. Il ne tint pas à quelques-uns
dentteux quils netabliffent un ordre de Médecins qui fupportât tout le dégoût
de leur profeffion,^ mais rien de tout cela ne fût exécuté; parce que, tant que
es loix ne s en mêlèrent point, celui qui commençoit par appliquer des ventoufes,
taire des fcarifications, ouvrir la veine, &e. pouvoir finir fa carrière , s’il avoit
du mente, ou de l’intrigue à la Cour des Princes, au comble des dignités, de
Ja faveur & de la confidération. Si quelques Médecins Arabes s’abftinrent
d opérer de la main, les autres ne voyant rien que d’honorable dans l’exercice
de la Chirurgie, continuèrent à cultiver l’Art dans toute fon étendue. Haly
Abbas, Avicenne, Albucafis, furent de vrais Médecins-Chirurgiens, comme
Hippoerate & Galien, ainfi que l’attefte Guy de Chauliac, plus à portée que
A n
(1) Hifloire de la Chirurgie, T . I , p. 61.