
l’ignorance du Chirurgien, ou au defir qui! peut
avoir de s’épargner, de la peine, peut-être même
à celui de faire une opération ; il faut fouvent
plus de fermeté de la part du praticien , & bien
plus de confiance & de réfignation de la part du
malade, qu'on n’en trouve ordinairement, pour
fe foumettre à un remède aufti cruel d une manière
en apparence fi précipitée, & après fi peu
de délibération ; l’emploi de ce moment, cependant
décide fouvent du fort du malade. On ne
fauroit trop le répéter, il faïlt favoir prendre fon
parti de bonne heure , de peur des fymptômes
qui font peut-être prêts à fe manifefter dans une
partie privée à-peu-près de circulation , & qui
vont être bientôt accompagnés de douleur , de
lièvre, d’inflammation violente, dont en peu de
tems la gangrène & la mort feront les confé-
quences. Une^'expérience malheureufemem trop
fréquente, nous apprend que ceci n’eft pas exagéré
, qu’on l’obferve même chez des perfonnes
qui jouiffoient d’une bonne conflitution avant
l’accident, & à plus forte raifon chez les gens que
des pallions immodérées, 1 intempérance, le v in,
les liqueurs ont échauffés , & chez ceux qui font
naturellement plus irritables. # ,
Il faut l’avouer , en fuivant les principes que
nous venons de pofer , il pourra quelquefois
arriver que lJon coupe un membre que 1 on auroit
pu fauver par un autre traitement j mais une
pareille poflibilité^ ne rend pas imprudente ou
blâmable la pratique que nous recommandons j
la queftion fe réduit à favoir fi le plus grand nombre
de ceux qui ont eu le malheur de fe trouver
dans les cirçonftanees ci-deffus marquées y &
auxquels on n’a pas fait 1 Amputation, ne meurent
pas à la fuite de leurs bleflures ? Ou fi
l ’Amputation n’a pas fauvé la vie à plufieurs qui
Fauroient très-probablement perdue li Ion eut
négligé de la faire ? Tous les plus grands praticiens
ne paroiïTent avoir aujourdhui quune opinion
à ce fu je t, & àvec quelque hardieffe qu on
ait avancé que l’Amputation n étoit jamais ^ né-
ceffaire , l’expérience & l’obférvation ne juftifient
que trop la doélrine que nous avons tâché
a établir. .
Lorfqu’on amégligé, ou que I on n a pas^ jugé
convenable de faire de très-bonne heure 1 Amputation
d'un membre dans un état de fracture
compliquée, il furvient des fymptômes inflammatoires
plus ou moins violens, pendant la durée
defquels cette opération efl inadinifiïb.le. Enfuite
il fe fait quelquefois des exfoliations conlîdérables
des o s , & une fuppuration abondante qui affoi-
blit & épui'fe le malade. Cependant quelques
aîarmans que foient ces fymptômes , ils ne font
pas toujours funeftes, & il n’eft pas très-rare de
Voir à leur fuite la fanté fe rétablir , & le membre
qui avoit fouffert reprendre fes fonélions.
Mais tous les malades ne font pas allez heii”
fpux pour que ces aççidens fe terminent chez
eux d’une manière aufti favorable. II arrive quelquefois
que la plaie au lieu de bourgeonner, & de
fe contracter , relie aufti large qu’au commencement
j que fa furface devient blafarde & fpongieufej
quelle rend Une grande quantité de fanie de
mauvaife apparence j que les extrémités des os
fraçaffés au lieu de s’exfolier & de fe réunir ,
relient aufti parfaitement détachés qu’ils l’étoient
dans le principe f que le malade perd 1 appétir,
le fommeil & les forces, & qu’il tombe dans une
fièvre lenre. Quand on voit tous ces fympfômes
fe maintenir , fans que l’on puifle les attribuer
à aucun fragment détaché des os qui foit demeuré
dans la plaie , & quand on a épuifé tous les
moyens propres à les combattre, tels que le parfait
repos de la partie affeèlée , les panfemens
réguliers & répétés aufti fouvent que la plaie
l’exige, l’ufage d’un régime fortifiant , celui du
kinkina & des autres toniques, il n’y a plus que
l’amputation du membre fracafi'é qui puifle fauver
la vie du malade ^ c’eft là ce que nous avons ap-
pellé la fécondé époque où cette opération peut
être néceflaire après une fraélure compliquée.
La troifième époque , ou plutôt le troifième
état d’une fraélure de cette efpèce ou l’amputa-
tation eft indit penfable , c’eft lorfque la gangrène
s*y établit & affeéle les chairs profondément. Nous
traiterons bientôt de cette caufe d’amputation
dans un article à part.
Enfin il y a encore une circonflance qui né-
. ceflite l’amputation dans les cas de fraélure compliquée
, c’eft lorfqu’elles donnent lieu à des
hémorrhagies abondantes qu’on ne peut arrêter par
aucun autre moyen. Ces hémorrhagies viennent
d’une ou de plufieurs artères qui ont été déchirées
par les extrémités des os fraélurés, ou par
quelque autre caufe au moment de l'accident,
Voye[ Hém o rrh ag ie.
§, II. Des cas de plaie avec contujion & déchirement.
Nous avons parlé des plaies avec grand déchirement
& contufion des parties bleffées, fous
le fécond chef des caufes générales d’amputation,
Il eft rare de voir des plaies affez fàcheufes pour
requérir l’amputation du membre , dans aucun
période de leur traitement , lorfque les os de la
partie n?ont pas été fraélurés. Cependant lorsqu'un
membre a été cornus, ou déchiré, au point
d'en détruire tous les principaux yaiffeaux, & de
ne laiffer aucune efpérance que la circulation puifle
s?y entretenir, il faut fur-le champ en confeiller
la féparation , foit que l'os ait fouffert ou non,
Et comme en pareilles circonftances > aucun effort
de la part du Chirurgien ne fauroit conferver
le membre affeélé •, comme auffi les plaies de la
nature de celles dont notas parlons , font plus
fujettes à fe gangrener qu’aucune autre , le plutôt
fera le mieux pour entreprendre l'-opération.
f f 11 p e u t
Il peut arriver aufti dans les cas dont nous
parlons, comme dans ceüx de fraélure compliquée
, que quoique l'Amputation n’ait pas d'abord
paru néceflaire , on foit obligé d’y recourir
enfuite. Tout ce que nous avons dit au paragraphe
précédent, au fujet du fécond période des
fraélures compliquées, s'applique également aux
plaies fans fraélure. Il furvient quelquefois des
hémorrhagies qu'il eft impoffible d’arrêter -, ou
une gangrène qui fait des progrès rapides \ ou
bien la fuppuration peut devenir fi abondante que
le malade fera bienrôt hors d'état de la fupporter.
Tous ces accidens doivent être confidérés comme
rendant l'Amputation abfolument néceflaire.
§. III. Des cas oh un membre a été emporté par
un boulet de canon,
Lorfqu'un membre a été emporté par un boulet
de canon , ou par quelqu'autre caufe s’il en exifte
qui puifle avoir tin pareil effet, il faut ôter avec
lïnftrumeut tranchant l’extrémité du moignon dont
le membre a été féparé.
Ce cas eft un de ceux où bien des Chirurgiens
conteftent la néceffité de l'Amputation -, il3 difent
pour raifon , que le membre étant déjà féparé,
il vaut mieux chercher tout de fuite à cicatrifer
la plaie que d’ajouter aux fouffrances & au danger
que court le malade , en lui faifant fubir cette
opération. Cet argument paroît plaufible , mais
en l'examinant on verra bientôt qu'il n'eft pas
fondé. * /
Dans les plaies de cette efpèce , les os font
ordinairement brifés & réduits en un grand nombre
de fragmens;; les mufcles & les tendons font
coupés inégalement, leurs extrémités font déchirées
& contùfes. Tous les Praticiens conviennent
qu'il faut abfolument ôter les efquilles , & couper
les extrémités des tendons & des mufcles. Or
il eft difficile d exécuter tout icela en aufti peu de
tems qn on en mertroit à faire l'amputation • &
fi Ion fait attention qu’en coupant au-deffus de
la partie quia fouffert, de manière à pouvoir recouvrir
1 os. de chairs. & de peau parfaitement
faities, on diminue l’étendue de la plaie, au point
quelle fe cicatrifera dans le tiers du tems, qui
fans cela, eût été néceflaire pour la fermer -, que
d ailleurs H fe formera une beaucoup meilleure
cicatrice qu on ne poùrroit l’attendre dans l’antre
cas on ne fauroit douter que cette opération n’ait
ici de grands avantagés. On ne peut pas fuppofer
raifonnablement qu’elle ajoute au danger que
court le bleffé j & quand au furcroit de douleur'
qu il en éprouve pour le moment , il en fera
amplement dédommagé par tous les avantages qui
en feront la conféquence. Lors donc que la chofe
au pouvoir du Chirurgien , -il faut qu’il fafle j
i opération fur-le-champ ; car s’il renvoie , il j
ï>0P£fa ^ en arriver, quelque néceflaire quelle I
pmlle être par la fuite, que le malade n’ait plus j
Chirurgie. Tome J.<r Jj» partiç.
affez de courage pour s’y foumettre ; & que ne fe
faifant pas une idée des heureux effets qui en
réfulteront, il préférera de ne rien faire qui tende
à augmenter fes fouffrances aéluelles.
§. IV. Des cas de Gangrène.
La Gangrène eft une autre caufe qui, portée
à un certain^point, rend l'amputation abfolument
néceflaire. Tous les praticiens favent que
quelquefois l’inflammation qui eft la fuite de
1 accident, au lieu de fe terminer par fuppuration
tend à la Gangrène & au fphacèle, dont les progrès
font fouvent fi rapides que le malade périt
en très-peu de rems; c’e ft-là véritablement le
cas où l’amputation auroit dû être faite dès les
premiers inftans. Il arrive aufti quelquefois que
ce mal redoutable eft arrêté par les fecours de
l ’art, mais feulement après avoir totalement dé-
rruit les mufcles voifins, les tendons & les membranes
jufqu’à l’o s , qui demeure à nud lorfqua
les parties gangrénées fe féparenr.
Ceux qui veulent à tout prix s’oppofer à la
pratique de l’amputation, prétendent quelle eft
abfolument inutile dans les cas de Gangrène; car,
difent-ils, lorfqu’elle ne fe manifefte que dans un
léger degré, on peut la guérir; mais lorfqu’eüe
s’étend beaucoup, le malade y fuccombera, foit
que l’on fafle l’opération ou que l'on ne la faffe
pas. — Mais cette manière de voir eft fi directement
contraire aux faits & à l’expérience de
tout praticien impartial, que nous ne ferons aucune
tentative pour la réfuter. Car, quoique l'on
accorde qu’il feroit très - mal à propos de couper
un membre toutes les fois qu’on y. verroit une
légère apparence de Gangrène, quelque condamnable
que fût cette pratique, il n'eft pas moins vrai
que lorfque ce poifon s’eft étendu au point de détruire
toutes les parties, molles d’un membre , ou
feulement d’en infeéler une grande portion, comme
cela ne fe voit que trop fouvent, il, n’exifte point
de. remède qu’on puifle fubftituer à celui-ci ; au
moins nous.n’en connoiflons aucun ; perfonne n’en
a Jamais propofé qui pût avoir la moindre utilité,
& nous n’héfitons pas à conclure que, dans des cas ■
pareils à ceux dont nous avons parlé, l'Amputation
eft abfolument indifpenfable.
Mais quoique cetle doélrine foit affez généralement
admife, les Praticiens ne font pas bien
d'accord rélalivement à l'époque où l’on doit opérer
dans les cas de Gangrène. Quelques-uns prétendent
que tomes les fois que cetre maladie fe préfente,
& fur-tout lorfqu elle-eft l’effet de quelque
violence produite par une caufe extérieure ,
il faùdroit couper le membre auffi-tôt qu’elle a
décidément commencé'à fe former, & pendant j
quelle s’étend. D'autres croyent qu’on ne devroit
jamais entreprendre cette opération jufqu'à ce que
les progrès de la Gangrène foient arrêtés , &