
n’y aura que les connoiffeurs, c’eft-à-dire, ceux qui ont fait une étude plut
ou moins approfondie de la peinture, qui fauronc les apprécier.
Il en eft de l’art de guérir comme de la peinture, il n’y a que celui qui
l’a étudié foigneufement, dans fes principes ôc dans fes details, qui ait des
yeux pour voir, lorfqu'il s’agit de maladies & de moyens de guérifon. Q u ’un
homme fe préfente à l’un de ces Praticiens, qui croient que les foins bien
ou mal-entendus qu’ils onc donné à quelques malades, doivent leur tenir
lieu de fcience, & qu’il le coniulte pour quelqn’affeétion de l’ouïe. Recourez ,
lui dira l’Efculape, aux véficatoires, car l’expérience m’a appris que les^ vé-
ficatoires font un remède fouverain pour les maladies des oreilles. Qu’une
autre perfonne le confulte pour un pareil objet, il confeillera le meme moyen ;
il en fera de même à une troifième, à une quatrième, &c., car, dans le
fait, il ne connoît que ce feul remède pour toutes les maladies de ces organes,
fans fe douter quelles peuvent provenir de différentes caufes; cependant
la furdité peut être occafionnée par une caufe purement mécanique ,
telle que l’obftruéiion du conduit auditif, par la cire durcie & accumulée
fur le tympan; elle peut - dépendre ede 1 inflammation de la membrane interne
du conduit; elle peut tenir à une ulcération,- & même à une carie des organes
de l’oreille interne, elle peut être l’effet d’une paralyfie. des nerfs
acouftiques, &c. _ , .
Suppofons, dans un autre cas, qu’un malade ait fouffert une rétention
d’urine , qui a réfifté à tous les moyens vulgairement employés pour fou-
lager cette affeftion, les douleurs continuent, l’angoiffe eft extrême, le ventre
eft tendu, & peut à peine fupporter le toucher. Le Chirurgien, dans cette
extrémité, eft appelle ; 1 indication eft d introduire la fonde dans la veflie pour
donner ifiue à l’urine. Mais fur ces entrefaites le malade commence a uriner
naturellement, il paroît un peu foulage; les urines coulent encore; 1 évacuation
eft peut-être égale , ou meme plus grande que celle qui auroit lieu dans
l ’état naturel, iL e Praticien, qui en eft témoin , décide que la maladie n’eft
point l’effet' d’une Rétention d’urine, puifque l’excrétion s en fait librement ;
fl oublié que l’extrême diftenfion de la veflie peut aller au point de forcer
l’obftacle qui l’empêehoic de fe vuider, de manière qu’une petite portion de
ion contenu s’échappe, & que le malade urine , comme on dit, par regorgement.
Ne fé faifant pas une jufte ridée de la nature du mal, ce quil pref-
crira dans une autre fuppofition, - fera non-feulement inutile, mais pourra même
aller à contre-fins.' L a veflie cependant perdra de- plus .en plus fa. force con-
traftile , quoique les urines continuent à couler de teins en tems, & la
maladie ne tardera pas à être fuivic des conféquences les plus funeftes. Comme
l’aveugle ne fauroit diftinguer les couleurs, ni le fourd appercevoir l’harmonie
des fonsy de même le ■ Praticien empirique ne fe fait point une idée des
principes morbifiques qu’on ne découvre i que p a r le raifonnement & la
-«flexion;-il ne peur par conféquent écarter les effets d’une caufe qu’il ne
f foupçonne
foupçonne pas, ou s’il y réuflît, ce ne peut être que par hafard; or, que*
eft l’homme fage qui comptera jamais fur le hafard, pour fonder fes fuccès?
On dira que, malgré les recherches les plus profondes, les hommes les
plus éclairés ne font pas toujours affez heureux pour trouver les caufes de
certains phénomènes qu’on obférve dans la pratique , ou que, s’ils viennent
à bouc de les découvrir, ils n’en font pas plus inftruits qu’ils ne l’étoient auparavant
fur les moyens de guérifon. Nous convenons du fait; mais fi, dans
les cas dont il s’agit, les Praticiens les plus inftruits n’ont pas de fuccès ,
ceux qui le font moins, n’en ont furemenc pas davantage. Dans beaucoup
d’autres, au contraire, où les premiers font prefque toujours fûrs de procurer
une guérifon à leurs malades, on voit les derniers marcher en tâtonnant, éc
faire au hafard des tentatives le plus fouvent inutiles; ou s’ils obtiennent quelques
fuccès, ils ne le doivent qu’à un événement fournit, donc ils n’ont pu
calculer les confequences. Au refte, il n’a peut-être jamais exifté d’empirifms
abfolu en Chirurgie, non plus qu’en Médecine; & quelles qu’aient été là-deflus
les prétentions de certaines perfonnes, elles n’ont jamais pu fe pafler tout-
a-faic de théorie, ni écarter tout raifonnement de leur pratique. L e Charlatan
le plus ignorant raifonne, & fouvent il fe donne à cet égard une grande
carrière, mais il raifonne mal. O r , fi les méditations & les recherches de
l’homme le plus inftruit, de celui dont l’entendement a été le plus développé
par une éducation libérale, ne lui font pas toujours atteindre le but qu’il le
propofe, que pourra-t-on attendre du raifonnement de celui dont les. facultés
intellectuelles n’ont peut-être jamais reçu la moindre culture?
Il eft bien moins facile de s’inftruire à fond dans la Science chirurgicale;
que d acquérir de l’habileté à faire des opérations. Les progrès qu’on a faits
dans l’étude de l’Anatomie ont rendu la plupart des opérations fi fimples &c
fi faciles, qu’on a pu craindre que bien des Chirurgiens n’abufaflent de
cette facilité, & ne portalïent à l’excès la manie d’opérer. L a célébrité qu’un
Opérateur adroit & expérimenté ne manque pas d’acquérir, chez des gens
de couc état, a quelque chofe de fi brillant & de fi féduifant, que les Jeunes-
gens qui fe deftinent à la même profelfion, fe kilTent facilement entraîner
à ne confidérer fon talent que fous ce feul point de vue ; ils cherchent à
imiter fa dextérité, & négligent la partie la plus eflènrielle de l’art; ils veulent
voir beaucoup d’opérations , & fouvenc ils fe mettent peu en peine de con-
noîcre à fond les maladies qui les ont rendues néceflaires, ni de fuivre le
traitement qui doit en achever la cure. Les Chirurgiens les plus diftingués
fe font élevés fréquemment contre une conduite aufli déraifonnable. Mais
quoiquils l’aient cenfurée avec force, il eft à craindre que le mal ne foit pas
fitot déraciné. Celui qui ne fait que manier avec dextérité les inftrumens de
Chirurgie ne mérite pas d’être regardé comme un bon Chirurgien.
Celui qui veut acquérir les connoiflances les plus utiles pour la pratique, doic
les chercher dans les Hôpitaux, fous d’habiles Maîcres qui lui enfeio-neront à
Chirurgie. Tome T , l " ‘ Partie. B °