
creufet qu'un peu de terre vitreufe ? il croyoît
déjà avoir été trompé , lorfque l'inconnu lui apprit
qu'il falloit envelopper de cire la matière de
prôje&ion , afin qu'elle ne fût point gâtée pa;
la fumée du plomb. II apprit encore , dans 1(
même entretien , que l'oeuvre pouvoit être faii
en quelques jours, & qu’il n'étoit pas extrêmement
cher. L'alchimifte devoit venir voir U
lendemain Helvétius pour lui montrer la manière
de faire la proje&ion 5 mais il manqua
au rendez - vous. Helvétius , l'ayant attendu
long-temps après l'heure promife, mit, en pré
lence de fa femme 8c de fou fils , fix gros de
plomb dans un creufet j & lorfque ce métal fut
fondu, il y ajouta le petit morceau de piern
enveloppé dans un peu de cire jaune 5 il cou
vrit le creufet de fon couvercle, 8c un quart-
d'heure après, il trouva toute la mafle convertie
en or. Cet or étoit d'un beau vert ; en le coulant
dans un cône, il prit une couleur de fang , &
redevint d’un véritable jaune d'or en réfroidif-
fant. Un orfèvre qui examina d'abord cet or> le
trouva fi pur , qu'il en l'ëftima l'once fort haut.
Povelius, effayeur général des monnoies de Hollande,
ayant enfuite reçu de Helvétius une por-
non de cet or , en traita deux gros.par la quartation
8c l'eau-forte, & les trouva augmentés de* deux
fcrupules, ce qu'il attribua à une portion d'argent
convertie en or par l'abondance de la teinture :
fpupçonnant cependant que l'argent n'en avoit été
qu’i imparfaitement féparé 5 il traita de nouveau
cet or fept fois de fuite avec l'antimoine-, mais
fa quantité ne diminua pas.
Tel eft le récit d'Helvétius lui-même 5 & , puif-
que l'alchimifte de qui il tenoit la matière de
projection n'avoit jamais vu fon laboratoire , 8c
n'avoit point affilie à fon expérience , on ne peut
point foupçonner de fraude de la part de ce dernier.
Il eft également difficile de croire comment
Helvétius fe feroit trompé lui- même : c'eft donc
fur Helvétius que doit fe porter toute l'attention
de l'hiftorien. S'il avoit tu quelques circonftances,
s'il en avoit ajouté de contraires ï la vérité , fa
narration ne feroit plus d'aucun poids pour la
démonftration de l'exiftence de la pierre philofo-
phale. Sa defcription montre bien qu'il avoit un
ardent defir de connoitre l'art du grand oeuvra 5
mais fi elle ne doit point répondre, en quelque
forte , de la probité des autres auteurs qui la
décrivent ou qui en afiurent l'exiftence, on ne
doit pas, d'un autre côté, fans de très-fortes raisons
, accufer perfonne du grand crime de tromper
le monde entier, fur-tout quand i'impoffibilité de
la pierre philofophale n'eft pas démontrée.
Bengardus de Pife raconte à-peu-près comme
Helvétius, un fait qui lui eft arrivé relativement
à la pierre philofophale 5 voici fes propres paroles, j
( Circulas P if xy. ) : « Je rapporterai ce qui m'eft
9 arrivé autrefois, lorfque je doutois fortement
» qu'il fût pofîible de convertir le mercure en or.
Un homme habile, voulant lever môn doute à
cet égard, me donna un gros d'une poudre ,
>>„ dont la couleur étoit affez femblable à celle du
« pavot fauvage, dont l'odeur imitoit celle du fel
” marin calciné 5 8c, pour détruire tout foupçon
« de fraude, j'achetai moi-même le creufet, lé
» charbon 8c le mercure chez plufieurs marchands,
» afin de n'avoir point à craindre qu'il y eût de
«l'or dans aucune de ces matières, ce que les
» charlatans en alchimie font fi louvent. 6ur dix
» gros de mercure, j'ajoutai un peu de poudre,
» j'expofai le tout à un feu aftez fort, 8c en peu
de temps, la maffe fe convertit toute en près de
« dix gros d'or, reconnu pour très-pur par, les
H eftais des divers orfèvres. Si cela ne m'étoit pas
« arrivé fans témoins 8c fans arbitres étrangers ,
» j'aurois pu foupçonner des erreurs & des frau-
» des 3 mais je puis aflurer avec confiance que
»> le fuccès que j'ai obtenu eft très* véritable vi
Van-Helmont dit aufli : je fuis forcé de croire à
la pierre aurifique 8c argentifique, puifqu'il m'eft
arrivé plufieurs fois de faire moi-même la projection
avec un grain de poudre fur plufieurs millièrs
de grains de mercure, & c e la , devant une affem-
blée nombreufe qui en a admiré comme moi le
fuccès 3 dans un autre endroit (de arbore vit a ) il dit
qu'on lui a donné un demi-grain de cette poudre,
qui a converti neuf onces douze gros de mercure. 11 paffe pour confiant que l'empereur Ferdinand ,
en 1648,8c i'éleéleur de Mayence en 1658, ont fait
la projection avec tous les foins & toutes les attentions
convenables pour éloigner .tou tes les craintes
de féduCtion 8c d'erreur , quoiqu'on n'ait point
fuffifamment détaillé ces précautions ( Monconys,
voyages ). Tous ces témoignages font de nature à
ne point laiffer douter de leur vérité. Quant à' la
grande quantité de tranfmutations qui font décrites
dans les ouvrages 8c les hiftoires de l'alchimie, les
unes montrent clairement les tromperies de mat
nière à favoir comment elles ont été faites 3 les autres,
fans prélenter des-traces trèsrvifîbles de l'erreur
, méritent peu de confiance, par plufieurs rai-
fons 8c circonftances qu'elles préfentent. Telle eft,
par exemple, la tranfmutation de fix gros de plomb,
a l'aide d'un gros de la pierre 3 en une mafle d'or
du poids de cent quarante-fept ducats d'or, faite
en 1707 par le général Othon-Arnould Paikull.,
détenu en prifon. Quoique racontée par Urbain
Hiærne , (Sv . magaz. part. 1. pag. 220— 2.37)
il y a dans ce récit plufieurs circonftances qui,
jettent quelques.foupçons fur la vérité de l'expérience.
Si le militaire Hamilton aflure qu'il a
vu employer par Paikull, pour préparer la poudre
néceffaire à la fixation de la teinture , des matières
qu'il avoit employées lui-fr.:ême,,& dans lefquellesil
favoit qu’il n'entroit pas d'or, il dit aufli que Paikull
jetta de fa propre main la poudre teignante, 8c
qu'on ne s'étoit-pas affuré auparavant fi le creufet
ne contenoit pas d'or , ce qui eft arrivé tant de
fois dans des effais pareils, il y a en outré un
doute
doute remarquable fur les. poids des matières.
Accordons- en effet que les fix gros de plomb,
plus le gros de teinture, aient,été convertis entièrement
en o r, le,poids total ou abfolu de cet or
fie devoit pas excéder celui du plomb 8c de la
teinture, 8c cependant, dans le réfultat, il y avoit
plus de vingt fois le poids total de la matière employée
$ ce qui fuppofe une génération , une production
avec rien , ou ce qui eft la même chofe ,
ce qui entraîne une. abfurdité.
Arnauld de Villeneuve pafle pour avoir converti
du fer en or à Rome j Raymond Lulle fit,
dit-on, la même opération à Londres devant le
loi Edouard, 8c on frappa avec cet or des nobles
à la rofe : on dit la même chofe, de L. Thurnei
férus, en 1587, devant Ferdinand premier, grand
duç de Tofcane 3 du Cofmopolite,;en préfence
du duc de Saxe .j de Sendigove , fous les yeux
de l'empereur Rodolphe I I , 8c de plufieurs autres
âlchimiftes, 3 mais les récits 8c les descriptions que
nous pofledons fur toutes ces tranfmutations, ne
portent point le caraCtère de la certitude 5 celle
de Thurneiferus annonce même une, véritable
fourberie. Borrichius, rapporte, à la fin de fon
ouvrage, de or tu. 6* progrejfu chimis. , qu'il a été
fait une projection en Poméranie, devant le roi
Guftave Adolphe , 8c que l'on a frappé des ducats
portant l'empreinte de Mercure 8c de Vénus,
avec l'or qui en eft provenu. Il ajoute qu'un
marchand dé Lubec a donné au même prince
cent livres d'or provenant de. la tranfmutation ,
8c dont on a fabriqué des ducats, avec les caractères
du mercure 8c du foufre : il y avoit, fui-
vant le même auteur, un de ces ducats, en 1634,
à Erford, dans la collection royale des médailles 3
mais on ne doit rien conclure de ce dernier fait,
puifqu'il exifte encpre des monnoies d'Erfprd qui
portent les mêmes lignes ( Groschen). Après
que les Saxons ont eu fait la paix avec l'empereur,
ils n’ont plus laiffé un libre cours à cette monnoîe,
parce que la leur a porté pour empreinte les armes
de Suède.
Ainfi, de toutes les tranfmutations qu'on aflure
avoir été faites , un grand nombre font manifef-
tement l'effet de l'impofture & de la fourberie ; il
en eft beaucoup d'autres incertaines 3 mais aufli il
y en a quelques-unes d'une telle nature qu'il n'eft
pas permis de les révoquer en doute y à moins
°n ne refufe toute confiance aux récits de 1 hiftoire. La plus fé.vère opinion qu'on peut prendre
^ur /sulfite ds ces opérations, c’eft que les
chimiftes qui ont fait les expériences fe font trompés
eux - mêmes , quoiqu’on ne trouve point facilement
la fource de-leurs erreurs , 8c qu'il eft
fage d apres cela de fufpendre fon jugement fur
cette matière, jufqu'à ce qu'il fe préfente l'oc-
eafion d obferver par foi-même une tranfmutation 5
il faut toujours avoir préfente à l'efprit cette af-
fertion d une juftefle remarquable, un fait de phyfî-
que demande bien plus de circonfpeètion pour être
Chimie. Tome II.
cru d’après les témoignages de l'hiftoire, qu'un
fait commun fur lequel tous les hommes peuvent
porter un jugement exaôf, puifqu'il n'exige que
des fens droits 8ç fains.
Bergman termine ces réflexions fur l'alchimie
par une note relative aux expériences du do&euc
Price , qui- ont fait tant de bruit. Il y a plus de
cinq ans, dit-il, que les expériences de Jacques
Price, médecin, 8c de la fociété royale de Londres,
attirèrent tous les regards , 8c relevèrent,
en quelque forte, l'alchimie abandonnée depuis
long-temps par les véritables chimiftes. Ce favant
montroirune poudre rouge 8c une poudre blanche „
qu'il avoit découvertes 8c préparées, 8c qu'il af-,
furoit êtres capables de transformer le mercure
en or 8c en argent. Pour tenir fa promefle il fit
fept expériences devant des perfonnes qu'il y avoit
invitées,, 8c il en publia le réfultat fous les titres
fui vans : an accont o f fome experiments on mercury ,
filver and Gold , made at Guildford in may 1782 irt
the laboratory of James Price bl. D. F. R. S. &c.
Oxford 1782. 4 .— It. London ChroniclexC. 4039,
17- 19. oélob. 1782 , &c. Crells nevejlc Entdeckun-
gcrj. in der chemie th. 8. 1783. p. 275. Comme toute
la poudre qu’il avoit préparée fut employée à cette
expérience, le doéteur Price balançant à recommencer
à caufe de la longueur de l'ennui 8c du
danger même que comportoit fa préparation , fon
expérience ne parut point.concluante. Il eft vrai-
femblable que cet homme, d'ailleurs favant 8c
honnête , n'a été pouffé que par une vanité 8c une
gloire inconfidérée à fe dire inventeur de la pierre
philofophale 5 c'eft au moins ce qui eft indiqué par
fa mort volontaire. Preffé par les difficultés 8c
les objections de fes adversaires, qui le follici-
toient vivement de préparer de fa poudre , 8c de
répéter fes expériences devant des. perfonnes capables
d’en bien juger , il s'empoifonna avec de
l'eau diftillée de laurier-cerife. ( C rell. annal,
de chimie , 1784.)
On voit par l'extrait de l'ouvrage de Bergman,
que cet homme célèbre, fans nier abfolu-
ment la poflibilîté de la tranfmutation , fans révo-r
quer • en doute toutes les opérations qui ont eu
cette tranfmutation pour objet, a fait voir cependant
qu'il y a beaucoup d'équivoques 8c d'incertU
tudes dans l'hiftoire la plus avérée de l'alchimie 8c
des âlchimiftes ; qu'il n'exifte point de fcience ou
d'art qui conduife à la préparation de la pierre
philofophale 5 que fa recherche a été la fource
d’une des plus grandes 8c des plus malheureufes
folies qui ayent agité l'efprit humain 3 que les lumières
de la phyfîque font abfolument nulles pour
l'exercice ae ce prétendu art j qu'aucune des
vérités trouvées jufqu'aéhiellement dans la chimie
ne peut être dirigée vers l'idée de la fabrication
de l'o r , ni de la tranfmutation des métaux corn
nus en or 3 que d’après cela les travaux qu'on
defîreroit d’entreprendre fur cette opération ne
font que des tentatives du bazar d 8c de l'ignorancq S