
Je dis que cette médaille n’a jamais été toute
d’argent , du moins cette partie qui eft or ; que
ce font deux portions de médaille, l’une d’or 8c
l’autre d’argent ,' foudées très-proprement , de
manière que les figures & les cara&ères fe rapportent
fort exadlement ; ce qui n’eft pas -bien
difficile. Voici de quelle manière cela fe fait, ou
plutôt, voici de quelle manière je jouerois ce jeu,
fi je voülois en impofer.
11 faut avoir plufîeurs médailles d’argent fem-
blables, un peu grofiièrement frappées , 8c même
un peu ufées ; on en modèlera quelques-unes en
fable , qif on jettera en or ; il n’eft pas même
snéceffaire qu’elles foient modelées dans un fable
très-fin.
Pour-lors on coupera proprement une portion
d’une des médailles d’argent , 8c une pareille
portion d’une des médailles d’or j après les avoir
appropriées avec la lime, on foudera exactement
la partie d’or avec la partie d’argent, prenant
foin de les bien ajuiter, en forte que les caractères
8c figures fe rapportent , autant qu’il fera
poffible ; 8c s’il y a quelque petit défaut, on le
réparera avec le burin.
La portion de la médaille qui fe trouve en or
ayant été jettée en fable , paroît un peu grenue
& plus groffière que la portion- de la même médaille
qui eft en argent 8c qui a été frappée;
mais on donne ce. défaut comme un effet ou
comme une preuve de la tranfmutation, parce
qu’une certaine quantité d’argent occupant un plus
grand volume qu’une pareille quantité d’o r , le
volume de l’argent fe retire un peu en fe changeant
en o r , 8c laiffe des pores ou des efpaces
qui forment le grenu : outre cela, on a foin de
tenir la partie qui eft en or plus mince que l’ argent
pour garder la vraifemblance, & ne mettre qu’au-
tant d’or à-peu-près qu’il y avoit d’argent.
Outre cette première médaille, on en préparera
une autre de cette façon ;
On prend une médaille d’argent dont on amincit
une moitié, en la limant deffus 8c deffous pour
ne point toucher à l’autre , de forte que la moitié
de la médaille foit çonfervée entière, & qu’il ne
refte de l’autre moitié qu’une lame mince , de
l’épaifteur d’une carte à jouer ; on a une pareille
médaille en or qu’on coupe en deux , 8c dont on
prend la portion dont on a befoin ; on la fcie en |
deux dans fon épaiffeur, & l’on ajufte ces deux
lames d’or de manière qu elles recouvrent la partie
.amincie de la médaille d’argent,-en obfervant que
les figures 8c les caractères fe rapportent : par ce
moyen , on a une médaille entière, moitié argent
& moitié or, dont la portion d’or eft fourrée d’argent.
On préfente cette médaille comme un exemple
d’un argent qui n’eft pas totalement tranfmué en
or, pour n’ avoir pas trempé affez long-temps dans
l’élixir.
On prépare enfin une troifième médaille d’argent,
dont on dore fuperficielîement la moitié
defius 8c deflpus avec l’amalgame de mercure 8c
d’or, 8c l’on fait paffer cette médaille pour un1
argent qui n’a trempé que très-peu de temps dans
l’élixir.
Lorfque l’on veut jouer ce jeu , on blanchit
l’or de ces trois médailles avec un peu de mercure
, en forte qu’elles paroiffent entièrement
d’argent. -Pour tromper encore mieux, celui qui
fe mêle de ce métier , 8c qui doit favoir bien
efcarqoter, préfente trois autres médailles d’argent
toutes femblabîes 8c fans aucune préparation, &
les laiffe examiner à la compagnie qu’il veut trom-'
per : en les reprenant, il leur fubftitue, fans qu’on
s’en apperçoive, les médailles préparées 5 il les
difpofe dans des verres, dans lefquels il verfe
fuffifante quantité de fon précieux éjixir, à la
hauteur qui lui convient; il en retire enfuite fes
médailles dans des temps marqués ; il les .jette
dans le feu ; ils les v laiffe affez de temps pour
exhaler le mercure qui blanchiffoit l’or ; enfin , il
retire du feu ces médailles qui paroiffent moitié
or 8c moitié argent, avec cette différence
qu’en coupant une petite portion de chacune x
dans la partie qui paroit o r , l’une n’eft dorée
qu’à la furface, l’autre eft d’or à l’extérieur 8c
d’argent dans le coeur , 8c la troifième eft d’or
dans toute fa fubfhnce.
La chimie fournit encore à ces prétendus philofo-
phes chi milles des moyens plus fubtils pour tromper.
Telle eft une circonftance particulière que l’on
raconte de l’or d’une de ces prétendues médailles.
rranfmuées, qui eft que cet or ne pefoit guère plus
qu’un égal volume d’argent, - 8c que le grain de
cet or étoit fort gros , peu ferré ou rempli de
beaucoup de pores. Si cela eft vrai dans toutes ces
circonftances comme on l’affine, c’eft encore une
nouvelle impofture qu’il n’eft pas impoffible d’imi-^
ter. On peut introduire dans l’or une matière
beaucoup plus légère que ce métal, qui n’en altérera
point la couleur , 8c qui n’abandonnera
l’or ni dans le départ, ni dans la coupelle. Cette
matière beaucoup moins compacte rendra fon
grain moins ferré 8c fous un même volume., fa
pefanteur beaucoup moindre, félon la quantité
qu’on y aura introduite.
Paffons à d’autres expériences impofantes.
Le mercure chargé d’un peu de zinc , 8c paffé
fur le cuivre rouge, lui laiffe une belle couleur
d’or. Quelques préparations d’arfénic blanchiffent
le cuivre, 8c lui donnent la couleur de l’argent.
Les prétendus philofophes produifent ces opérations
comme des acheminemens à des teintures
qu’ils promettent de perfectionner.
On fait bouillir le mercure avec le vert-de-gris ,
8c il paroît que le mercure fe fixe en partie ; ce
qui n’eft en effet qu’une amalgame de mercure
avec le cuivre, qui étoit contenu dans le verdet.
Ils donnent cette opération comme une véritable
fixation du mercure.
Tout le monde fait préfentement la manière
de changer les clous de cinabre en argent. Cet
artifice eft décrit dans plufieurs livres de chimie ,
c’eft pourquoi je ne le répète {joint ici.
- On donne encore le procède fuivant comme
une tranfmutation du cuivre en argent. On a une
boëte ronde comme uneboëteà favonnette, com-
pofée de deux calottes de cuivre rouge , qui fe
joignent 8c ferment très-jufte. T)n remplit le bas
de" la boëte d’une poudre préparée pour cela. Après avoir fermé la boëte & lutté les jointures,
on la place dans un fourneau avec un feu modéré,
fuffifant pour rougir le fond de la boëte, mais non
pas affez fort pour la fondre on la laiffe quelque
tems dans cet état, après quoi on laiffe éteindre
le feu , & on ouvre la boëte. On trouve la
partie fupérieure de la boëte convertie en partie
en argent. La poudre dont on fe fert en cette oc-
cafion , eft la chaux d’argent précipitée par le fel
marin, ou autrement la lune cornée, qu’on étend
avec -quelque intermède convenable.
Dans cette opération, la lune cornée qui eft
un mélange de l’argent 8c'de l’acide du fel marin
, s’élève facilement au feu, 8c elle fe.fublime
au haut delà boëte de cuivre ; mais comme l’acide
du fel marin s’unitQivec les métaux, 8c les pénètre
très-intimement, 8c comme il a d’ailleurs plus de
rapport avec le cuivre qu’avec l’argent, à mefure
qu’il pénètre le cuivre , au travers des pores duquel
il s’exhale, il en ronge quelques parcelles
qu’il emporte avec lui en l’air , il dépofe en leur
place les particules d’argent qu’il avoit enlevées,
& il compofe ainfi un nouveau deffus de boëte,
partie argent 8c partie cuivrre.
Quelques chimiftes ont avancé qu’il étoit plus
facile de faire de l’or, que de le décompofer ; c’eft
ce qui a engagé quelques-uns de nos prétendus
philofophes à donner certaines opérations pour
de vraies décompofitions de l’or.
• , Ils nous propofent des diffoivans, qui , digérés
avec l’or , en tirent la teinture, 8c laiffent une
portion de l’or qu’ils difent défanimé ou dépouillé
de fon foufre ou de fa teinture , parce
qu’en le fondant, il eft blanc ou d’un jaune pâle,
8c fort aigre. Tel e ft, par exemple , l’efprit de
nitre bézoardique ; mais cette prétendue décom-
pofition de l’or n’eft qu’une illufion. Ce diffolvant
eft quelquefois chargé d’une affez grande quantité
de parties régùlines d’antimoine qu’il a enlevées
avec lui dans la diftillation ; lorfqu’on le fait digérer
fur l’or , il diffout bien à la vérité, quelque
portion d’o r , parce que c’eft une eau régale qui
n’eft pas affez chargée d’antimoine pour ne plus
mordre fur l’or. De-là vient la couleur jaune que
ce diffolvant prend dans cette digeftion. Il dépofe
auffi dans les pores de l’or qui refte fans être dif-
fous, quelque petite portion de régule qu’il tenoit
en diffolution ; ce qui rend cet or pâle 8c même
blanc, quand on vient à le refondre , félon la
quantité des parties antimoniales qui s’y feront
mêlées. Mais cet or que cet efprit tient en diffolution
, n’eft.nullement décompole , comme il eft
aifé de s’en affurer par la précipitation.
11 n’y a pas long-tems qu’on propofa à M . l’abbé
Bignon une autre prétendue deftru&ion de l’or ,
ou une manière de réduire ce métal en une fimple
terre, qu’on ne peut plus refondre en or. Pour
cela on faifoit fondre l’or dans un creufet avec
environ trente, fois autant d’une poudre préparée.
Le tout étant bien fondu , on tiroit la matière
du feu, qu’on laifloit refroidir en une maffe fa-
line. On la lailfoit refondre en liqueur à l'humidité
de là cave, 8c I on paffôit enfuite cette liqueur par
le papier gris, fur lequel il reftoit une poudre
noire , environ du poids de l ’or qui avoit été employé.
Cette poudre rame à toute épreuve, ne
donnoit plus aucune indice d’or , d’où on con-
cluoit que l’or étoit décompofé 8c réduit en fa
terre première.
Nous fumes chargés, M. de Réaumur , M. Le-
mery 8c m oi, d’examiner cette opération, 8c nous
jugeâmes que ce n’étoit pas affez d’obfeiver cette
terre fixe, qu’il falloit encore faire attention à la
liqueur paffée par le filtre où il y avoit toute apparence
qu’on trouveroit l’or , fuppofé que la
poudre dont on s’étoit fervi pour intermède ,
n’en eût pas enlevé une partie pendant la fonte.
Mais ayant bientôt après examiné la poudre
dont on fe fer voit pour cette opération, nous
trouvâmes que c’étoit un compofé de crème de
tartre, de foufre 8c d’un peu de falpêtre.
Nous ne doutâmes plus pour lors que l’or ne
fût paffé dans la liqueur , car ces matières déton-
,nées 8c fondues enfembîe , forment une efpèce
à'képar fulphuris chargé d’or ; il fe réfout en liqueur
rougeâtre, avec laquelle l’or refte entièrement
uni, 8c il paffe avec ce même o r , au travers
du papier gris. La terre fixe qui refte fur le filtre,
eft la cendre que laiffe la crème de tartre après fa
calcination, 8c qu’on nous vouloit donner pour un
or défanimé ou décompofé.
C ’eft avec ces artifices, ou de femblabîes , que
tant de gens ont été trompés.
Il y a même toute apparence que ces fameufes
hiftoires de la tranfmutation des métaux en or ou
en argent, par le moyen de la poudre de projection
, ou des élixirs philosophiques , n’étoient
rien autre chofe que l’effet de quelques fuperche-
ries femblabîes : d’autant, plus que ces prétendus
philofophes n’en laiffent jamais voir qu’une ou
deux épreuves, après lefquelles ils difparoiffent ;
ou bien les procédés pour faire leur poudre ou
leur teinture, après avoir féuffi dans quelques oc-
cafions , ont ceffé d’avoir leur effet , foit parce
que les vaiffeaux qu’on avoit garnis d’or fecrete-
ment, ont été tous employés, pu parce que les
matières qui avoient été chargées d’or , ont été
confommées.
C e qui peut en impofer le plus dans les hiftoires
que l’on raconte de ces prétendus philofophes,