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l'alchimie depuis le dixième jufqu’ aii treizième
fiècle. Dans celui-ci , cette folie étendit rapidement
fon empire » on fait commencer cette efpèce de
renouvellement à Roger Bacon. Ce t homme
extraordinaire , par rétendue de fa fcience & le
nombre de fes découvertes , né en 1214, près
d’Elcefter, dans le comté de Sommerfet, moine
Francifcain, célèbre par fes connoiffanees en
optique , l'invention de la poudre , &c. perfécuté
en 1278 , emprifonné en 1279 , mort en 1292,
après s'être retiré à Oxford, a écrit quelques
traités fort obfcurs fur l'alchimie > il n'en eft pas
moins regardé comme ayant trouvé le fecret de
la pierre philofophale. 11 en .eft de même d'Albert
le grand , & on trouve en effet dans fes ouvrages
plusieurs paffages qui tiennent à la fabrication
de la pierre, & qui femblent annoncer •
qu'il en a eu le fecret. Thomas d'Aquin, élève
du précédent, & auteur d'une diffemtion très-
courte , intitulée Tréfor de Calchimie., n'a pas pu
échapper à cette qualification d'alchimifte i &
d'ailleurs il devoit tenir ce fecret de fon maître
Albert. Alain de Lifte, eft encore un des alchi-
miftes heureux du treizième fiècle : comme on
dit qu'il a vécu jufqu'à plus de cent ans, c'éroit
une conféquence néceflaire qu'il fût préparerTd-
lixir des fages, La réputation de ces alchimiftes;
a été éclipfée par celle d'Arnaud de Villeneuve ,
qui eft poür les adeptes une des principales
lumières de leur art. Celui-ci, qu'on croit né vers
le milieu du treizième fiècle dans une des provinces
méridionales de la France , a beaucoup 1
voyagé > quoique fa principale étude ait été la-
médecine, il s'eft beaucoup adonné à l'alchimie ;
& plufieurs dê fes contemporains, ên le qualifiant
de grand théologien & de favant médecin, ajoutent
qu'il faifoit de l'or très-pur , de qui réfiftoit
à toutes lés épreuves. A en croire Olaiis Borri-
chius, le fecret de la pierre philofophale a été fi
familier à Arnaud de Villeneuve, qu'en 1664 il
dit avoir vu à Avignon un M . Villeneuve Mont-
pefat, arrière-petit-fils du fameux Arnaud , faire
des expériences qui prouvoient que ce fecret lui
avoit été laiffé en héritage. Le témoignage de
Jean André, célèbre jurifconfulte, fon contemporain
, appuie encore cette opinion , en affinant
qu'il favoit faire de l'Or qu’on trouvoit très-bon ,
par tous les moyens connus. 11 a encore, aux
yeux des alchimiftes, un autre mérite, c'eft d'avoir
fait un élèvè fameux. Raymond Lulle, né à
Majorque en 1235, eft un des hommes les plus
Singuliers dont l'hiftoire de l'alchimie faffe mention
: en voyageant de royaume en royaume, de
cour en cour pour prêcher le chriftiamfme , dont
il a été vi&ime , il a , dit-on, compofé cinq cens
ouvrages fùr toutes les connoiffanees humaines,
& fur-tout fur l'aftrologie & l'alchimie: il a fait
croire à fes contemporains, & il étoit peut-être
perfuadé lui-même qu’il favoit faire de l'or.
Arnaud de Villeneuve & Raymond Lulle,
firent naître lë goût de l'alchimie parmi les
hommes de toutes les. clafles : on compte dans
cette lifte le pape Jean XXII qui a poffédé &
décrit l'art tranfmutatoire des métaux, qu'on
s'eft hâté de traduire en françois. Il fe vante ,
au commencement de ce livre , d’avoir fait deux
cens lingots d'or pefant chacun un quintal. Ott
voit qu'il y a eu dans ce genre des impofteurs de
toutes les clafles.
. Jean de Meun eft rangé parmi les alchimiftes,
parce qu'il paroît, par fon roman delà rofe, qu'il
s’eft occupé entr'autres fciences de la philofophie
hermétique : on regarde même ce roman comme
une hiftoire allégorique du grand-oeuvre. Jean de
Meun eft né fur les rives de la Loire, à quelques
lieues-d'Orléans, en 1279, & il eft mort vers
l'an 1365.
Jean de Rupefcifîa ou de la Roquetaillade,
côrdelier, qu'on a mis dans la même lifte , paroît
cependant n'avoir rien fait qui doive le faire placer
dans cette hiftoire.
Nicolas Flamel, né à Pontoife vers- le milieu
du quatorzième fiècle, étoit écrivain à Paris en
1357; il fut en même temps poète, peintre &
alchimifte : mais ce dernier talent ne lui eft venu
que par hafard, & d’un livre qu'il acheta. Comme
de pauvre qu'il étoit il eft devenu allez riche
pour doter des hôpitaux, &c. on a cru qu'il
Favoit faire de l’o r } au refte il en a fait un bon
emploi en fondations, & au foulagement dés
pauvres ; cependant on a jetté quelques doutes fur
la prétendue origine de fa fortune : il dit lui-
même, dans fes ouvrages, que c'eft le 17 Janvièr
1382 qu'il aréufli à la projection , & qu'il a converti
du mercure en argent 3 & le 2 y août fuivant,
du mercure en or.
Dans le même temps Pierre- le - Bon de Lombardie
, le moine Ferrari en italie , C remer „
Jean Dauftini ou Daftin & Richard en Angleterre
, ont pratiqué & écrit fur la philofophie
hermétique. Gremer avoit appris c$ qu'il favoit
dans cette fcience de Raymond Lulle, qu'il alla
trouver exprès en Italie, & qu'il ramena avec
lui à Weftminfter, avec la promefife d'engager
Edouard dans la guerre de religion, qu'il avoit
vainement cherché à fufeiter jufqu'alors contre
les mahométans : le roi d'Angleterre promit, mais
ne tint point fa parole.
Le quinzième fiècle fut beaucoup plus fécond
en artiftes que les précédens. C e fut au commencement
de ce fiècle que parut Bafile Valentin,
un des plus illuftres philofophes hermétiques qui
ait jamais exifté. On a cru, pendant long-temps,
que c'étoit un êtfè imaginaire i mais l'hiftoire véridique
& exaCte de la ville d’Erfort où il étoit
religieux, en fait une mention exprefle. Ses nombreux
ouvrages , écrits en allemand, ont été traduits
en latin & en françois. Les plus eftimés
font les Dou^e Clefs & Y A^oth, ainfi que la Révé*
lation des teintures des métaux. Çet habile artiftô
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9 beaueôup travaillé fur l’antimoine , 8c fon
ouvragej fur cet objet, a donné lieu à plufieurs
commentaires. Quoiqu’il foit plus clair dans fa
logique que ceux qui l’onr précédé , cependant
il faut le lire avec beaucoup d’attention, pour en
pénétrer le fens & ne «pas tomber dans l’erreur.
Les Ifaac , hollandois, père & fils, vécurent
dans le: même fiècle ; ils furent, d’après le fen-
timent de Boërhàave, des artiftes infiniment dif-
tingués. Paràcelfe & Boyle ont répété avec fuccès
beaucoup des opérations qu’ils Ont décrites dans
leurs ouvrages, qui ont été traduits en latin , &
dont l’objet principal étoit le traitement des
métaux.
Bernard Trévifan naquit à Paris en I jo6 : il a
fait lui-même l’hiftoire de fa v ie , & du mauvais
fuccès qu’il a eu en travaillant en alchimie, fur
la foi des philofophes qui l’avoient précédé.
L’ouvraae de Bhazès fut le premier livré' qu’il
lût ; il en répéta, vainement toutes les expé-
riences qui lui coûtèrent huit cens écus. Efpérant
que Geber ferait plus vrai, il s’y livre & perd
plus de deux mille écus. Les mauvais fuccès ne
le décourageoient pas ; il conçut de l’efpérancé
des traités d’ Archelaüs, de Rupeciffa & de Sacra-
bofca, & pour mieux éviter l'erreur ƒ il’ s’affocia
à un religieux, avec lequel il reétifia plus de
trois cens fois le même efprit-de-vin que nul vafe
ne pouvoit contenir tant il étoit expanfibje : cette
opération réitérée lui coûta trois cens écus. Il
travailla infru&ueufement, pendant douze ans, à.
diffoudre , à congeler ou criftallifer, à fublimer
le fel commun & le fel ammoniac, les diflférens
aluns & la couperofe; il tourna aulïi fes regards
fur les excrémens", foit des hommes, foit des
animaux : il dépenfa, à toutes les opérations qu’il
leur fit fubir, environ fix cens écus. Enfin, découragé
par tant de dépenfes.& de temps perdu
pour lu i, il fe mit à prier Dieu avec ferveur pour
qu’il le dirigeât dans la bonne voie. Il recommença
à travailler par le fel marin, qu’il reétifia dix-
huit fois fans lui faire fubir d’altération ce mauvais
réfultat lui fit quitter le travail fur cette
matière , & porter fes vues fur les eaux-fortès ,
dans lefquelles il fit diffoudre, en pure perte,
beaucoup d'argent & de mercure. Ne'voulant
plus s’appefantir fut une feule méthode, dont il
avoir des exemples malheureux , il chercha dans
d’autres fubftances , & les oeufs devinrent l’objet
nouveau de fes recherches : il en fit calciner juf-
qu’aux coquilles, toujours avec le même fuccès.
Lin jour,-ayant entendu dire qu’un certain maître
Henri, confeffeurde Frédéric III, avoir le fecret
de la pierre philofophale, il partit fur-le-champ,
accompagné de quelques perfonnes atteintes de la
même folie, pour le connoître. A force de folli-
citation , de confiance & de promeffe, ils vinrent
à bout de déterminer lë confeffeur à travailler â
frais communs avec eux : ils mirent en expérience
quarante - deux marcs d’argent, qui dea
l e
voient ileuf eiï rapporter au moins cent cinquante,
mais qui finirent , au bout de quelques années,
par difparoître entièrement à force de rectifications
: cette opération coûta encore à Trévifan
deux cens écus. Ces . pertes continuelles le rendirent
fage pendant deux mois, & c'eft beaucoup
pour up homme de cette efpèce: tout-à-coup un
rayon d'èfpérânce renaît dans fon efpric, il fe
remit à parcourir l'Italie, l'Efpagne , la Turquie*
jufqu'à l'Egypte , la Barbarie , Rhodes, la Pa-
leftine-, laPerfe., efpérant recueillir les lumières
des philofophes , en tirer parti pour recouvrer
l'argent qu'il avoit perdu ; mais ce fut en vain,
il ne fit qu'y ajouter la perte de treize mille écus.
Ses propres moyens étoit diffipés > il eut recours
à ceux d’autrui & l'on fen.t que les réfultats en
furent femblables : pour s'en confoler , il fe retira
dans Lille de Rhodes avec le grand rofaire,
Arnaud de Villeneuve , Marie la prophétefle &
la Tourbe , tant il eft vrai que font douces les
illufions qui entretiennent notre folie. Il allure
cependant qu'il a fini par connoître le fecret,
d’après la leCture comparée de tous les auteurs.
Les ouvrages du Trévifan font peu nomj-
breux * on n'en connoît que trois, la Philofophie
naturelle, ou Y OEuvre fecret de la Chimie , la Parole
délai(fée, & une Lettre a Thomas de Boulogne. Il
eft mort en Ï49Ô, âgé de 84 ans.
Les grands ne furent point exempts de la folie
défaire de l’or * le roi Charles VI gagna cette
maladie contagieufe de courtifans qui environ-
noient fon efprit de toutes fortes de preftiges ,
pour aliéner fon royaume & le piller plus à leur
aife.
Dans le même temps exiftoit un autre vifion-
naire ; c’étoit Jean de la Fontaine j il travailla
toute fa vie à la conftruétion des fourneaux & aux
diftillations , fans fortir de fon laboratoire j il
écrivoit tout ce qu'il faifoit en vers françois. 11
naquit à Valenciennes en 1413.
C'eft en vain que quelques perfonnes ont voulu
faire accroire que Jacques-Coeur avoit fait, par
le feçours de l'art hermétique, la fortune immenfe
dont il jouifloit. Elle n'étoit que le réfultat .de
fes infâmes concuflions, de vols & de déprédations
de toutes efpèces 5 ce qui n'a été que trop bien
prouvé pour lui.
Nicolas N or thon , que l'on croit du milieu du
quinzième fiècle, a publié un ouvrage fur J’ai-
chimie, dans lequel il dit, avec un air de fincérité ,
tout cé qu'il fait & peut être ce qu'il ne fait pas.
Michel Mayer l'a donné en latin , fous le titre de
Tripas aureus.
Un homme plus célèbre a été Georges Riplay j
il lut les auteurs les plus en réputation fur la
fcience hermétique 5 mais ne les comprenant point,
il voyagea dans l'efpoir d'apprendre, par la convention
des philofophes eux-mêmes, ce qu'il
n'avoitpu faire dans leurs livres. 11 étoit religieux;
les communautés, dans lefquelles il entra, ne lui