
gain, foit par la vanité d'imiter les opérations de
la nature. Ils favoient faire varier les métaux dans
leurs propriétés j ils efpéroient qu'ils pourroient
auffi en changer la nature & la rendre plus parfaite
par des moyens appropriés. Quoique ce problème
pariit difficile , perfonne ne l'avoit démontré
infoluble , & de nos jours même cette démonstration
n'a pas encore été faite : ce n'eft donc
pas fans efpérance que les chimiftes fe livrèrent
à des travaux innombrables pour arriver à leur
but. Cependant les travaux ont été fuivis fous
de malheureux aufpices , non-feulement à caufe
du défaut de Succès , mais fur-tout parce qu'en
faifant naître un véritable vertige, , ils ont détourné
les penfées des chimiftes de la faine phi-
lofophie } i’efpoir du gain leur a fait tourner tous
leurs efforts vers ce Seul point 5 en forte que s'ils
avoient pu réuflir , ils auroient été de fimples
faifeurs d’o r , & point de favans chimiftes. L'avarice
la plus Sordide 3 la jaloitfie la plus baffe s’emparèrent
bientôt de ces hommes , les rendirent
fombres 3 cachés , myftérieux ; en forte que tous
ceux qui voulurent décrire leur prétendu art employèrent
des figures hiéroglyphiques, des lignes
& un ftyle ridiculement obfcurs & équivoques.
En n’apprenant rien , ils ont eu foin de cacher
l’ignorance la plus profonde fous une enveloppe
dure & grofftère. beaucoup d’entr'eux ont cru
que leur art étoit caché dans la table d'Hermès ;
d'autres l'ont reconnu dans la chaîne d'or d'Homère
5 quelques-uns, avec plus de vraisemblance,
dans la toifon d'or conquife par les Argonautes :
c'eft le Sentiment de Johan d’ Antioche qui vivoit
fous le règne d'Héraclius & de Suidas. On fait
que les anciens défignoient les livres fous le nom
de peaux, Ektarque dit que deux cents mille
volumes donnés à Cléopâtre par Antoine, enlevés
des bibliothèques des Attalus, rois de Per-
game, étoient écrits fur des peaux de bouc. Ces
mêmes maîtres de l'art qui nous occupe, expliquent
comment la connoiffance du grand oeuvre eft parvenue
en Colchide. Strabon rapporte que Séfoftris
a vifité l'Ethiopie , le pays des Troglodytes ,1
l’Arabie & toute l'Afie , & qu'il a couvert de
temples tous ces vaftes pays. Ils font venir delà
les traces très-anciennes de chimie en Chine,
& ils trouvent dans Hérodote, Diodore de Sicile,
Strabon & Marcellin, des preuves que ces peuples
font des reftes des armées de la Colchide. Suivant
eux , ces peuplés y ayant trouvé le cinabre, la
matière du grand oeuvre, y fixèrent leur féjour ;
& , d'après le récit de Plme, ils tirèrent beaucoup
d'or & -d'argent de la terre vierge, qu'ils
y découvrirent auffi ; enfin, ils l'emportèrent
bientôt fur le magnifique Séfoftris, fuivant le même
auteur, par la richeffe de leurs meubles, de leurs
bâtimens de tout genre, & de leurs vêtemens.
Les chefs de ces nouveaux habitans initiés dans
les myftères des Egyptiens, enlevés à leur premier
pays, oublièrent peu-à-peu la loi du füence qu'ils
dévoient coftfetver foigneufement fur la cnimie ;
& s’éloignant des ufages des prêtres égyptiens,
ils inferivirent le grand oeuvre fur la toifon d un
bélier ; mais ils eurent bientôt occalion de s en
repentir, car les Grecs , attirés par ce fecret précieux
, entreprirent l’expédition des Argonautes»
Mais malaré cette hiftoire, affez bien tiffuepour
être vraifèmblable, un mot de Strabon empêche
d’y croire, il rapporte que les ïbériens , voiiïns
des peuples de la Colchide, ayant inventé l’art
d’attacher fur les tiffus de laine lès fragmens d’or
qu’ils recevoient des torrens, ont ainfi ‘ donné
naiffance à la fable de là toifon d’or. C e récit fait
difparoître, ou au moins diminue beaucoup la;
prétendue antiquité de l’art de faire de 1 or. Au
refte, quoique, les mots grecs *{»«» » » i» ou
puiffent lignifier la fabrication de l’or
par l’union de les principes , beaucoup de paffa-
ges des auteurs prouvent qu’ils défignent aufii
fextraction de ce métal de fes propres mines;
c’eft ainfi que, dans la langue latine, le mot aurifex
veut dire l’ouvrier qui fait des vafes-ou des inftru-
mens quelconques avec de l’or. Fabriquer de l’huile
ne fignifie autre chofe que l’extraire des matières
où ella eft toute contenue.. S’il en faut croire
Suidas, le troifième fîècle a vu périr beaucoup
de monumens qui appartenoient a cet art. Six
cents ans avant lui, Paul Orofius, prêtre efpagnoly
avoit affuré la même chofe. Dioclétien, dit-on,
pour punir les Egyptiens qui s’étoient révoltés
contre lui , livra aux flammes tous leurs livres
fur la chimie de l’ or & de l'argent, afin'qu’ ils ne
puffent plus s'enrichir & réfifter aux armes des
Romains. Sans ajouter foi à ce rédt, il eft certain,
que le mót chimie , après avoir été.employé pour
défigner une connoiffance quelconque fur la natùre
des corps, a lignifié enfuite la fabrication de 1 or
& de l’argent ; quelle a été nommée auffi an
d é fi, art divin, & enfin, par l’effet, d’une opinion
infenfée , alchimie , ou chimie par excellence. Ç ’eft
dans les ouvrages de Julius Firmicus Maternus,
qui vivoit vers le quatrième fiècle, que fe trouve
pour la première fois le mot alchimie , employé
. cependant comme un nom tres-connu. Ea phrafe
où il en eft queftion refpire la folie aftrologique :
fi c'eft, dit-il, la maîfon de Mercure, elle donne
lafironomie ; celle de Vénus annonce les chants & la
joie ,■ celle de Mars les armes , & tous les inftrumens
guerriers ; celle de Jupiter, le culte divin & la fcience
des loix ; celle de Saturne, la fcience de l‘alchimie.
Ge mot eft peu en ufage dans les auteurs^ jufqu’au
neuvième fiècle ; depuis cette époque, il s’y trouve
très-fréquemment. 11 eft très-remarquable que
dansjes paflages cités de Suidas, de Johan d Antioche
8c de Gédrénus, le mot alchimie n’eft
pas prononcé, mais celui de chimie, p-spiius , 8c
cependant ces deux mots avoient dès-lors une
lignification très-différente.
Proclus Lycius loue les Egyptiens de ce qu ils
inferivoient leurs découvertes fur des colonnes
f:
( Couvrit, i . in tintao ) ; Galien & Jamblichus affu-
rent la même chofe , en ajoutant ^qu® chaque
découverte approuvée par les pretres , étoit
gravée dans leurs temples. Diodore dit que les
prêtres confervèrent les livres les plus fecrets,
que Clément d'Alexandrie croit être ceux d'Hermès.
Ces colonnes d'Hermès contenoient toutes
les fciences, & fur-tout l'alchimie, fans parler de
ceux de médecine, d'aftrologie, de religion, dont
les anciens hiftoriens, dans chaque partie, vantent
beaucoup le mérite ; mais toutes ces affertions font
au moins aufli obfcures & auffi douteufes que
l ’exiftence de manuferits hermétiques confervés
encore aujourd'hui dans les bibliothèques. Albert-
le-Grand afture qu'Alexandre a trouvé dans fes
voyages le tombeau d'Hermès, avec fes ouvrages
inferits fur des tables de pierre ; ces tables ,
inconnues aux Grecs, & indiquées par les Arabes,
contenoient les fecrets les plus cachés des arts
& des fciences. On en a extrait fur - tout une
defeription phénicienne des fecrets d’ Elermès Trif-
mégifte, qui contient treize propofitions affez
courtes, obfcures comme tout ce qui tient au
langage alchimique, & dans lefquelles on a trouvé
le fecret de la pierre philofophale. Il feroit fuperflu
de rapporter ici ces propofitions., qui ont été
traduites en latin par Kriegfmann, & qu'on trouvera
dans Bergman. Schroder afture que cette table
autographe exifte à Turin , Augiifii Taurino-
rum. Kircher nous apprend que Bernhard Canifius
eft le premier qui ait fait connoître cet ouvrage
ancien, & qu'il contient la théorie du grand
ceuvre, nommé auffi, comme on fait, élixir de
v ie , or potable, quinteffence, &c. En effe t,
Kriegfmann y a trouvé, en iéyy , l'explication
du mercure des philofophes ; & G. Dornæus y a
vu la médecine fpagyrique univerfelle.
Quant aux autres ouvrages égyptiens fur l'alchimie
i on compte dans Uterdre, l'opufcule d'Jfis
adreffé à fon fils Horus ; la chimie d'Horus ,
HorI chemica ; les traités du prêtre Comarus ou
Comanus , maître de Cléopâtre dans l'art philosophai;
les ouvrages de Cléopâtre elle-même fur
la confection de l'or, fur les poids & les mefures.j
mais Léon Allatius & Borrichius les regardent avec
raifon comme apocryphes ; ils font manifeftement
dus à des hommes qui ont emprunté les noms
| de perfonnages fameux pour attirer la confiance
de leurs le&eurs. 11 paroît, malgré les obfcurités
qu'on a attribuées aux Egyptiens, relativement
au grand oeuvre, dont on les a cru poffefféurs,
que ces peuples étoient très-avancés aans'la connoiffance
de la nature & dans la pratique des arts,
mais qu'au milieu des foibles rêftes qu'on nous
en a confervés, & des myftères alchimiques qu'on
leur a prêtés, nous avons véritablement "perdu
l'enfemble de leur théorie & de leur fcience.
Les Grecs, inftruits par Cadmus, ont cultivé
plufieurs fciences ; mais ils ne paroiffent pas
avoir beaucoup contribué aux progrès de la philofophie
naturelle. Ceux qui s'en font occupés,
& que les alchimiftes comptent parmi leurs auteurs
, ont été puifer leurs connoiffances ea
Egypte. Suivant Diodore , Orphée , Mufæus ,
Melampe, Doedale, Homère, Platon, Pytha-
gore, Ludoxe, Démocrite d’Abdère, ont voyagé
chez les Egyptiens , & reçu d’eux les fecrets de
l'alchimie^ Platon & Eudoxe, dit-il, ont vécu
treize ans avec les prêtres égyptiens, qui leur
ont communiqué la fcience des chofes céleftes,
& tous les fecrets des arts ; ils ont appris à lire
une partie de ces fecrets fur les colonnes qui les re-
céloient; mais ils en ont rapporté en même-temps
dans leur pays l'efprit myfterieux & le ftyle hiéroglyphique
, qui ont empêché les lumières de ces
| arts de fe répandre en Grèce. C'eft ainfi que la
fe&e d'Alexandrie, née chez les Grecs, vers le
feptième fiècle, couvrit la chimie d’énigmes , de
métaphores, de paraboles , de formules platoniques
& cabaliftiques ; le peu de lumières que ces
peuples poflédoient furent beaucoup affoiblies
quand ils pafsèrent fous le joug des Romains , &
s'éteignirent entièrement lors de leur conquête
par les Sarrazins. C'eft par la connoiffance que les
Grecs ont paru avoir de plufieurs mines , par celles
de Thaze., dans la mer Egée, d'où ils favoient
extraire de l'o r , par la fabrication des trois fameux
métaux de Corinthe, l'un imitant l'or, l'autre
l'argent & le troifième tenant pour-ainfi-
dire le milieu ; c'eft par l'emploi du cinabre ,
qui portoit alors le nom de minium ; c'eft par
l'ille de Chypre., qu'on dit avoir donné fon nom
au cuivre; c'eft, enfin, par tousJes détails contenus
dans Homère, fur la fufion, la purification ,
la foudüre , l ’alliage des métaux, que les hifto-
riens de l'alchimie ont attribué aux Grecs le fecret
de la pierre philofophale. La feulj hiftoire du
coloffe de Rhodes ,■ de.cent dix pieds de hauteur,
qui a rendu iî célèbre Charès, fon auteur , dont
la fabrication a duré douze ans , & a coûté trois
cents talens, dont les fragmens, après qu'il eût
.été renverfé par un tremblement de terre, char-
gèrenthuit cents chameaux , de huit cents livres
chacun ; cette hiftoire, dis-je , fait voir au moins
que l'art du fondeur étoit très-avancé en Grèce ;
Sc l'on fait combien l'étoient aufli l'art de la
fculpture, celui de la gravure en pierres dures,
& cj ; mais tout cela ne prouve pas plus que les
monumens des Egyptiens 3 que l'alchimie ait véritablement
exifté chez les Grecs, il faut, à la
vérité , en chercher encore la trace dans l'hiftoire
fte quelques Grecs fameux, que les alchimiftes
ont revendiqués parmi eux. On attribue* à
Orphée des hymnes & un livre original fur les
pierres xlèvv 3 dans lequel étoient expofées
la nature cachée & les propriétés de ces corps ,
pour les facrifices, & pour fléçhir la colère des
dieux ; il y eft , dit - o n , traité du criftal, de
l’agate , du jafpe , de la topaze, de l'opale , de
, l'aimant,, du jayet, &c. On juge bien qu'avec