
d’un courage égal à fon ambition, ils fe crurent 1
autant de héros, & ne doutèrent plus qu’ils ne puf-
fent ailément chaffer les génois de leur île. C’eft
un grand talent que celui de favoir perfuader à
un peuple qu’il vaut quelque chofe : Paoli l’avoit
ce talent, & s’en fe ryit, parce qu’il n’ignoroit pas
combien la préfomption qu’on vaincra, donne d’audace
& facilite la vi&oire. Toutes fes vues eurent
pour objet d’éloigner des Corfes l’idée de fe fou-
mettre à une puiffanee étrangère quelconque , &
de fe les aflùjétir doucement. Ils fembloient aux
yeux des fpéculateurs éloignés & mal inftruits, un
peuple de héros armé pour défendre la liberté
qu’il idolâtre ; mais, vus de près, le tableau chan-
geoin, ce n’étoit plus qu’une multitude trompée,
qui ne combattoit que pour changer de maître';
le nouveau qu elle s’étoit donné, étoit un enchanteur
dont tout le fecret confifioit à lui faire
croire que fes ordres particuliers n’étoient que
l’expreffion de la volonté générale , & il domi-
noit cette nation, comme la maréchale d’Ancre
dominoit la reine régente Marie de Médicis, par
le pouvoir qu’ont les âmes fortes fur les efprits
foibles. Général d’une nation touîe*guernère, on n’a
jamais vu.P*2b/i donner à la tête de fes patriotes, il
faut que le charme de fes talens eût bien fafciaé la
vue des Corfes-, pour que le défaut de courage
dont on pou voit le foupçonner, ou l’excès de prudence
qu’on lui pouvoit reprocher, ne l’aie pas per- ;
du dans leur efprit ; V il n’cft.pas effemiellement
du devoir d’un roi de fe montrer à la tête de fes
armées, on peut croire que c’eft pour un chef
de parti une obligation indifpenfable. Que réfulta-
t-il d e cette difpofition de l’âme de Paoli ? qu’il
fut forcé d’employer fouvent des gens atroces ,
des fcélérats fanguinaires, mais intrépides , qui le ’
fervoient bien, & dont il n’ofoit punir les excès
quand ils l’a voient mérité. Né enfin pour briller
plus dans le cabinet que dans les caaips , fa gloire
femble appartenir davantage à fon efprit qu’à fon
coeur.
La paix étoit donc le temps oit il devoit fe montrer
dans fon plus beau jour. Auffi lorfque les
François, en venant garder les places Génoifes eu
17 6 4 , la donnèrent à l’îlé en profita-t-il pour
créer des établifTemens utiles , pour augmenter le
bonheur des Corfes, donner une forme fixe à leur
gouvernement & confolider. fa propre puiflance.
O n vit s’élever par fes foins une univerfité dans
un pays où toute fcience étoit inconnue ; une
marine fut créée , le commerce encouragé & protégé;
un Ju if demande d’être naturâlifé ; malgré
la fuperflition corfe & l’intolérance romaine , il
lui fut permis de jouir de tous les droits de citoyen.
Les loix > le gouvernement , la police,
i’introduétion des arts, l’encouragement de l’agriculture
, la civiliiatjon enfin furent les objets
dont il s’occupa pendant les loifirs de la paix.
Cette nation rendue barbare par quarante années
de guerres inteffines, & par l’horrible misère dans
laquelle l’a voient plongée, comme de concert, fa
parefle naturelle & l’extrême avarice des Génois *
parut s’étonner elle-même de la tranquillité & du
bonheur dont elle jo; it durant quelques années*
Cependant tout étoit l’ouvrage d’un feul homme
il travailloit pour lui, dira-t-on: eh 1 qu’importe ,
s’il n’en faifoit pas moins le bien, de fa patrie ?
Sous le prétexté fpêeieux de rémedier aux dé-
fordres qui régnoient chez un peuple fans frein »
Paoli fe fit accorder le pouvoir le plus étendu ; il
devint dans le fait prèfqiie deCpote, malgré la con-
fulte qui ne confervoit à la nation que l’apparence
trompeiïfe de la liberté. On ^accoutume fi
aifément à commander, il eft fi doux de fe faire
obéir, & tout pouvoir tend fi naturellement à s’accroître,
qu’il eft pour le moins douteux que le général
des Corfgs leur eût remis la puiflance qu’il
avoit eu l’adrefle d’acquérir. Au rëfte' l’état d’à-
narchîe où vivoit^ce peuple, le forçoit d’eri accorder
une préfque illimitée à fon chef , & obli-
geoit celui-ci à ne s’en défaifir que graduellement»
& peu-à-peu ; mais fi fa conduite eût été d’accord
avec fes principes, on en peut conjeéhirer que
difficilement il auroit renoncé à tant d’autorité*
L’amour propre, l’ambition & , fi l’on veut, l’amour
de fon pays & de fa liberté, ou plutôt le résultat
du mélange de tous ces fentimens y fe précipitèrent
dans la guerre qu’il foutint contre laFrance »
& fans entrer dans les motifs qui l’ont déterminé
à l ?entreprendre, ibeft toujours très-glorieux pour
Paoli, {impie particulier, d’avoir forcé la première:
puiflance de l’europe de s’armer contre hii. Il s’eft
plaint que durant cette guerre tout lé monde l’avoit
trompé ou abandonné ; au lieu de s’ën plaindre
il falloir le prévoir ; quoi qu’il en foit, ce repro--
che qu’il faifoit aux Corfes ri’eft pas fans fondement.
Le trône qu’il avoit fait élever dans fon
palais?, & fur lequel il s’étoit afiis, avoit deffillé les
yeux d’un grand nombre ; fon argent même’ lut
enlevoit fes partifans. Ceux qu’il fbudoÿoit en
ayant arnaflé une certaine quantité , lui manquèrent
quand ils le virent hors d’état dè les punir
de leur infidélité. Paoli auroit mérité la recon-
noiflance éternelle de fa patrie , fi , préférant fes
avantages aux fiens propres, & le plaifir de la
voir beureufe à la gloire d’y dominer , il eût fait
l’honorable capitulation qu'il étoit en droit ds
demander pour elle après avoir enlevé Borgo aux
François, en 1768 ; mais ou cette conquête même
l’enrvra en lui perfuadant qu’il leur pouvoit ré-
fifter, ou la crainte d’être puni comme un traître
s’il traitoit avec les ennemis des- Corfes , par les
enthoufiafles dont il avoit lui-même exalté l’imagination
, l’empêchèrent d’exécuter ce projet &
peut-être même d’y fonger.
Paoli déconcerté par tous les événemens de la
campagne de 1769 , après avoir vu devenir inutiles
les belles difpofitions de défenfe qu’il avoit
faites à Couverture de cette campagne , fembla
ne plus fonger qu’à fa retraite. Il alloit de porte
çn porte , y doflôoit fes ordres &gagnoît toujours
les derrières ; il s’eft enfin , je ne dirai pas retiré,
mais enfui jufqu’à Porto-Vecchio, où il s’embarqua
fuivi de 170 ('orfes , le 13 juin 17 6 9 , fur.
un bâtiment anglois qui l’y attendoit posr lexon-
duire d’abord à Livourne & en fui te à Lonorps,,
ou il a fixé fa demeure & où il vit encore. Les
François pouvoient le prendre à Porto-Vecchio,
ils ne l’ont pas voulu par une politique qu’on a
peine à concevoir.
Ceux qui croyent découvrir le caraélère1 des
hommes dans leurs moindres a&ions,ont- remarq«é
que Paoli., pour careffer le- peuple & s’attacher là
multitude , propofa un jour de mettre tous les
biens de l’île en commun , ou au moins d’en faire1
entre tous les Corfes un partage égal. Ce projet
étoit abfufde, & mis en exécution , il ne pourroir-
que faire croupir une nation dans la barbarie Scia
pauvreté ; mais quoiqu’abfurde, la propofition
faifoit fon e ffet, elle plaifoît au peuple, lui
rendoit Paoli plus cher, c’eff tout cê qu-’il en attendoit
, il n?ignoroit pas quélie R’étoit ni avan-
tageufe , ni faite pour être acceptée.
On fe fouvient encore que dans un de fes voyages
au-delà des monts, en- partant de Santà-Maria
é Omans , les gens de ce lieu le voyant monter a
cheval , crièrent viva il ré t vive* le- roi. Paoli ne
les loua ni ne Icsbisma. Quelques-uns de fes cour-
tifans, moins tolérans que lai, reprirent fort aigrement
les crieurs, qui- firent- fûremeut plus- leur
cour à leur général , que les cenfeurs' de fon
cortège..
Les admirateurs-outrés*de Paoli prétendent qu’il
ne manque à fa gloire que d’être mort les' armes
? la main ; qu’ils; daignent fuivre fa conduite , ils
verront qu’il n’a pas voulu laiffer de doute fur
fes. fentimens. Il sert-préféré à fa patrie, rien n’ert
plus clair ; & ceux qui favent combien il exirte
malheureufement peu de héros, &, qui connoif-
fent le coeur humain, trouveront la conduite de
P 'agi très-naturelle & trés-conféquente. Pourquoi
fe feroit-il facrifié à fa patrie , quand, la moitié
de fes compatriotes le trahiffeit,, & le livroit à fes ,
ennemis ? il a cru qu’il valoit mieux jouir à Londres
des fruits des foins qu’il avoit pris de la
Corfe , de la fortune qu’il avoit fu s’y ménager,
& attendre en paix les événemens, que de fè fouf-
traire à la faculté d’en profiter. Sa gloire éternelle
fera di’avoir délivré la Corfe du joug odieux des
Génois , & de l’avoir mieux gouvernée qu’aucun
des chefs qui l’avoient précédé. ( M, d e P om-
M EREU L. )
PAO LO, ( F r a ) (Poye^ F r a -Pa o lo .)
P AO LU C C IO ( Pa u l -L u c A n a f e s t e ; ) (Hiß.
deVenife ) premier doge ou duc de Venife , élu.en
6 9 7 , mort en 7,17. Cette république avoit d’abord
été gouvernée pendant deux cents ans par des
tribuns annuels & éle&ifs. Paoluccio fut le premier
doge , & il eut au.ffi pour fuccefleurs deux doges ; ,
l.e gouvernement de la république fut en fuite donné
à des généraux d’armée , dont le pouvoir ne
duroit qu’un an ; comme autrefois celui des con-
1 fuis à Rome ; mais fix ans après on reprit l’ufage
des doges, ’qui fubfiffe ençbre.
PAOPHÎ, ( chronol. égypt. ) c’eff le fécond
mois de l’année égyptienne. Il commence le iS
■ feptembre de ,1a période julienne. ( D . J . )
PAOUAÖUCI, ( Hiß. mod. fuperflition) c’eff
j le. nom que. les habitans fauvages de la Virginie
; donnent à leurs enchantemens ou conjurations,
I au moyen dcfquels quelques européens même
; ont été i allez fimples pour croire que leur si de-
; vins pouvoient faire paraître des nuages & faire
tomber de la pluie. ( A . R .)
P A P
P A P E , ( G u i )f (foye^ G u i - P a p e . )
PAPEBROCHi ( D a n i e l ) ( Hiß, litt. mod.\
Jéfuite d'Anvers % célèbre bollandifie , affocié aux
travaux des pères Böllandus & Henfphenius fur
les aâes des faints. Il eut une grande querelle
avec les Carmes , dont il n’âvoit fixé l’origine
qu’au dgrizième fiècle, & auxquels il n’avoit donné
que Berthold pour premier* général. Les Carmes
réclamèrent Elie pour fondateur, & le Mont-
Carmel pour berceau de leur ordre ;& pour preuve
ils fe nomment Carmes & portent encore le manteau
d’Elie. L’inquifition d’efpagne ne manqua pas
d’anathématifer par un décret ïolenifiel de 1 année
1695 , les volumes de Papobroch où fe trouvoit ce
blafphême contre les carmes.;Cependant le P. P a -
pebroch, dont la contribution perfonnelle dans les
aâes des Saints , n’eft que dé quarante-fept volumes
in-folio , répondit fuccinjélement aux Carmes
par une brochiirede quatre volumes in-40. après
quoi le pape défendit décrire, foit pour, . foit conri
tre la defeendançe d’Elie & d’Elifée..Effééfivement
oh pouvoit en avoir aflez fur ce fujet. Les frères
de la Charité eurent auffi quelque velléité de ne
s’en pas tenir à leur faint Jean-de-Dieu, mais de
defeendre direélementd’Abraham,& d’avoir autrefois
exercé leurs fondions dans la vallée de Mara-
bré.; mais un, ridicule ne put pas prendre fur un
ordre fi refpe&drie &- fi utile, voué au foû.lage-
ment des maux de l’humanité; les carmes, reftè-
rent chargés du Mont Carmel, & du manteau
d’Elie à eux tranfmis par Elifée. ( Voye^ à l’article
La n g u e t ) la .plaifanterie que leur fit le curé de
faint SuIplce fur la différence de l’ancien & du
nouveau^ Teffament. 11 faut pourtant convenir
que les gens inflr.uits de cet ordre, abandon fient
cette origine du Mont-Carmel, & que le pere
Elifée , par exemple , cet efprit fi fage, cet orateur
fi éloquent» ce religieux fi déce.n,t, ne. fe. c rc }v it
p^s d^ciple .du-prophète Elifée. Le P. Papelrock
jouit d’une aflez grande^ réputation parmi, lescooar
' v 2 '■