
opération ; car le trop de froid ou de chaud, pour
petit qu’il foit, la fait manquer.
Malgré toute la vigilance & l’induflrie du directeur
, il «ne fe peut faire que dans ce grand
nombre d’oeufs entaffés les uns fur les autres dans
le fourneau, il n’y en ait plufieurs qui ne viennent
pas à bien ; mais l’habile directeur fait profiter de
fa perte , car alors il ramaffe les jaunes d’oeufs
inutiles, & en nourrit plufieurs centaines de poulets
qu’il élève & qu’il engraiffe dans un lieu féparé
$£. fait exprès. Sont-ils devenus gros & forts, il
les vend & en partage fidèlement le profit avec
l ’entrepreneur.
Chaque four a vingt ou vingt-cinq villages qui
lui font attachés à lui en particulier. Les habitans
de chaque village font obligés, par or<jre
du hacha & du tribunal fupérieur de la jufiice,
de porter tous les oeufs au four qui leur eft affigné,
& il leur eft défendu de les porter ailleurs ou
de les vendre à qui que ce foit, finon au fei-
gneur du lieu ou aux habitans des villages qui
font du même diftriCt;.par ce moyen, il eft facile
de comprendre que les fours ne peuvent
manquer d’ouvrage. On trouvera dans la manière de
faire éclorre les oifeaux domeftiques, par M. de
Réaumur, les planchesdes fours à poulets d’E g ypte ,
& un détail des plus complets fur cette matière.
Les feigneurs retirent tous les ans .des fours
dont ils font feigneurs, dix ou douze mille pouf-
fins pour les élever fans qu’il leur en coûte rien.
Ils les diftribuent chez tous les habitans de leur
feigneurie, à condition de moitié de profit de
part & d’autre , c’eft-à-dire, que le villageois
qui a reçu quatre cents pouflins de fon feigneur,
e ft obligé de lui en rendre deux cents, ou en
nature, ou en argent.
Te l eft en Egypte l’art des Berméens pour faire
éclorre des poulets fans faire coHver les oeufs par
des poules ; ils favent conftruire de losg5~& fpa-
cieux fours , fort différens par leurs formes de
ceux que nous employons à divers ufages. Ces
fours font deftinés à recevoir une très - grande
quantité d’oeufs; par le moyen d’un feu doux &
bien ménagé , ils font prendre à ceux qui y ont
été arrangés une chaleur égale à celle que les
poules donnent aux oeufs fur lefquels elles reftent
pofées avec tant de confiance. Après y. avoir
été tenus chauds pendant le même nombre de
jours que les autres doivent palier fous la poule,
arrive celui où plufieurs milliers de poulets brifent
leur coque & s’en débarraffenfi
Cette manière qu’ont les Egyptiens de multiplier
à leur gré des oifeaux domeftiques dont on
fait une fi grande confommation, eft de la plus
grande antiquité, quoiqu’elle n’ait été imitée dans-
aucun autre pays. Diodore de Sicile & quelques
autres anciens nous ont dit, mais fe font contentes
de nous dire * que les Egyptiens faifoient ;
depuis long-temps éclorre des poulets dans les j
fours. Pline avoit probablement ces fours d’Egypte
en vue lorfqu’il â écrit : fed înventum ut ova in
caiido Iùcq impofita palets , igné modico foverentur ,
homine verfante pariter die ac notte, & jiatuto die
illinc erumpere foetus.
Les voyageurs modernes, Monconys & The-
venot, fi on peut encore les mettre dans le rang
des modernes, le P. Sicard, M. Granger & Paul
Lucas, nous ont donné, à ce qu’il paroît, des
inftruCtions affez amples fur cette matière. Il eft
vrai que le P. Sicard nous avertit lui-même que
la manière de faire "éclorre les poulets en E g ypte ,
n eft connue que par les habitans du village ap-
pellé Berniè ; ils 1 apprennent à leurs enfans , ÔC
le cachent aux étrarigers.
5 Cet art pourtant que les Berméens fe réferventy
n a que deux parties, dont l’une a pour objet la
conftruCtion des fours ; celui de l’autre eft de faire
en forte que les oeufs y foient couvés comme
ils le feroient fous une poule. Ce n’eft .pas dans
ce qui regarde la première partie qu’on a mis du
-myftère ; l’extérieur des fours eft celui d’un bâtiment
expofé aux yeux des paffans, & on n’interdit
aux étrangers ni la v u e , ni l’examen de
leur intérieur, on leur permet d’entrer dedans.
La fcience qu’ont les Berméens, & qu’ils ne veulent
pas communiquer, ne peut donc être que celle
de faire que les oeufs foient couvés comme ils le
doivent être, pour que les poulets fe développent
dans leur intérieur, parviennent à éclorre ; le'
point eflentiel pour y réufîir, eft de les tenir
dans le degré de chaleur convenable, de fa voir
régler le feu qui échauffe, les fours.
Pour enlever cette fcience aux Berméens, on
n’auroit peut-être qu’à le Vouloir ; leur ' longue
expérience ne fauroit'être un guide auffi fùr pour
conduire à entretenir un degré de chaleur constant
dans un lieu clos, que le thermométrie, instrument
dont l.’ufage leur eft inconnu. Avec le
thermomètre il eft aifé de favoir quel eft le degré
de chaleur qui opère lé développement & l’accroif-
fement du germe dans chacun des oeufs fur lesquels
une poule refte pofée, il ne faut qu’en tenir
la boule placée au milieu des oeufs qu’elle couve.
Or ce degré de chaleur eft environ le trente-
deuxième du thermomètre de M. de Réaumur.
C’eft donc une chaleur conftantê de trente-deux
degrés ou environ, qu’il faudroit entretenir dans
le lieu où l’on voudroit que des oeufs fuffent
couvés d’une manière propre à en faire nàître
des poulets,
Ce degré de chaleur , propre à faire éclorre
des poulets, eft à-peu-près celui de la peau de
la poule, & pour dire plus, celui dé la peau des
oifeaux domeftiques de toutes les efpèces. connues.
Dans nos baffes-cours on donne à couver à une
poule des oeufs de dinde, des oeufs de canne,
on donne à la canne des oeufs de poule. Les
petits ne naiffent ni plus tôt, ni plus tard fous
la femelle d’une efpèce différente de celle de la
femelle qui a pondu les oeufs, qu’ils ne feroient
nés fous .cette dernière. - ,
Il eft encore à remarquer que ce degre de
chaleur eft à^-peu-près celui de la peau des quadrupèdes
& de la peau de l’homme. Auffi L ivie,
félon le rapport de Pline , réuflit à faire éclorre
un poulet dans fon fe in , ayant eu la patience
d’y tenir un oeuf pendant autant de jours qu’il
eût dû refter fous une poule.- a
Il eft non feulement indifférent au développement
du germe renfermé dans l’oeuf, de quelle
efpèce, de quel genre & de quelle claffe foit
l’être animé qui lui communique un degré de
chaleur de trente-deux degrés ou à-peu-près; il
eft même indifférent à ce germe de recevoir ce
degré de chaleur d’un être inanimé, de le devoir
• à une matière qui brûle, ou à une matière qui
fermente, fon développement & fon a'ccroiffement
feront toujours opérés avec le même fuccès par
ce degré de chaleur, ^quelle que foit la caufe qui
le produife, pourvu que cette caufe n’agiffe pas
' autrement fur l’oeuf, que par la chaleur convenable.
Les anciens Egyptiens ont donc raifonné
fur un bon principe de phyfique, quand iis ont
penfé qu’on pouvoit fubftituer la chaleur d’un four,
femblable à celle de la poule, pour couver des
oeufs ; les expériences qui en ont été faites chez eux
fans interruption depuis un temps immémorial,
ont confirmé la vérité de leur principe.
Il eft vrai que les voyageurs modernes né s’accordent
pas dans lès récits qui regardent la conf-
truCtion des.fours à poulets, nommés marnais par
les Egyptiens,.non plus que fur d’autres détails
qui concernent le couvemènt des oeufs. Cependant
ils font affez d’accord dans l’effentiel pour
guider un homme intelligent. Avec les deffeins
de Monconys & du P. Sicart, on pourroit faire
bâtir aifément des fours dans le goût de ceux
d’Eg ypte , & les-employer au même ufage. Il
ne feroit pas non plus impoffible d’avoir un de
ces Berméens dont l’exercice de l’art de couver
les oeufs eft la principale occupation. Thevenot
nous apprend que le grand-duc pour fatisfaire une
euriofité louable qui à été l’apanage des Médicis ,
fie venir d’Egypte un de ces hommes habiles clans
l’art de faire naître des poulets, & qu’il en fit
éclorre à Florence aüfîi -bien qu’ils éçlofent en
Egypte.
Le P. Sicard-donne quatre à cinq chambres à
chaque rang du rez- de - chauffée d’un marnai
■ d’Egypte. M, Granger en met fêp t, Monconys
dix ou douze, & Thevenot les borne à trois. Apparemment
qu’il y . a en Egypte des marnais de
différentes grandeurs ; auffi le P. Sicart dit qu’on
fait couver dans ces fours quarante mille 1 oeufs
à la f o i s & Monconys dit quatre-vingt-mille ,
différence qui eft dans le.même rapport que celle
des capacités des maniais dont ils parlent.
Au rapport-de M. Granger, c’eft fur des nattes
que les oeufs font pofés dans chaque chambre du
rez - de - chauffée ; Thevenot les y fait placer
fur un lit de bourre ou d’étoupe, ce qui eft affez
indifférent ; c’eft-là qu’ils doivent prendre une
douce chaleur, dans laquelle ils demandent à être
entretenus pendant un certain nombre de jours.
Les poulets n’éclofent des oeufs couves par des
poules, que vers le Vingt-unième jour ; ils n éçlofent
pas plus tôt dans les fours d’Egypte ; mais ce
qu’on n’auroit pas imaginé, c’eft que plufieurs
jours avant celui où ils doivent naître, il feroit
inutile & même dangereux d’allumer du feu dans
le four. Après un certain nombre de jours, toute
fa maffe a acquis un degré de chaleur qu’on y
peut conferver pendant plufieurs autres jours au
moyen de quelques légères précautions, malgré
les impreffions de l’air extérieur, fans aucune
diminution fenfible , ou fans une diminution dont
les poulets puiffent fouffrir.
Ce terme, au bout duquel on celle de faire du
feu dans les fours, eft encore un dés articles fur
lequel les voyageurs qui en ont parlé ne font pas
d’accord. Je ne fais fi la différence de température
d’air dans différens mois eft fuffifante'pour les concilie
r , ou fi l’on ne doit pas croire plutôt que.,
n’ayant pu fuivre l’opération pendant toute fa
durée i ils ont été obligés de s’en rapporter aux
inftruCtions qu’on leur a données, qui n ont pas
toujours été bien fidèles. Le P. Sicard & M. Gran—
ger nous affurent que ce n’eft que pendant les huit
premiers jours qu’on allume du feu dans le four;
I Monconys veut qû’on y en faffe pendant dix jours
! confécutifs : Thevenot dit auffi qu’on chauffe le four
pendant 10 jours;mais faute d’avoir été bien informe,
ou pour avoir mal entendu ce qu’on lui a raconté de
la manière dont on conduit les fours , il.ajoute que
ce n’eft qu’après qu’ils ont été chauffés pendant
ces dix jours qu’on y raet les oeufs, & que les
poulets en éçlofent au bout de douze jours. Cette
dernière affertion apprend qu’il a confondu un
déplacement d’une partie des oeufs dont nous allons
parler, avec leur première entrée dans le four.
Tous ces auteurs conviennent au moins que
les oeufs font fort bien couvés pendant plufieurs
jours dans le fout-, quoiqu’on n’y faffe plus de
feu.vLorfque le jour où l’on ceffe d’y en allumer
eft arrivé , on fait paffer une partie des oeufs cie
chaque chambre inférieure dans celle qui eft au-
deffus. Les oeufs étoient trop entaffés dans la
première y on fonge à les étaler davantage ;
C’eft bien affez pour le poulet lorfqu il elt prêt
à naître, d’avoir à brifer fa coque & den for-
t ir , fans le mettre dans la néceffité d avoir a
foulever le poids d’un grand nombre d oeuis ; il
pèriroit après avoir fait des efforts inutiles pour
y parvenir. Le récit de M. Granger diffère encore
de celui des autres fur l’article du déplacement d une
partie des oeufs, en ce qu’il ne fait tranfporter
une partie de ceux de l’étage inférieur an fupe-
rieur, que fix jours après que le feu a été totalement
éteint, c’çft-à*dire, que le quatorzième jour.