
pour fe livrer entièrement à l’étude de l’hiftoire
ancienne; il avoit 6 à 700 liv. de rente, & fe
croyoit riche.
L’univerfité le nomma reéleur à la fin de 16 94 ,
êc le continua deux ans; ce qui étoit alors une
grande diftinélion.
Lorfque M. Vittement fut appellé à l’éducation
des enfans de France, rl remit à M. Rollin
fa coadjutorerie de la principalité du collège de
Beauvais. Il n’y avoit alors dans ce collège que
très-peu d’écoliers & nulle difcipline M. Rollin
parvint en peu de temps à le peupler, dit M.
de Boze , prefque au delà de ce qu’il pouvoit contenir.
Rien n’égaloit la confiance qu’on avoit en
lui ; on en peut juger par ce trait que rapporte le
même M. de Boze. Un homme de province , riche,
qui ne le connoifloit que de réputation, lui amena
fon fils pour qu’il le prît dans, fa penfion.M. Rollih
fe défendit de le recevoir, alléguant qu’il ne
lui reftoit pas un pouce de terrain qui ne fût
occupé. Le père ne fe rendit pas à cette raifon*
J e fuis venu , lui dit-il, exprès à P a ris, pour
vous confier mon f ils , je partirai demain > je vous
enverrai mon fils avec un lit, je n’ai que lu i, je
veux qu’i l fioit élevé par. vous ; vous le mettreç
dans la cour, à la cave, ou vous voudrez, mais
i l fiera cheç vous, il fiera fious vos yeux, & je n’en
aurai aucune inquiétude. Il y avoit dans ce discours
& dans ce procédé une franchife, une foi
paternelle qui méritoit qu’on lui dît 1 votre foi
vout a fiauvè. Il fit en effet ce qu’il avoit promis
, & M. Rollin fut obligé d’établir- l’enfant
dans fon cabinet, jufqu’à ce qu’il lui eût trouvé
une chambre.
Si l’on veut favoir par quels moyens M. R o l l
in étoit parvenu à révivifier ainfi cette maifon
qu’il avoit prife dans un fi grand état de dépé-
riffement, M. Crevier va nous l’apprendre, &
d’une manière qui lui fait autant d’honneur qu’à ,
Al . R o llin .
« M. Rollin, dit-il , a recommandé aux principaux,
dans fon traité des études,livre 8 , d’é-
» lever à leurs frais de pauvres écoliers, dont
» ils pufient enfuite faire des maîtres & des
» ré g en s .... Ce qu’il recommande aux autres,
>y il l’avoit pratiqué lui-même, & je me fais
» gloire d’avoir été du nombre de ces enfans
» pauvres qui ont éprouvé fa libéralité. J e crois
» devoir ajouter qu’il avoit fur nos études &
» fur notre conduite les mêmes attentions &
» la même vigilance que fur celles de fes pen-'
#» fionnaires.il me fitfoutenir un exercice public fur
» l’Iliade. On conçoit bien que ce fut lui qui en
v fit les frais. Il m’a procuré des fecours pareils
» dans la rhétorique & durant le cours de phi-
» lofophie; il voulut de même qu’à la fin de mon
» cours je répondiffe fur toute la philofophie dans
» un aâe public, où, fuivant l’ufage qui fe pra-
w tiquait alors , je fus reçu maître-ès-arts,. Il n’ëff
P pas betain que j’ajoute que ce fut lui encore qui
fournit à la dépenfe & de l’aéïè & de la maîitrîfe,
” Il me continua les mêmes fecours pendant près
» de deux années ; & ce n’eft que depuis fa for-
» tie du collège de Beauvais, que je me fuis vu
» obligé de pourvoir par moiLmême à ma fubfif-
» tance. »
Voilà qui eft franc; il n’y a là ni reftriélion,
ni modification. M. de Méfengui, connu & efiimé
par des ouvrages de piété , attelle la même chofe
par rapport à lui - même : nobles aveux, nobles-
bienfaits L
Doux monumens d’eftime & de tendrefle,.
Donnés fans faite acceptés fans bafleiTe».
Du bienfaiteur noblement oubliés.
Par fon ami fans regret publiés:
C’eft des vertus l’hiftoire la plus pure.
L ’hifloire eft courte , & le livre eft réduit
A deux feuillets de gothique écriture ,
Qu’on n'entend plus,. & que le tems détruit.
Ainfi la politique de M. Rollin étoit la ' bieir-
faifance, & il appliquoit à tout cette politique-là.
Pendant la difette de 17 4 0 , & aux premiers avis
qu’il en reçut au château d’Asfeld où il étoit alors ,
il fe hâta d’écrire à un domeftique , qu’il avoit établi
fon économe : Mon cher ami, doubleç & tri-
ple^ , s’ il le fa u t ,. ce que j ’ai coutume de- donner.
Ne craigne£ point de ni*appauvrir en donnant trop :
c’efl placer mon argent à gros intérêt. C’eft ainfi que
dans la nouvelle ^Héloïfe, Milord Edouard dit à
Saint-Preux : Prends , épuifie mes biens, fiais-moi riche..
On rapporte dans les notes dont nous avons
parlé , une foule de traits femblables, qui prouvent
que jamais, avec une aufli petite fortune
on ne fit autant de bien que M. R o llin , & que
; jamais il n’y eut de bienfaiteur fi modefte*:
Nous avons dit comment il fut fait prin*»
cipal du collége de Beauvais ; il faut dire maintenant
comment il cèffa de l’être, Il ji’a pas tenu
à cet homme fans fiel & fans reffentiment, que
l’on n’ait cru fa démiffion volontaire , & que fes
envieux n’aient été abfous dans le public du crime
d’avoir perfécuté un tel homme. On peut même
dire que cette hiftoire eft encore allez générale-
, ment inconnue.
La réputation du college de Beauvais, & dè fon
; principal, & des habiles maîtres & des excellent
difciples dont il rempliffoit cette maifon , donnoit
; à l’univerfité un. nouvel éclat dontles jéfuitesétoient.
bleffés & alarmés : leur école rivale craignit une
diminution de faveur dans le public ; d’aillèurs
M. Rollin , qui ne favoit rien diffimuler , ne.diffi-
m,uloit pas fon penchant au janfénifme, & fa
tendre vénération pour les janféniftes célèbres. I l
avoit à peine connu M. Arnauld , n’ayant que dix-
huit ans', lorfque ce doéleur avoit quitté la France %,
mais il étoit plein de refpeét & d’admiration pour
lui , & il en a donné un témoignage éclatant dans,
fon petit poëme intitulé iSantolius poenitens. Il avoife
même eu l’intention de travailler à une vie de
M. Arnauld, fur les mémoires du P. Quefnel.
Il eut de grandes liaifons avec ce dernier, dont
le crime étoit d’avoir été l’ami le plus fidèle de
M. Arnauld , & le dépofitaire de fes plus intimes
fecrets. Le P. Quefnel étant venu à Paris en 17 0 2 ,
fans fe faire connoître qu’à un petit nombre d’amis
éprouvés , vit M. Rollin, & dit la raeiTe dans
la chapelle du collège de Beauvais. Le P. Quefnel
ayant été arrêté à Bruxelles, le 30 mai 1703 , cê
fut un crime d’avoir eu des liaifons avec lui. En
vifitant fes papiers, on reconnut qu’il entrete-
noit un commerce réglé avec M. Rollin & avec
un M. Willard, fon voifin & fon ami ; celui-ci
fut mis à la Baftille , pour avoir été l’ami d'un
homme qui avoit. été ami de M. Arnauld ; il fut
trouvé faifi d’une caffette appartenante au P. Quefnel
, & remplie de papiers qui le concernoient :
autre grand crime que d’avoir les papiers d’un
Jiomnie qui croyoit à la grâce efficace l
C’eft un dépôt qu’Argas , cet ami que je plains,
Lui-même, en grand fecret, m’a mis entre les mains.
Pour cela , dans fa fuite , il me voulut élire ;
Et ce font des .papiers , à ce qu’il m’a pu dire.,
Ou fa, vie & fes biens fe trouvent attachés. «
On vouloit arrêter aufli M. R ollin, & ce trait
manquoit à l’hiftoire de la perfécution religieufe ;
il faut ici rendre juftice ou au bon efprit, ou au
.caraâère modéré du P. de la Chaife ; il fentit que
les conteftations & la rivalité connues de l’univerfité
& des jéfuites, feroient interpréter d’une
manière finiftre contre ceux-ci l’empritannement
.d’un membre illuftre de l’univerfité ; qu’un tel
.coup feroit attribué à la vengeance de la fociété ;
i l en parla fur ce ton à Louis X IV , & M. Rollin
-refta libre , mais fnfpeél, ou plutôt noté à la cour.
Sa liberté fe borna même à n’être point arrêté ;
car d’ailleurs il fut interrogé par M. d’Argenfon ,
8c un exempt de police vint vifiter fes papiers ;
mais M. d’Argenfon qui aimoit le mérite , parce
qu’il en avoit , prit foin de choifir & d’inftruire
l’exempt. M. Rollin eut recours à un léger ftra-
tagême : ce n’eft pas un des moindres inconvé-
niens de l’injuftice .& de la violence., de forcer
des hommes fimples & droits à ufer d’artifice , &
de dénaturer ainfi les caractères. M. Rollin arrivant
avec l’exempt, pria celui-ci de vouloir bien
lui laiffer prendre les devants de quelques pas,
alléguant que c’étoit l’heure de la récréation , que
tous les écoliers feroient dans la cour , & que s’ils
le voyoient entrer avec un officier de police , il
en réfui teroit dans fa maifon & dans Paris un éclat
qui pourroit lui nuire: l’exempt, qui avoit ordre
d’être complaifant, confentit à tout ; M. Rollin
eut le temps de faire difparoître ce qu’il pouvoit
avoir de papiers fufpe&s ; l’exempt, dans fa vifite,
ne trouva rien ; M. d’Argenfon fit à Louis X IV
nn rapport favorable, & tout fut calmé; mais.
comme s’il eût été impoftible à M. Ro llin de s’écarter
de la vé rité , le difcours qu’il avoit tenu à
l’exempt, fut vérifié par l’événement. On fut qu’il
y avoit eu chez lui une vifite de police, on prit
l’alarme ; & , dans le cours de l’année fuivante,
le nombre de fes penfionnaires diminua de moitié:
ainfi le eoup étoit porté ; les jéfuites furent fatifi;
faits , ils avoient nui.
Mais la réputation de M. Rollin rétablit bientôt
les chofes fa maifon fe remplifloit de nouveau,
lorfqu’en 1707 il s’éleva auffiun nouvel orage*
Deux eccléfiaftiques, dont l’ un étoit M. de Méfen-
g u y , perfécutés pour janfénifme, avoient été obligés
de quitter le collège de la ville de Beauyais ;
ils fe réfugièrent au collège de Beauvais à Paris,
où ils furent recueillis & accueillis par M. R o llin .
On ne manqua pas de lui en faire un crime ; fes amis
même,M. IePeletierleminiftre, & M. le premier
préfident fon fils, confeillèrent à M. Rollin de céder
à l’orage , & d’abandonner les deux eccléfiaftiques :
M. Rollin tint ferme, & ne céda pas même à fes
amis ; ceux-ci, qui étoient d’honnêtes gens & d e s
âmes élevées, n’eurent point la petite vanité d’être
piqués du refus que faifoit M. Rollin de déférer à
leur avis ; au contraire, ils l’en eftimèrent davantage
, & prirent fur eux de répondre hautement
au roi de fa vertu ,8c, ce qui paroifloit bien plus
important alors, de fa do&rine.
En 1 7 1 2 , d*étoit le P. le Tellier qui régnoit fur
la conscience de Louis X I V , & fur l’empire
théologique ; il favoit bien mauvais gré à fon
prédécefleur d’avoit émouffé les armes des J« 1
fuites p arle difcours qu’il avoit tenu au roi, &£
dont l’effet avoit été de faire ménager M. Rollin',
W. favoit que Louis X IV avoit des principes,
& que quand il foupçonnoit de la haine 8c de
la vengeance, foie perfonnelle, foit de corps „
dans les confeils qu’on lui donnoit, il s’y réfutait.
Si le père le Tellier étoit violent, il étoit
fourbe aufli ; avec la cruauté du tigre il en avoit
la taupleffe. Rétalu de perdre M. Rollin, de détruire
le collège de Beauvais, d’abaiffer l’univer-
fité , ce ne fut point à Louis X IV qu’il s’adreffa: il
prit une autre voie, ce fut de femer la divifion
dans ce même collège de Beauvais où M. R o l lin
avoit toujours entretenu la paix. Voici de
quelle manière on fait concevoir ce complot,
dans les notes dont nous avons parlé.
« L a plupart des collèges font des machines
» compofées de deux pièces affez fouvent difeor-
». dantes;l’une plus ancienne, l’autre introduit«
» après coup : l ’une renfermée dans l’intérieur
» de la maifon, l’autre étendant fon aélivité au
» dehors; l’une jouiffant de tous les droits uti-
» lés & honorifiques de la fondation , l’autre
» n’ayant de droits à exercer que dans l ’univer-
» fitê , & ne tirant de revenu que de fon traî-
» vail. On appelle l’une la communauté, qui con-
» fifte dans les bourfiers & les officiers du col-
» lèse ; l’autre l'exercice , qui eft coînpofé des
H h h h 2