
cj.te publication fe fit , à ce qu’il prétend, par
1 infidélité & la malignité d'une femme de fes
amies à laquelle il avoir confié fon manufcrit, 8c qui,
non contente de le faire imprimer , eut le procédé
coupable de l’altérer en plufieurs endroits ,
non pour l’afFoiblir , mais au contraire pour le
rendre plus fatyrique 8c attirer plus d’ennemis à
l’auteur j c’eft de quoi il affûre avoir convaincu
Louis X IV , en lui montrant l’original écrit tout
entier de fa main;mais cet original prétendu ne
fut-il pas fait après coup ? Quoi qu’il en foit , le
roi fur les plaintes des perionnes offenfécs, qui
n’étoient ni peu confidérables ni en petit nombre,
fit mettre le comte de Bufii à la baftille le 17
avril 1665 , & dit au duc de faint-Aignan, ami
de Buffi , que c’étoit pour la fureté même du
comte qu’il le faifoit enfermer & pour le mettre
-à l’abri des entreprifes de tant d’ennemis implacables
qu’il s’étoit faits. Le comte de Bufii écrivit
de la baftille au duc de faint-Aignan le 12 novembre
1665 , une prétendue lettre juftificative ,
d’où il réfuite contre lui d'aflez fortes .charges il
convient que comme Je s événemens renfermés
dans les bornes ftnâçs de la vériié, font rarement
a fiez plaifans pour divertir beaucoup, il a recours
à l’invention ^ mais l’invention dans la médifance
eft ce qu’on appelle calomnie: il avoit, difoit-il,
0 fait des gens heureux qui n’étoiçnt■ pas feulement
égalités & d’autres même qui n'avoient jamais fongé
à l ’être , & parce qu'il adroit été ridicule de choîfir
deux-femmes fans puiffance & fans mérite, pour les
principales héroïnes de fon roman i il en prit deux,
auxquelles nulles bonnes qualités ne manquoient, &
qui même en avaient tant, que. l ’envie pouvait aider
à tendre croyable tout- le, mal qu'il en pouvait inventer.
Il faut convenir qu’ici les principes du goût
forît .jm peu en oppofition avec ceux de la morale.
Il revête l’hiftoire de l’infidélité atroce de la
dame à laqudiiv il avoit confié fon manufcrit. Il
conclut que le publié en èe condamnant doit le
plaindre, & que les ojfenfiï peuvent le. haïr avec
Tàifbn..
Il proteftoit de n’avoir jamais rien contre
le ro i; on ne peut cependant ne pas taxer- SU
moins d’irrévérence quelques couplets de lu i, où
il eft queftion des amours de Louis X IV.
M, de Lcuvois alla demander à M. de Bufii à
la Baftille j lieu favorable à de femblables demandes
, la démiflion de fa charge de meftre-de-
camp de la cavalerie légère en faveur du duc de
Coislin pour 84000 écus, quoiqu’elle lui en eût
coûté 90006. On ne voit pas trop pourquoi il
falloir que le duc de Goiflin gagnât deux mille
écus fur lu i; Bufii fut enfuite exilé dix-fept ans
dans fes terres; il y fit ce que fait dans l’exil un
homme d’cfprit, il travailla, il écrivit ; ce fut
là qu’il çempofa fes mémoires 84 une injlructien
p o u r fe ,conduire dans le. monde, à l’ufage de
fes fils, qu’il ne pouvoit y conduire lui-même :
He i mihi L qub domino non lieet ire tuo.
Il leur adrefiaun autre difeours fur le bon ufage
des adverfités.
Il fit aulia ce que faifoit Ovide dans fon e x il;
il écrivit beaucoup de lettres plaintives, où il fe
vantoit toujours d’un grand amour pour Louis X IV ,
8c à chaque campagne , il demandoit la permifiion
d’aller le f e r v i r depuis la qualité de lieutenant-
général jufqu'à telle de volontaire. De tendre & de
plaintif, (on ftyle devint infcnfiblement dévot; il-
prétendit avoir été converti par la mort de madame
Henriette d’Angleterre, converfion de cour-
tifans auxquels il faut des morts illuftres pour
les toucher; il remercia Louis X IV de l’avoir mis-
par la difgrace dans le chemin de la vertu.
- En 1673 8c. en 16 76 , le roi lui permit d’ aller
à Paris, mais pour quelque temps feulement ; en-
- 16 8 1 , . il lui permit d’y revenir pour toujours;,
en 16 8 2, il le rappella même à la cour fur les
preffantes follicitations du duc de Saint-Aignan
ami qui ne l’abandonna jamais. Il parut tout-à-
coup 8c très-inopinément- au lever de Louis X IV , .
'qui avoit fai^ myftère à tout le monde de fen:
retour. II. fe jetta aux, pieds- du ro i,. qui le■ reçut ?
avec tant de bonté qu’il ne put exprimer fa joie
8c fa reconnoifîance que par fes larmes; mais ce-
bon accueil, ce myftère répandu fur fon retour,,
cet air de faveur, ranimèrent la haine de ceux;
qu’il avoit ©ffenfés ; il s^éleva contre lui un nouvel
orage, le reffentircent des courtifans réveilla le -
reflenriment de Louis X IV ; Bufii fut obligé, dé '
, s’éloigner de nouveau 8c pendant cinq ans , de
• la cour, ne pouvant, dit-il, fupporter les froideurs
d’un maître, dont le bon accueil avoit en*-
core augmenté fa tendrefîe.
On fit en 16 8 3 , au comte de Bufii l’opération »
de la fiftule..
En 1687 , il revint à la cou r, oir le rappel-
loit l’intérêt de fes enfans; il obtint pour eux,-
cette année Scies annéesfuivantes, diverfes gra--
c es , une compagnie 8c une penfion pour l’aîné,
de fes fils, des bénéfices pour le cadet ; il demandoit
pour lui - même le cordon bleu , 8c il
âVwi.t déjà autrefois témoigné du mécontentement
de n’aVoir oas été compris dans la promotion d e
. 16 6 1. Il fit de nouvelles tentatives en 1690 , mais
fans fuccès ; cepertriam il continuoit toujours fes*
offres de fervice qui n’étoient toujours point acceptées
; il les renouvella en- 1 6 8 0 ,8c refta deux
mois à la cour. Il mourut à Artitun, le 9 avril <
1693 , fans avoir pô parvenir ni an cordon bleu
ni au bâton de maréchal de France. Il étoit plein
d’orgueil, mais d’un orgueil de courftfan , fouple
8c flexible', fachant s’abaiffer dans l’occafion ; il
avoit encore au' deffous de cet orgueil, . tous les
ridicules de la vanité. B étoit cauftique 8c fatyrique y
ce qui fit le malheur de fa vie : il fut accufé !
d’avoir aimé fa fille d’un amour qui n’avoit rien
de paternel, 8c ce fut, dit on , le principe de fon
animofité contre M. de la Rivière, devenu fon
gendre ma’gré lui. ( voyez l'article Rivière ( de
la ). Cette fille étoit aufii diftingu e par l’elprit.
C’eft elle qui eft auteur de la .vie de madame
de Chantal ( Jeanne-Françoife Fremiot ) fondatrice
de la Vifiiation, imprimée à Paris en 16 9 7 ,
8c de celle de S, Françpis-de-Sales, qui étoit beau-
frère d’une fille de madame de Chantal. Cette
dernière vie a été imprimée en 1699 : toutes les
deux ont paru fous le nom du comte de Bufiy;
mais, elles (ont de (a fille , qui par une modeftie
du temps ne voulut point paffer pour auteur ;
c’eft ce que M. de la Rivière écrivit, le 2.7 juin
17 3 5 , à J® , l’abbé Papillon , auteur d’une bibliothèque
des écrivains de Bourgogne , 8c il ajoutoit
que Louis XIV ayant vû plufieurs lettres de
madame de la Rivière entre les mains de madame.
de Montefpan, avoit dit qu’elle avoit plus
d’efpritque fon père.
L’épitaphe du comte de Bufii qu’on lit dans
l’éghfe de Notre-Dame d’Autun , eft une efpèce
d’abrégé dë fa vie ; c’eft ion éloge hiftorique.
« Ici repofe haut 8c puifiant lèigneur meflire
» Roger de Rabutin, chevalier comte de B u fiy,
» plus confidérable par fes rares qualités que par
» fa grande naiflance ; plus illuftre par fes belles
» aâions qui lui attirèrent de grands emplois, que
«• par ces emplois mêmes.
*« Il entra aufii tôt dans le chemin dé la gloire,
» que dans le commerce du monde , 8c dès fa
» quinzième année , il préféra l’honneur de fervir
» fon prince , aux plaifirs d’une jeunefle molle
» 8c oifive.
« Capitaine en même-temps que foldat,il fut d’a-
» bord à la tête de la première compagnie du régi-
» ment de Léonor de Rabutin , comte de Bufii fon
» père, 8c bien tôt après, colonel du régiment
» qu’il n’acheta que par des périls 8c par d’heureux
» fuccès. i 1 ne dut aufii qu’à fa conduite 8c à fon
» courage , 1a lieutenance de roi de Nivernois , 8c
» la charge de confeiller d’état.
« L a fortune d’intelligence cette fois avec le
» mérite , lui fit avoir la charge de meftre-de-
» camp de la cavalerie légère. Le roi le fit en-
» fuite lieutenant-général de fes armées à l’âge
» de 25 ans; une fi prompte élévation fut l’ou-
» vrage de la juftice dufouverain, 8c-non de la
» faveur d’aucun patron.
« Il joignit toutes les grâces du difeours à tou-
» tes celles de fa perfonne , 8c fut l’auteur d’un
» genre d’écrire inconnu jufqu’à lui. L’académie
» françoife crut s’honorer en lui offrant une place
» d’académicien.
» Enfin , prefque au comble de la gloire , Dieu
y* arrêta fes profpérités ; & par des difgraces écla-
» tantes, il le détrompa du monde, dont il avoit
» été jufque-là trop, occupé.
» Son courage fut toujours au defiiis de fes
» malheurs, Il les foutint en fujet fournis 8c en
” chrétien réfigné. Il employa le temps de fon
» exil à fe bien inftruire de fa religion, à for-
» mer fa famille 8c a louer fon prince.
« Après avoir été long-temps éloigné de la
» cour, il y fut rappelle avec agrément, 8c ho-.
.” noré des bienfaits de fon maître.
» La mort le trouva dans de faimes difpof tiens,
» On le perdit le neuvième d’avril 1693 , en
» la foixante & quinzième année de fon âge. Qui
» q«e vous foyez, priez pour lui.
« Louife de Rabutin , comteffe de D ale t, fa
» chère fille , 8c fa fille défolée , a voulu par
» cette épitaphe , inftruire la pofiérité , de fon-
» refpeét, de fa tendrefîe 8c de fa douleur ».
On croiroit cette épitaphe compofée par le
comte de Bufii lui-même ; ce genre d’écrire inconnu
jufqu’à lui 8c dont il eft l’auteur ; cette
académie qui lui offre une place, 8c cela pour
s’honorer , le comte de Bufii lui-même n’auroit pas
mieux tfiti
M. de Voltaire ne le traite pas fi bien ; on ne
fait trop s’il l’admet clans le temple du goûr,
ou s’il l’en exclud. « Je cher chois , d it-il, le fa-
» meux comte de Bufii : madame ' de Sevlgné ,
» qui eft aimée de tous ceux qui habitent le
» temple, me dit que fon cher'coufin, homme
» de beaucoup d’efprit, un peu trop vain, n’avoit
» jamais pû réuflir à donner au dieu du goût cet
» excès de bonne opinion que le comte de Bufii1
» avoit de metfire Roger de Rabutin n :
Büïïi , q«i s’eftime & qui s’aime ,
Jufqu'au point d’en être ennuyeux ^
E'ftcenfuré, dans tes beaux lieux ,
Pour avoir, d’un ton glorieux, 1
Parlé trop fouvent de lui-même.-
Mais fon fils, fon aimable f ils ,’
Dans le temple eft toujours admis ;
Lui, qui fans flatter, fans médire,» a
Toujours d’iin- aimable entretien ,
Sans le croire , parle aulfibien»
Que fon père croyoit écrire.-
ï ’i* . Ce fils, qui eut en effet la plus grande rê^-
putation d’amabilité, 8c qu’on appelloit le dieu de
la- bonne compagnie , eft le fameux évêque de Lu-
çou, Michel-Ctlfe-Rogër de Rabutin , nommé à
cet évêché le 17 oâebre 1723 ; reçu à l’académie
françoife en 17 3 2 , à la place de M. de la Motte,-
& mort lè 3 novembre 1736. C’eft à fa mémoire
que Mi Grefiet confacre des regrets fi éloquens
k fi touchans à là fin de fon épître au P, Pou*;-
geant. -
Sur un char funèbre portée,
Des grâces en deuil efeortée,
La renommée en ce moment
M’apprend que la parque- inhumaine*'