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©uvroit les chemins, les Carthaginois étoient fort
allarmés de ce, projet ; leurs généraux , pour en j
retarder au moins l’exécution & donner à C a r thage
le temps de fe mettre en défenfe , imaginé- :
icnt d’amufer les Romains par des proportions de ,
p a ix ; mais on v it ici combien la politique mal-
faifante & artificieufe devient aifément la dupe de _
fes fourberies. Quatre ans auparavant, le - conful
C h . Cornélius Scipion Afin a ayant été attiré par :
de fauffes propofnions d’accommodement dans la
galère du général carthaginois, avoit été indignement
chargé de fers 8c emmené à C a rth a g e ; c’étoit
untrr.it de ce que les Romains appellèrent la foi
p u n iq u e , fid e s p u n i:a . Les généraux carthaginois
craignirent d’éprouver un fort femblable s’ils allaient
traiter ave c les ccnfluls; Amilcar n’ol'a point
y .a lle r , Hannon plus hardi s’y expofa. Pendant
qu’ il faifoit fes p rop o r tion s, il entendit les murmures
de quelqu-. s Poomains qurrappelloiem l’exemple
du conful Corné lius, & qui propofoient de
le fuivre ; il crut ne pouvoir parer le coup que
.par un défaveu honteux pour Carthage. Si vous
» fuivez cet exemple , d it-il, vous nous donnerez
» la confolation de pouvoir dire que les Romains
» ne valent pas mieux que des Africains ». Ra fin -
r e z - v o u s , Han n on , dirent les. coa fuls, en im-
pofant filence à ceu x qui pari oient de trahir des
traîtres, la foi romaine vous garantit ici de tout
danger. I Jlo te m e tu , H a n n o , f id e s c iv ira tis noflrcz
; lib e ra l.
Les Romains n’a voient pas encore une longue
habitude de la m e r , ils n’avoient encore fait la
guerre qu’au tour d’eux 8c dans l’Italie; c étoit cette
première guerre punique qui les avoit forcés d’a v
o i r une marine ; l ’idée du trajet en Amérique
le s effrayait-, 8c excita quelques feuleveméns dans
l ’a rm é e ; un’ tribun légionaire, nommé Mannius,
refufa hautement de s’embarquer. Ici R e g u lu s
-commença de faire connoître le. cara&ère ferme
8c inflexible & l’amour de la difcip^ne, qu’il fignaia
d ’une manière fi éclatante dans la fuite ; je fa is, dit-il
tranquillement^ Manants, en lui montrant les fa if-
ceaux & les haches de fe s liâ e ù r s , les moyens de me
fa ire ob é ir; aufli-tôt la crainte d elà m o rt, dit F lo ru s ,
fit de Mannius & des compagnons de fa ré v o lte ,
des navigateurs très-réfolus : fe ç u r i d i jl r i f t â , ïm pe-
ra to r metu mortis n a v ig a n d i fe c it au daciam . Les
• d eux confuls paffèrent donc en A fr iq u e , s’y rendirent
maîtres de C ly p e a , aujourd’hui Quipio ,
au deffous du promontoire de Mercure ou Her-
: n ié e , aujourd'hui C ap -B on , qui s’avance du
golphe de Carthage dans la m e r , du côté de la
S ic ile ; ilsd irent de C lyp é a une placé d’armes ,
d ’où ils ravageoient tout le pays. R é g u la s reffa
en 'A fr iq u e avec le titre de proconful & Je commandement
des armées; il y refta malgré lu i, &
il fut le feul à s’oppofer à un décret qui le c©u-
v ro it de gloire ; il infifta pour qu’on lui nommât
un fuccefléur; il étoit arriyé du défordre dans
fon petit ménage ruftique, on lui avoit enlevé fes
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inftrumens a ra toire s, & il craignoit que fi fort
ch am p , qui étoit en tout de fept a rp tn s, reffoit
fans culture, par fon abfence, il n’eùt pas de quoi
nourrir fa femme 8c fes enfans ; le fénat y pourv
u t , il fe chargea de les nour rir , d é fa ire cultiv
e r fon champ, 8c de lui procurer les infttumens
du labour. R e g u lv s eut donc pour fermier le peuple
romain, 8c la culture d’un champ de fept arpens
fut tout ce que coûta un héros qui failoit triompher
les armes romaines en Afrique. F u i t niz
tanti f i r v a n i von habere , ut commis _ e jù s' p o pulu s
Torhanus e ffe t , dit Sénéque ; la n d cerario n o f k o v l -
tutis A ttiliance ex em p lum , quo omnis tétas romana.
g lo r ia b itu r , f i e t i t , dit Va 1ère- M axime.
Le premier ennemi redoutable qu’il eut à com-*-
battre en A fr iq u e , fut un ferpent énorme qu’ il
trouva fur les bords du fleuve Bagràda entré U tique
8c Carthage ; il par ölt que la peur 8c la b ou veau ié
de l’objet en exagérèrent un peu aux Romains
l’énormité ainfi que les ravages. Si l’on en "croit
les hifforiens , cet animal fe rendit, formidable"-à-
toute;.l’armée ; i! écrafoit les Romains du poids de
fon corps, ou les étowffoit en les-ferrant dans les
replis de fa queue , où les empoifonnoit par le
fouflle empcfté de fa gueule.. T ou s les traits 8c
toutes les armes s’émoufl'oient contre les dures
écailles de fa peau , il fallut dreffer contre lui
; comme contre une citadelle, ^artillerie du temps ,
les baliftes Ôc'les catapultes; enfin une énorme
pierre lancée avec .roideur , lui brifa l’épine du.
d o s , 8c le renverfa par terre ; en cet état même ,
on eut peine à l’a ch e v e r , tant les foldats c ra i-
gnoient encore d’en approcher. O n 'c ro it lire le
récit du combat de Gadmus contre le flerpent.de
Mars dans le troifième liv re des métamorpbofes v.
Dextrâque molarem
Suftulit j & magnum magno conamine mifit-
R e g u lu s envoy a la peau de fon ferpent à Rome ,,
où elle fut fufpendne dans un temple ; Pline dit
qu’on L vo yo it encore de fon tem p s, '8c qu elle
avoir cent vingt pieds de long. *
Regulus - remporta enfuite fur les Carthaginois
une grande vié to ire , dont le fruit fut la conquête
de prés de deux cents places , du nombre defquelles
étoit Tunis , pofle dès-lors important. Carthage
commençoh à craindre d’ètte a f f lig é e , ce qui eût
pu terminer tout d’un coup la guerre:- L ’affluence
des gens de la campagne qui venoient de tous
côtés fe réfugier dans cette cap ita le ,. -y failoit
craindre la famine en cas de liège. L e s Carthaginois
demandèrent la p a ix , 8c par la promptitude
avec laquéile ils furent réduits à la demander,
ils apprirent aux Romains que c’étoit en Afrique
qu’il failoit faire la guerre aux Carthaginois. Si
Annibal a dit que jamais on ne vaincroit les R o mains
que dans Rome , il p'aroît que Scipion penfa
auffl que les Carthaginois feroient plus aifés à
vaincre en Afrique qu’en Italie ou en E fp à gn e ,
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8c peut-être le penfa-t-il d’après ces premiers
iiiceès de, R égu la s . Mais ces fticcès lui enflèrent
tellement le coe u r , 8c l’orgueil de la v i& o ire ,
jointe a l’inflexibilité naturelle de fon- caraélère ,
le rendit fi- intraitable, qu’il, impofa aux vaincus
les conditions les plus dures. I l vouloit qu’ils cé-
daffen.t aux Romains.la Sicile 8c la Sardaigne , qu’ils
rendiffent gratuitement les. prifonniers qu’j s a voient
fa it s /q u ’ ils rachctaffent les leurs au prix qui fetoit
convenu , qu’ils payaffent les frais dé la gue rre ,
8c qu’ils devinffent tributaires ; qu’iis eùflént pour
amis 8c pour ennemis tous ceux des Romains /q u ’ils
fourniffent aux Romains , toutes les fois qu’ ils en
feroient re q u is, cinquante galères à trois rangs de
ram e s, toutes équipées ; que d’ ailleurs leur marine
fût réduite- à un feùl vaiffeau de g u e rre , 8c
qu’ils ne fiffent point ufage de vaiffeaux longs.
Toutes les repréfentations & toutes-, les inftances
des députés Carthaginois ne purent jamais-.obrenir
le moindre adoucifièment-à ces conditions, 8c Re-
gulus leur répond,oit toujours en fubftance :
Si vous n’avez fu vaincre , apprenez à fervir»
E t les Carthaginois répliquèrent aufli comme Bru-
tus à Cêfar :
Céfar , aucun de noos n'apprendra qu’à mourir.
Dans cette extrémité“, il leur arr iva de la Grèce
des troupes auxiliait^s , à Ja .tê te defquelles étoit le
Lacédémonien Xantippe , homme de guerre-8c
homme d'état, qui ayant pris connoiflance 8c de
la fituation aéluelle d e leurs affaires 8t des circonf-
taneês de la bataille. qii’iis avoient perdue , v it Scieur
fit vo ir clairement que tout le mal venoit de
Lincapaoké de leurs gén é raux, qui n’avoient pas
fil tirer parti des forces 8c des avantages qu’ils
avbieut entre les mains. Il'ajou ta que rien n’étoit
ctéïefpéré, qu’il falloir tenter de nouveau la fo r tune,
8c qu’il reftoit encore des moyens de chaffer
de l’Afrique l’ennemi qui s’étoit trop preffé de
s’en croire le maître. Ce s difeours ranimèrent le
courage abattu des Carthaginois. Quand on vit
enfuite dans les différens exercices auxquels il forma
les troupes aux environs de la v ille , la manière
dont il s’y prenoif pour les ranger eh .bataillé
, pour les faire d é file r, av an c e r ou reculer
au premier figna l, le m o tif, l’ôrdr,e 8c la promptitude
de chaque-évolution , on convint à C a r thage
qu’j Lé toit venu enfeigner un art tout nouveau.
Officiers 8c foldats , 'tous »pleins d’admiration
8c de confiance, s’empreffèrent de marcher
fous un général fi habile ; il remplit, il furpaffa
même leur attente , il battit 8c-.fit prifonnier R e gu!
u s , 8c; le mena en triomphe dans; Carthage-, où
au découragement 8c à Tbumiliation fuccédèrent
promptement là ..jo ie , lo rgu e il 8c la férocité :,
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Wefcia mens Jiominum fa ti fortisque futur a ,
E t fervare rno'dum rébus fublata fecundis !
Us- enfermèrent Regulus dans un cach o t, où il
refta cinq ou fix a n s ; mais nous le verrons bientôt
tirer de fa défaite 8c de fa captivité plus de gloire
qu’il n’en avoit tiré de fes viéloires 8c de fes conquêtes
p iffèçs. Quant à fa ch û te , elle fut citée-
dans la fuite pour exemple à Scipion par A n n ib a l,
réduit alors à lui rappeller les vieifîitudes de la
! fortune 8c la néceflitè de prévenir fes retours 8c
fes caprices par la modération 8c la retenue dans
la profpérité. « Regulus , dit Annibal dans T i te -
L iv e ., auroit é té /u n des plus rares modèles de
» courage 8c de bonheur,-fi , après la viétoire qu’ il
» remporta dans le même-pays où nous fem m e s,
» il avoit voulu accorder à nos pères la paix qu’ils
» lui demandoiént. Mais pour n’avoir pas fit mettre-
» un fre-ia- à ion ambition 8c fe contenir dans de
» juftes b o rn e s , plus fon élévation étoit grande ,
» plus fa-chûte. fut honteufe ». Inter pane a felici-
tatis virtutifqui exempta; M. Attilius quondam in
hâc èâdein ,terra fa iffet, f i viélor paceni petentibus -
dediffet patrSbus noflris, S ed non Jlatuendo tandem
felieitaù moium , nec cohibendo efferentem f e fo n u -
nam , quanto altiiis evcSlus erat ,. eb foedius cornât.
L a guerre continua entre les Romains 8c les
Carthaginois pendant la pr-ifon, de Regulus, de-
nouveaux confuls paffèrent en Afrique 8c eurent
de nouveaux fiic cè s, ils gagnèrent des batailles^.-
firent des prifonniers, 8c gardèrent avec foin les
principaux d’entre eux pour fe rv ir à l’échange de
Regulus 8c des autres Romains les plus diftingués.
Les pertes que les Carthaginois ne eeffoient' de
faire , les-déterminèrent enfin à en vo y e r une am -
: buflade. à R om e ., l’an 5 0 2 , pour propofer ou la
p a ix , ou du moins l’échange des p rifon n ie r s; en
fit Tortir Regulus de. fon c a ch o t, 8c on le chargea
d’accompagner ‘ les ambafladeurs ; on ne dçuteit
-p as que Je ciefir a ’é tr e t ien d a à fa fem m e , à fes
cnf.ms, à f i patrie , après une fi longue 8c.fi dure
cap tiv ité , ne’ rengageât à faire agréer la p rop o fi-:
tion qui conceniuit ['échange ;. on comptoir aufli
pour le fuccès de cttte propofuioR fnr la, grande
confidération dont il jouiffoit dans R om e , lur les
parens 8c les amis qu’il avoit dans le fén at, fur
le crédit de fon confia germain , Caïus Attilius
Regulus S e rran u s, alors conful pour la fécondé
fois. Ce s Carthaginois., qui v.oioient tous les ft r-
mens, lui. firent prêter ferment de revenir , 8c ils
1 efiimèrent afftz' pour ne lui pas diflinuilcr qu’il y
al!oit de fa v ie de réuflir dans cette négociation,
Regulus. promit de re v en ir , 8c ne promit rien davantage.
Se&ateur des moeurs anûques, quand il
arr iv a auprès d^r-Rômé /-il re fui a d’y en tre r ; la
coutume de nos* ancêtres, d i t - i l , eteit de d otne r
audience, hors de-la v ille feulement, aux ambaf-
; fadeurs des ennemis-. L e fénat eut égard à fa re -
; montrance , 8c , reçut lambafîade canhaginoife
i hors des m u r s ; après a vo ir expofè l’objet de leur
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