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nueües des foldats, les empereurs s’aflocièrent
des perfonnes en qui ils «voient confiance.; &
Dioclétien, lotis la grandeur des affaires, régla
qu’il y autoit toujours deux empereurs & deux
cèfars; mais ce qui contint encore plus les gens
de guerre, c’eft que les richefles des particuliers
& la fortune publique ayant diminué, les empereurs
ne purent pluslêur faire des dons fi confidé-
rables, de manière que la récompenfe fut plus proportionnée
au danger de faire une nouvelle éleâion.
D'ailleurs les prètets du prétoire qui faifoient à
leur gré maflacrer les empereurs pour fe mettre'
à leur place , furent entièrement abaiffés par
Conftantin, qui ne leur laifla que les fondions
civile s, & en fit quatre au lieu de deux.
La vie des empereurs commença donc à être
plus affurée ; ils purent mourir dans leur l i t ,
& cela femblà avoir un peu adouci leurs moeurs ;
ils ne versèrent plus le fan g avec tant de férocité.
Mais comme il falioit que ce pouvoir im-
menfe débordât quelque part, on vit un autre
genre de-tyrannie plus fourde. Ce ne furent plus
des mafTacres, mais des jugemens iniques, des
formes de juftice qui fembîoient n’éloigner la
mort que pour flétrir la vie : la cour fut gouvernée,
& gouverna par plus d’artifices, par des.
arts plus e x q u i s a v e c un plus grand filence :
enfin au lieu de cette hardiefïe à concevoir une
mauvaife aélion., & de cette impétuofité à la
commettre , on ne vit plus régner que les vices
des âmes foibles & des crimes réfléchis.
Il s’établit encore un nouveau genre de" corruption
, les. premiers empereurs aimoient les plaisirs
, ceux-ci la molefle : ils fe montrèrent moins
aux gens de guerre, ils furent plus oiflfs, plus
livrés à fleurs domejftiques , plus attachés à leurs
palais, & plus féparés de l’empire. Le poifon -
de la cour augmenta fa force , a mefure qu’il .
fut. plus féparé ; on ne dit rien, on infinua tout ;
les grandes, réputations furent toutes attaquées,
&. les minières- & les officiers de guerre furent
mis fans .cefle à la diferétion de cette forte de
gens qui ne peuvent feryir l’état , ni fouffrir \
qu’on le ferye avec gloire. Le prince ne fut
plus rien que for le rapport de quelques confio
n s , qui toujours de concert , fouvent même
lorfqu’ils fembîoient être d’opinion contraire , ne
faifoient auprès de lui que l’office d’un feul.
Lé féjour de plufieurs empereurs • en Afie &
leur perpétuelle rivaliié avec les rois, de Perfe ,
«font qu’ils voulurent être adorés .comme eux;
& Dioclétien , d’atitres difent Galère l’ordonna ,
par un., édit. Ce fafle & cette pompe afiatique
s’établiflant, les yeux s’y accoutumèrent d’abord:
& lorfq ,ue Julien voulut mettre,,de. la fimplicité I
& de la modeflie dans fes manières, on appella
oubli de la dignité ce qui n’éîoit que la mémoire
des anciennes moeurs,
Quoique depuis .Marc-Auréieil y eût eu plu-
fleius empereurs , il n’y a voit eu qu’un empire ;
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& 1 autorité de tous étant.reconnue dans la p*o-
vlu ce , c’étoit une puiifancc unique exercée par
plufieurs. .Mais Galère & Con&ançe Chlore
n ayant pu s’acorder, ils. partagèrent réellement
i empire , & cet exemple que Conftantin Cuivie
lur te plan de Galère produifit une étrange révolution.
Ce prince qui n’a fait que des fautes
en matière de politique, porta le liège de l’empire
en Orient; cette divifton qu’on en fit le ruina
, parce que toutes les parties de- ce grand
corps liées depuis long-tenu enfcntble, s’éroient,
pour ainft dire , nuitées pour y refter 6c dépendre
les unes des autres.
Des que Conftantin eut établi fon liège à
Confiaittinople , Rome prelque entière y pafla,
& l'Italie fut privée de (es habitaos & de. fes
richelfes. L o r 6c 1 argent devinrent extrêmement
rares en Europe; 6c comme les empereurs en voulurent
toujours tirer les mêmes tributs , ils foule-
verent tout le monde.
Conftantin , après avoir aftbibli la capitale,
frappa un autre coup fur les frontières ; il ôta
les légions qui étoient fur le bord des grands
fleuves, & les dilperla dans les provinces : ce
qui produifit deux maux , l’un , que la barrière
qui contenott tant de nations fut ôtée ;& l’autre,
que les foldats vécurent & s’amollirent dans le
cirque 6c daps les théâtres.
Elufieurs autres caufes concoururent à la ruine
de 1 empire. On prenoit un corps de barbares
pour soppofer aux inondations d’autres barbares,
6c ces nouveaux corps'de milice étoient toujours
prêts a recevoir de l’argent, k piller & à
fe battre ; on eton fervi pour le moment ; mais .
dans la lutte, on avoir amant de peine à réduire
les auxiliaires que les ennemis.
Des nattons qui enrouroient l’empire en Eu-
ry % & j en„Af‘e ’. aE<orbèrent peu-à-peu les ri-
cheffes de* Romains; 6c comme ils s’étoient ag-
granois, parce que fo r & log ent de tous 1 1
:rois etoiem portes chez e u x , ils s'affoiblirent, .
parce que leur or & leur argent fut porté chez
.les autres. * Vous voulez des rfeheffes ? difoit
Julien a fon armee qui murmuroit ; u vo ilà .le
l’ ‘‘J s des Perfes, allons-en chercher. Croyez-
» mot, de tant de trélors que poiî'édoit la répu-
» bltque romame, ü ne refte plus rien , 8c le
.» mal vient de .ceux qui ont appris aux princes
» .a acheter la paix des barbares. Nos finances
[’ *ont éputfees , nos villes font détruites, nos
» provinces ruinées. Un empereur qui ne connoit
P j ,amres biens que ceux.de l’ame, n’a pas honte
» davouer une pauvreté honnête».
. Oe plds ^ les Romains perdirent toute leur discipline
militaire, ils abandonnèrent jufqu'à leurs
propres armes, Végèce dit que les foldats les
trouvant trop pefantes, ils obtinrent de l’empereur
.Gratien de quitter leur cuirafle, Sc- enfuit«
leur cafque; de façon qu’expofés aux coups fans
défenfe , ils ne fongèrent plus qu’à fuir. 11 ajosts »■
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te qu’ils «voient perdu la coutume de fortifier
leur camp; & que, par cette négligence, leurs
armées furent enlevées par la cavalerie des Barbares.
•
C’étoit une .règle inviolable des premiers R o mains
, que quiconque avoit abandonné fon pofte
©u lai fie fes armes dans le combat, étoit puni
de mo rt; Julien & Valentinien avoient à cet
égard rétabli les anciennes peines., mais les barbares
prijL à la folde des Romains, accoutumés
à faire la guerre, comme la font aujourd’hui les
Tartares, à fuir pour combattre encore, à chercher
le pillage plus que l’honneur, étoient incapables
d’une pareille difcipl'ine.'
Telle étoit celle des premiers Romains, qu’on
y avoit vu des généraux condamner leurs enfans
à mourir pour avoir , fans, leur ordre , gagné la
vi&oire : mais quand ils furent mêlés parmi les
Barbares , ils y cont radièrent un efprit d’indépendance
qui faifoit le caradlère de ces nations ;
& fi l’on lit les guerres de Bélifaire contre les
Goths , on verra un général prefque toujours
défobéi par fes officiers.
Dans cette pofition, Attila parut dans le
monde pour fe foumettre tous les peuples du
nord.. Ce prince dans fa maifon.de bois, où nous
le repréfente Prifcus , fe fit connoître pour un
des grands monarques dont l’hiftoire ait jamais
parlé. II. étoit maître de toutes les nations barbares
, & en quelque façon de prefque toutes
celles qui étoient policées. Il s’étendit depuis le
Danube jufqu’au Rhin r détruifit tous les forts &
tous les ouvrages qu’on avoit,faits fur ces fleuves ,
& rendit les deux empires trïbutaii es. ® n voyoit
à fa cour les ambafladeurs des empereurs qui
venoient recevoir fes< loix, ou implorer fa clémence.
Il avoit mis for l’empire d’orient un tribut
de deux mille cent livres d’or. Il envoyoit
à Conftantinople ceux qu’il vouloit récompenfer,
afin qu’on les, comblât eje biens, faifant un trafic
continuel de la frayeur des Romains. Il
étoit craint de fes fujets , & il ne. paroît pas qu’il
en fût haï. Fidèlement fervi des rois mêmes qui
étoient fous fa dépendance , il garda pour lui feul
‘l'ancienne fimplicité des moeurs des Huns.
Après fa mort, toutes les nations barbares fe
redivifèrent ; mais les Romains étoient fi foi blés ,
qu’il n’y avoit pas de fi .petit peuple qui ne
put leur nuire. Ce ne fut -pas un.e certaine in-
yafion qui perdit*l'empire, ce furent toutes fles
ïnvafions. Depuis celle qui fut fi générale fous
Gallus , il fembla rétabli, parce qu’il n’a voit point
perou de tesrain ; mais il alla de degrés en de-
§r^.> de la décadence à fa chute, jufqu’à ce
qu’il s’a&Vdh tout-à-coup fous Arcadius & Ho—
noriu5=
■ En .vgic on auroii rèchaff« les Barbares dans
leur pays * ils y feroient tout dejnême rentrés,
pour mettre en jure,te leur butin. En vain on
'iiternuiia, les villes, n’étoient pas moins.
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faccagées , les villages brûlés, les familles tuées
ou difperfées. Lorfqu’une province avoir été ra-
vagée , les barbares qui fuccédoient , n’y trouvant
plus rien, dévoient pafler à une autre.
On ne ravagea au commencement que la Thrace,
M/ f,e ’ Panuonie. Quand ces pays furent
dévaflés , on ruina la Macédoine , la Thefialie ,
la Grè ce; de-là il fallut aller aux Noriques. L ’empire,
cefl-a-dire le pays habité, fe rétrécifioit
toujours, & l’Italie devenoit frontière.
L ’empire d’occident fut le premier abattu , &
Honorius fut obligé de s’enfuir à Ravenne. Théo-
doric s’empara de l’Italie, qu’Alaric avoit déjà
ravagée. Rome s’étoit aggrandie, parce qu’elle
n’avoit eu que des, guerres fuccefiîves ; chaque
nation , par un bonheur inconcevable, ne l’attaquant
que quand l’autre avoit été ruinée. Rome
rut détruite, parce que toutes les nations l’ata-
què'rent à la fo is , & pénétrèrent par-tout,
L ’empire d’orient , après avoir -efiuyé toutes
fortes de tempêtes, fut réduit fous ces derniers
empereurs, aux faux bourgs de Conflantinople ^
& finit comme le Rhin , qui n’efl plus qu’uns
ruifleau lorfqu’il fe ] perd dans l’Océan.
J e n’ajoute qu’une feule, mais admirable ré-
fiéxion, qu’on doit encore .à M. de Montefquieiu
Ce n eft pas, d it-il, la fortune qui domine le
monde ; on peut le demander aux Romains qui
eurent une fuite continuelle de profpérités, quarttb
ils fe gouvernèrent for un certain plan, &;
une fuite non interrompue de revers-, lorfqu’ils«
fe condùifirent, fur un autre. II y a des caufes.
generales, foit morales , foit phyfiques, qui agif—
fent dans chaque monarchie, L’élèvent, la maintiennent
ou la précipitent : tous les accidens font
fournis à ces caufes ; & fi le hafard d’une-
bataille, c’èft-à- dire une caufe particulière , a
ruine un état, il y avoit une caufe générale
qui faifoit que cet état devoir périr par une;
feule^ bataille. En un mot , l’allure principale;
entraîne avec elle tous les accidens particuliers*.
C Le Chevalier d e J a u c o u r t . )
RO M E , X Espr it -Jean ie \H iftlh t, mod!) fièuc
d Ardene , de l ’académie de Matfeille ; né à Mar-
ieilleen 16S7. Mort atiflï à Marfeille en. j’748s
On a de lui des oeuvres p o fth um e s en quatre-
vohtmes in 1 1 ; ce font des fables , des odes,.
K c. des ouvrages couronnés par diverfes acadé-
nues..