
Catherine lui avoit plu ; le plus g ; and crime étoit de
les combattre ; il paroît que ce fut celui de fa première
femme, Eudoxie Lapuchin, qu’il avoir époufée
e t 16 89, & répudiée en 16 9 6 ; ce fut aufli celui
de fou malhemeux fils Alexis. (V o y e z l’article
Alexis Pétrowitç. ) Par l’examen que fait M. de
Voltaire de fa conduite Sc des pièces de fon procès
, il. ne paroît pas que ce jeune prince eût
mérité la mort; il paroît aufli qu’on abufa contre
lui du fecret de la confeflion oc des expreflions
d’un repentir dévot Sc d’une humilité chrétienne ;
au refte, fi l’on s’en tient au récit de M. de Voltaire,
le czar n’aura fouillé ni fes mains du fang
de fon fils, ni fa bouche par l’ordre de fa mort,
& lorfque Catherine, par humanité ou par politique,
intercédant pour fon beau-fils, fuivant le
témoignage que le czar lui en rendit publiquement,
difoit au czar, comme Phèdre à sTh é fé e ,
E p a r g n e z v o t r e f a n g , j ’ o f e v o u s e n p r i e r ;
S a u v e z -m o i d e l* h o r r e u r d e l ’ e n t e n d r e c r i e r .
Le czar pouvoit répondre comme Théfée :
N o n » M a d a m e , e n m o n f a n g m a m a in n ’ a p o in t t r em p é ,
M a i s l 'i n g r a t t o u t e fo i s n e m 'e f t p o in t é c h a p p é . .
Le Czarowitz fut condamné par un jugement
folemnel, & la lecture de fon arrêt, auquel on
dit cependant qu’il s’attèndoit, fut le coup qui
le tua; il l’entendit avec des convulfions qui fe
tournèrent en apopléxie : le père & le fils eurent
une entrevue dans laquelle on dit ( & il eft vrai-
femblable) qu’ils s’attendrirent le prince reçut
l ’extrême onâion , & mourut en préfence de toute
la cou r, le 5 juillet 17 18 .
D ’autres récits font moins favorables & au czar,
& à Catherine. Suivant ces ré cits, le czar fut
véritablement le bourreau de fon fils, & ce crime
fut accordé aux intérêts & aux intrigues d’une
marâtre.
D e s d r o i t s d e f e s e n f a n s u n e m è r e ja îo u f e
T a r d o n a e r a r em e n t a u f i l s d ’ u n e a u t r e é p o u f e .
Il eft certain du moins que fi Catherine vou-
loit qu’on laiffât la vie au czarowitz , elle vouloit
aufli qu’on le fît moine, & que la fucceflion paffât
à l’aîné des fils qu’elle avoit. eu de Pierre. Ce voeu
fut trompé, tous fes fils moururent dans l’enfance.
u Pierre, en -faifant imprimer & traduire le
» procès, dit M. de Voltaire , fe fournit lui-même
» au jugement de tous les peuples de la terre. »
Et tous les peuples de la terre l’ont condamné.
Il n’y a de fatisfaifant dans cette affaire que
le fentiment du clergé, donné par écrit avec trçp
de circonfpeôion fans doute, mais donne à un
maître defpoiique, à un père dénaturé, qui avoit
déjà condamné fon fils dans fon coeur.
u Si fa majefté, dit le clergé, veut punir celui J
n qui eft tombé, félon fes avions, Sc fhivamla
» inefure de fes crimes, il a devant lui des
» exemples de l’ancien teftament ; s’il veut faire
j> miféricorde, il a l’exemple de Jéfus-Chrift même,
» qui reçoit le fils égaré, revenant à repentance.;
» qui laiffe libre la femme lurprife en adul-
» tè re , laquelle a mérité la lapidation , félon la
» loi; qui préfère la miféricorde au facrifice ; il
» a l’exemple de Dav id, qui veut épargner Ab-
» falon , fon fils & fon perfécureur, car il dit à
» fes capitaines qui vouloient l’aller combattre ,
» épargneç mon fils Abfalon. Le père le voulut
« épargner lui-même, mais la juftice divine ne
» l’épargna poinr.
» Le coeur du czar eft entre les mains de Dieu ;
» qu’il choififlTe le parti auquel la main de Dieu
n le tournera ».
On voit du moins à travers toutes ces.réferves,,
que le voeu du clergé étoit pour la clémence.
On fait que le baron de Goërtz, qui gouver-
noit Charles X I I depuis le retour de ce prince
dans fes états, & le cardinal Albéroni qui gou-
vernoit i’Efpagtie, voulurent changer entièrement
le fyftême de l’Europe, réconcilier le czar avec
Charles X I I , la Ruflie avec la Suède, & comme
il falloit toujours à Charles X II quelque roi à
détrôner, on lui donnoit à détrôner Georges I ,
roi d’Angleterre , en faveur de la maifon Stuart.
Charles X II donna dans tous ces projets; Pierre
fe contenta de les examiner. Un._congrès fut ouvert
dans l’île d’Aland; cependant la guerre continuent
toujours entre les Suédois & les Ruffes ,
lorfque Charles XU fut tué d’un coup de cafton
devant Fréderickshall, le n décembre 17 18 . La
guerre continua cependant encore , mais, fans cette
a&ivité qu’y avoit mife autrefois la rivalité per-
fonnelle de Charles & de Pierre ; elle ne finit
que par la paix de Neuftad, fignée le 10 feptembre
1 7 2 1 , près de trois ans après la mort de Charles X II.
Ce fut alors que les titres de grand & de père
de la patrie furent folemnéllement déférés au czar
par le fénat de Pétersbourg & la nation ruffe.
Celui de grand lui a été confirmé par les nations
étrangères.
En 17 16 & 1 7 1 7 , le czar avoit repris le
cours de fes voyages de curiofité, interrompu par
les affaires qui occafionnoient d’autres voyages.
Il n’y avoit prefque pas d’année qu’il ne parcourût
les diverfes parties de fon vafte empire, avec
cette célérité, cette a â iv ité , qui avoit étonné
autrefois dans Charlemagne. Il parcouroit de même
les différentes cours pour traiter en perfonne avec
fes alliés : en 1 7 16 , il courut à Copenhague,
en Pri’ffe , en Allemagne , en Hollande ; il revit
Amfterdam & fa chaumière de Sardam , qu’il
trouva changée en une maifon commode & agréable
, nommée la maifon du prince.
Il lui reftoità voir la France, dont une oppo-
fition d’intérêts & de principes l’avoit tenu éloigné
pendant
■ ptnaant la vie in Louis X IV ; il y vint fous 1a
fègence en 17 17 . ■ _ .
« Le czar,, dit M. de Fonteneile , fut fort tou-
98 ché de la perfonne; du. roi Louis X V , encore
„ enfant. On le vit qui traverfo'it avec lui les
yy appartemens du louvre, le conduifant par la
» main, & le prenant prefque entre fes bras,
» pour le garantir de la foule, aufli occupe de
?> ce foin & cTune manière aufli tendre que fon
v propre gouverneur *
Des gens qui aiment à entendre finefte a tout,
tfont pas manqué de raffiner fur ces marques d intérêt,
données par un grand homme a un enfant ;
ilst-ont prétendu que le maréchal de Ville roi avoit
voulu faire prendre au roi de France la main &
le pas, & que l’empereur de Ruflie qui s’en ap-
perçut, fe fervit de ce ftmagême pour déranger
le cérémonial par un air d’affeâion &. de fenfibilité;
M. de Voltaire rejette cette idée , M. de Fonteneile
n’ en parle pas, •& il paroît qu’on étoit bien moins
occupé des chicanes de l’étiquette, que du foin
-dhonorer un grand homme, & de mettre dans
tous les details.de l’accueil, cette grâce & cette
urbanité ingénieufe qui diûinguoient alors^la nation
•françoile. Quand Pierre le Grand alla dîner chez
le duc d’Antin à Petit-bourg , la première çhofe
qu’il vit dans le falon , chez cet enchanteur , connu
par tant de merveilles du même genre, ce fut fon
portrait en grand avec le même habit quil portoit.
Quand il alla voir la monnoie des médailles , on
en frappa plofieurs devant lui, il en tomba une à
fes pieds, on la lui taiffa ramafler. Il s’y vit gravé
arfaitement, il y lut fon nom : Pierre le Grand,
e revers étoit «ne renommée, & la legende fi
ingénieufement appliquée à fes voyages , étoit ce
mot de. Virgile-: vires ac-quirit eundo,
Ôn fait que quand il alla en Sorbonne voir le
tombeau du cardinal de Richelieu, il embraffa fa
ftatvie avec tranfport, & s’écria: Grand, homme■ ,
je tdurois donné la moitié de mes états pour apprendre
de toi à gouverner l ’autre! C’étoit l’éloge
d’un defpote dans la bouche ,d’un clef pote ; mais
du moins le czar n’employoit fon autorité defpo-
■ fique qu’à faire le bien de fa nation; en peut-on
dire autant de Richelieu ? Les docteurs de‘Sorbonne
profitèrent de l’occafion pour propofer dc( nouveau
, la réunion fi fouvent & fi vainement tentee ,
de l’èglife grecque & de Péglife lit.ne. Le cztr
parut affez froid fur ce projet. ; il le fut beaucoup
moins fur l’honneur d’être aflocié à l’académie des
fciences. 1) y vint le 19 juin ‘1 7 1 7 , & l'académie,
dit M. de Fonteneile , Te . para de ce qu’eile
avoit de plus nouveau & de plus curieux en fait
d’expériences & de machines. Dès ’qu’il fut retourné
dans fes états, il fit écrire par fon premier médecin
à M. l’ abbé Bignon, qu’il defiroit d’être
membre de cette compagnie , & quand elle lui
eût rendu grâces, il .ni en écrivit lui-même une
lettre, qu’on n’o fe , dit encore M. de Fonteneile ,
eppeller une lettre de remercîment, quoiqu’elle
Ht foire. Tome IV.
1 Vint d-uti {cuverai n qui s’étoit accoutumé depuis 1 long-temps- à être homme. C’èft principalement
comme académicien que M. de, Fomenelle den-
vifage dans fon éloge , mais comme académicien,
roi &. empereur, qui a établi les. fciences &. les
arts dans les vaftes états de fa domination.
Obligé de choifir parmi les nombreux établii-
femens dont la Mofcovie lui eft redevable, il
donne des principaux une lifte fuccinâe, que nous
abrégerons encore.
Une infanterie de cent mille hommes , auïu
belle & aufli agguerrie qu’il y en ait en Europe,
Une marine de quarante vaiffeaux de ligne &
de deux cents.galères.
Des fortifications à toutes les places qui en méritent
parleur importance ou parleur fituation.
Une excellente police dans les grandes villes ;
aufli dangereufes auparavant pendant la n*iit que
les bois les plus écartés.
Une académie de marine & de navigation.
Des collèges à Mofcou, à Pétersbourg & à K tô f,
pour les langues, les belles-lettre< & les mathématiques.
Des écoles dans les villages pour apprendre
à lire •& à écrire.
Un collège de médecine & une apothicairerie
publique à Mofcou ; avant lu i, il n’y avoit eu ni*
médecin, ni apothicaire dans tout l’empire.
Des leçons publiques d’anatomie, fcience dont
avant lui le nom même n’étoit pas connu en
Ruflie; il acheta le cabinet de M. Ruyfch, fameux
par tant de difleétions fi fines.
Un ôhfervatoire où, indépendamment de ce qui
concerne l’aftronomie, on renfer-me toutes les eu-
fiofités d’hiftoire naturelle.
Un jardin dès plantes , fait pour étendre le régne
de la botanique , en joignant aux végétaux .alors
connus en Europe, les végétaux encore inconnus
du nord de l’Europe & ceux des diverfes contrées
de l’Afxe. / ’• .. . . .. _ . . v-
Des imprime fiés, dont il à ‘ changé les anciens
caraétères trop barbares, & défigurés par des abréviations
fréquences.
Des interprètes pour, toutes les langues de l’Europe,
& dé plus pourles langues latine , grecque ,
turque , calmouque, mon gui e ôc chinoife.
Une bibliothèque royale, formée de trois grandes
bibliothèques, achetées en Angleterre, en Aile-,
magne & dans le Koiftéin.
Voilà ce qu’a fait le roi académicien , & ce qu’il
â fait malgré des obftacles où la fuperftition étoit
parvenue à intérefler la religion , car l’ ignorance
paflfe aufti en dogme & en lo i; la loi ou Pufage
dtfendoit la forrie du royaume, Sc n’étoit pas
favorable à fadmiflfon des étrangers; l’introduction
du tabac dans la Ruflie fut une affaire de
religion , car les Turcs fumoient , & tout
ce que faifoient les Turcs devoit néceffaire-
ment être contraire à la religion. « Les chan-
» gemens les plus indifférens & les plus légers,'
» tels que.celui des anciens habits ou le retran-
*