
pptuofité extrême ; ainfi la république étoit dans
une guerre continuelle , & toujours -violente. Or,
une nation toujours en guerre, & par principe 1
de gouve rn em en t, devoit néçeffair.ement p é r i r , I
ou venir à bout de routes les a u t r e s , q u i , tan- i
tôt en guerre , tantôt en p a ix , n’étoient jamais
û propres à attaquer , ni fi préparées à fe défendre.
Par-là , les Romains acquirent un,e profonde
connoiflance de l’art militaire, Dans, les" guerres
p â fla g è re s, la plupart des exemples font perdus;,
la paix d.onne d’antres idées , & ou oublie fes
fau te s , & fes vertus mêmes. U n e autre fuite du
principe de la guerre continuelle, fu t , que les
Romains ne firent jamais la paix que vainqueurs:
en e ffe t , à quoi bon faire une paix honteufe
a y e c un peuple , pour en aller attaquer un autre ?
Dans cette idée , ils. augmentoiem toujours leurs
prétentions à mefure de leurs défaites : pan-là,
ils cpnfternoient les v a in qu eu rs, & s’impofoient
à, eux-mêmes une plus grande néceffité de va in cre.
Toujours expofés aux plus affreufes vengeances,
la confiance & la valeur leur devinrent nécef-
fa ir e s ; & ces vertus ne purent être distinguées
c.hez eux de l’amour.de foi-même , de fa famille,
de fa p a t r ie , &. de tout ce qu’il y a de plus
cher parmi les.hommes.
- L a réfiftance des peuples d’I ta lie , & en même-
tems l'opiniâtreté des Romains à les fubjuguer ,
leu r donna des viéioires qui ne les .corrompirent
p o in t, & qui leur laiffèrent toute leur pauvreté.
S ’ils avoient rapidement conquis toutes les villes
voifines . ils fe fereient trouvés dans la décadence
& l’ arrivée de Pyr rh u s, des Gaulois éb d’Annibal;
& par là deftinée de prefque tous les états du
m on d e , ils auroient paffé trop v ite de la' pauv
re té aux rich e ffes, & des richefles à la corruption.
M a is.R om e faifant toujours des e ffo r t s , &
trouvant toujours , des obftacles,.. faifoit fentir fa
puiffance , fans pouvoir l’é ten d re ; & dans une
circonférence très-petite, elle s’exerçoit à. des
ve r tus qui dévoient être fi -fatales à l’univers.
On fait à quel point les Romains perfectionnèren
t l’art de la guerre , qu’ils regardoient comme
le feijl art qu’ils euffent à cultiver. C ’e ff fans-
doute un d ieu , dit V é g è c e , qui leur infpira la
légion. Leurs troupes érant toujours les mieux
disciplinées, il étoit difficile que dans le combat
le plus ma lheureux, ils ne fe ralliaffent quelque
p a r t , ou que le défordre ne fe mît quelque part
chez, les ennemis. Auffi les voit-on continuellement
dans les hiftoires , quoique furmontés dans
le commenctment par le nombre ou par l’ardeur
des en n em is, arracher enfin la v i&oire de leurs
mains. L eu r principale attention étoit d’examiner
en quoi leur ennemi pouvoit a voir de la- fupé-
- riorité fur eux ; & d'abord ils y mettoient ordre.
I ls s’accoutumèrent à vo ir le fang & les bleffures
dans les fpeétacles des g ladiateurs, qu’ils prirent
des Ftrufques. ,
L e s épées tranchantes des G a u lo is , le s éléphans
de Pyrrhus ne les furprirent qu’une fois. Ils flip^-
pléerent à la foibleffe de leu r .c a v a le r ie , d’abord
en otant les brides des ch e v a u x , pour que l?im-
pétuofité n’en pût être arrêtée;, enfuite, en -y mêlant
des vélites. Quand ils eurent connu l’épée
e fp a gn o le , ils quittèrent la leur. Ils éludèrent la
fcience des p ilote s, par l’invention d’une machine
que P o lyb e nous a décrite. E n fin , comme dit
J o f e p h , J a guerre étoit pour eux une méditation,
la paix un exercice. Si quelque nation tint de la
nature ou de fon inftitution quelqu’avantage particulier
, ils en firent d’abord ufage 1 ils n’oublièrent
rien pour avoir des chevaux numides, des
archers Cretois , des frondeurs baléares, des v a if-
feaux rhodiens. En un m o t, jamais .nation ne
prépara la guerre avec tant de prudence, & ne
la fit avec tant d’audace.
Rome fut un prodige d e confiance , & cette
confiance fut une nouvelle fource de fon é lé v a tion.
A p rè s les journées du T é fin , de T rébies
& de Thrafimene ; après celle de C an n es, plus
funefte en co re , abandonnée de prefque tous le s
peuples de l’Ita lie ; elle ne demanda point la paix»
C ’eft que le fénat ne fe départoit jamais des maximes
anciennes : il agiffoit avec A n n ib a l, comme
il avoit agi autrefois ave c P y r rh u s , à qui il avoit
refufé de faire, aucun accommodement, tandis
qu’il feroit en Italie : on trouve , dit Denys.
d ’Halicarnaffe, que lors de la négociation de C o -
riolan , le fénat déclara qu’il ne vio le ra it point
fes coutumes'*" anciennes , que le peuple romain
ne pouvoir faire de p a ix , tandis que les ennemis
.étoient fur fes te r re s, mais que fi les V o lf-
ques fe re t iro ien t, on accorderoit tout ce qui
feroit jufle.
Rome fut fauvée paV la force de fon înftitu-
tion. Après la bataille de Cannes , il ne fut pas
permis aux femmes même de v e r fe r des la rm e s;
le fénat refufa de racheter les p rifonnie rs, &
en v o y a les miférables reftes de l’armée faife la
guerre en Sicile , fans récompenfe ni aucun honneur
militaire , jufqu’à ce qu’Annibal fût chafle
d’Italie. D ’un autre c ô té ., le confuf Terentius
Varron avoit fui1 honteufement jufqu’à Vcnoufe :
cet homme,, de la plus petite naiffance , n’avoit
été é levé au confulat que pour mortifier la no-
bleffe. Mais le fénat ne voulut pas jouir de ce
malheureux triomphe: il v it combien i l étoit
néceffaire qu’il s’attirâ t, dans cette ©ccafion , la
confiance du peuple ; il alla au devant de Varron ,
& le remercia de ce qu’il n’avoit pas défefpéré
de la république.
A peine les Carthaginois eurent été domptés,
que les Romains 'attaquèrent de nouveaux peup
le s , & parurent dans toute la terre pour tout
envahir ; ils fuhjuguèrent la G r è c e , les ro y au mes
de Ma cédoine , de S y r ie & d’E g yp te . Datîs
le cours de tant de p ro fp é rité s, où l’on fe néglige
pour l’ordinaire, le fénat agiffoit toujours
aye c la même p rofon deur, & , pendant que les
«rmées confternoient tout, il tenoit à terre ceux
qu’il trouvoit abattus. Il s’ érigea en tribunal qui
"jugea tous les peuples. A la fin de chaque g u e r re ,
il décidoit des peines & des récompenses que
chacun.a voit méritées, I l ôtoit une partie du domaine
du peuple v a in cu , pour la donner aux
alliés : en quoi il faifoit deux chofes : il attachoit
à Rome des rois dont elle avoit peu à craindre,
& beaucoup à efpérer ; & il en affoibliffoit d’autres
; dont elle n’avoit rien à efpérer , & tout à
craindre. On fe fervoit des alliés pour faire la
.guerre à un ennettji ; mais d’abord on détruifoit
le s defiru&eurs. Philippe fut vaincu par le moyen
des E to lien s, qui furent anéantis d abord a p rè s ,
pour s’être joints à Antioehus. Antioehus fut
vaincu par .le fecours des Rhodiens ; mais après
■ qu’on leur eut donné des récompenfes éclatant
e s , on les humilia pout jamais , fous prétexte
qu’ils avoient demandé qu’on -fît la paix avec
Perfée.
Les Romains fachant combien les peuples d'Europe
étoient propres à la .gue r re , ils établirent
«omme une lo i , qu’il ne feroit permis à aucun
roi d’Afie d’entrer en E u ro p e , & d’y affifier
quelque peuple que ce fût. L e principal m o tif
de la guerre qu’ils firent à Mithrïdare, fut qué ,
contre cette d é fen fe , il assoit fournis quelques
barbares.
Quand quelque prince avoit fait une conquête,
qui fouvent l’avoit é p u ifé , un ambaffadeur romain
furvenoit d’ab ord , qui la lui arrachoit des
mains. Entre mille e xem p les, on peut fe rap-
peller com men t, avec-une feule p a ro le , ils chaf-
lèrent d’E g yp te Antioehus.
Lorfqu’ils vo yo ien t que deux peuples étoient
en gu e rre , quoiqu’ils n’euffent aucune allian ce,
ni rien à démêler ave c l’u n , ni ave c l’au tre , ils
ne laiffoient pas de paroître fur la fcèn e ,
comme nos chevaliers e rran s, ils prenoient lé
parti du plus foible. C ’é tû it , dit D e n y s d’H alica
rn a ffe, une ancienne coutume des Romains
d’accorder toujours leur fecours à quiconque ve-
noit l’implorer.
Ils ne faifoient jamais de guerres éloignées
fans s?être procuré quelques alliés auprès de l’ennemi
qu’ils a ttaquaient, qui pût joindre fes troupes
à 1 armée qu’ils envoyoient : & comme elle
n’étoit jamais confidérable par le n om b re , ils
obfervoient toujours d ?en tenir une autre dans
la province la plus voifine de l’en n em i, & une
troifième dans Rome , toujours prête à marcher.
A in f i , ils n’expofoient qu’une très-petite partie
de leurs forces , pendant que leur ennemi mettoit .
toutes les fiennes aux hafârds de la guerre..
Ges coutumes des Romains , qui Contribuoient
tant à leur gran d eu r, n’étbient point quelques
faits particuliers arrivés par h afard ; c’étoient des
principes toujours conftans; & cela fe peut voir
a ifément; car les maximes dont ils firent ufage
contre Les plus grandes puiffances, furent précifément
celles qu’ils avoient employées dans le
commencement contre les petites ville s qui étoient
autour d ’eux.
Maîtres dé l’univers , ils s’en attribuèrent tous
' les tré fo rs; raviffeurs moins injuftes en qualité
de conquérans .qu ’en qualité de légiflateurs. A y a n t
fu que P to lom é e , roi de C h y p r e , avoit des ri-
cheffes immenfes,ils firent une lo i,fu r la propofitiou
d’un tr ib u n , par laquelle ils fe donnèrent l’hérédité
d’un homme v i v a n t , & la confifcation d’uti
prince allié . Bieritôt la cupidité des particuliers
acheva ce qui avoit échappé à l’avarice publique.
L e s magiftrats & . les gouverneurs vendoient aux
rois leurs injuftices. D e u x compétiteurs fe rui-
noient à l’e n v i , pour acheter une proteélion toujours
douteufe contre un rival qui n’étoit pas
entièrement épuifé : car on n’avoit pas même
cette juftice des brigands, qui portent une certaine
probité dans l’exercice du crime. Enfin ,le s droits
légitimes ou ufurpés ne fe fourenant que par de
l’argent, les princes, pour en avoir , dépouilleient
I les temples , & confifquoient les biens des plus rr-
1 ches citoyens : on faifoit mille crimes , pour d on ner
aux Romains tout l’argent du monde. C ’eft
ainfi que Va république romaine im p r im a du refpeéL
à la terre. Elle mit les rois dans le ftlence, &
les rendit comme R ap id e s .
Mirhridate feul fe défendit ave c courage ; mais
enfin il fut accablé par S y lla , L ucullus & Pompée
; ce fut alors qwe ce dernier , dans la rapidité
des fes victoires, acheva le pompeux ouvrage de
la grandeur de R om e . Il unit au corps de fon
empire- des p ays in fin is ; & cependant cet ac*
croiffément d’états , fe rv it plus au fpeétaclê de la
fplendeur rom a in e , qu’à fa véritable puiffance *
& au foutien de la liberté publique. D é vo ilo n s
les caufes qui concoururent à fa décadence , à fa
ch u te , à fa ru in e , & reprenons-les dès leur ori-
g»ne.
Pendant que Rome conquéroit l’uhivers , il y i
avoit dans fes murailles une guerre cachée ; c’ étoient
des feux comme ceux de ces volcans qui
fo r te n t , fitôt que quelque matière vient à e »
augmenter la fermentation.
Ap rè s l’expulfion des ro is , le gouvernement»
étoit devenu ariflocratique ; les familles patriciennes
obtenoient feules toutes les d ignité s, & par?
conféquent tous les honneurs militaires & c iv ils .
L e s patriciens voulant empêcher le retour de%
ro is , cherchèrent à augmenter le mouvement qui:
étoit dans l’efprit du peuple ; mais ils firent plus
qu’ils ne voulurent : à force de lui donner de la
haine pour les r o i s , ils lui donnèrent un defir
immodéré de la liberté. Comme l’autorité ro y a le
■ avoit paffé toute entière entre les mains^ tie s
c o n fu ls, le peuple fentit que cette liberté dont
on vouloit lui donner tant d’amour , il ne l’ à vo it
p a s : il chercha donc à abaiffer le confulat, à
a voir des magiftrats plébéiens , & à partager
ave c le s nobles les magiftratures curules. L e s pa**