
Vouj allumez un feu qui ne pourra sYteindre.
Craint de tout l ’univers , il vous faudra tout craindre ;
Toujours punir , toujours trembler dans vos projets ,
Et pour vos ennemis comp:er tous vos fujets.
Tout le monde fe fouleva contre Phocas, juf-
qu’à' Crilpe , fon gendre. On appella du tond de
l’Afrique Héraclius pour le dctrôn r. Cet Hé radius
n’étoit pas fils de Maurice, comme Corneille
l*a fuppofé ; il étoii fils d’un exarque d’Afrique,'
grand-général fous l’empire de Maurice, il arrive ;
une bataille navale, où Crifpe fe rangea de fon
coté , le rend maître de Conftantinople ; un féna-
teur, dont Phocas a voit déshonoré la femme, fe
faim du tyran ; dépouillé de là pourpre, couvert
d’une méchante cafaque noire , on le conduit au
riv a g e , les mains liées derrière le dos. On le
donne en fpeétacle dans une barque à tous les
vaiffeaux rangés dans le port : il eft enfuite pré-
fentè à déradius : » Malheureux , lui dit ce vain-
» queur avec un mépris mêlé d’indignation, c’eft
» donc ainfi que tu as gouverné T empire ? gouverne-le
» mieux y répondit Phocas « ; Héraclius le renver-
fe , le foule aux pieds , lui fait trancher la tête,
après l’avoir fait mutiler horriblem. nt. Ce monftre
mourut le 5 oélobre 6 10 , ayant régné fept ans
dix mois & neuf jours. Voici le portrait qu’en fait
l’auteur de l’hiftoire du Bas-Empire : » fans hon-
» neur , fans courage , faîis étude du métier de
» la guerre, dont il ns connoiffoit que le défor-
» dre & la licence, adonné au vin , aux femmes,
» brutal, impitoyable , il n’ eût pas été digue le
» commander à des Barbares , fon extérieur re-
» pondoit à cet affreux cara&ère. Une laideur dif-
n forme , un regard fombre & farouche , des che-
n veux roux , des fourcils épais & réunis , une
» cicatrice qu’il portoit au vifage, & qui. fe'noir-
» cifloir dans la colère, tout annonçolr une aine
» féroce & fanguinaire. Léontie fa femme, étoit
» digne de lu i. fans éducation comme fans ve rtu,
» faite pour un foldat,non pour un empereur,
n il la fir , félon l’ufagey couronner impératrice
» & proclamer augufle. u
PHOC IO N, ( Hiß. anc.) grand capitaine athénien
, perfonnage illuftre & vertueux , dont la
deftinée accufe hautement l’ingratitude des républiques
, & fait détefier l’efprit d’oftracifme. Il
parut dans les derniers temps de la république
d’Athènes, & la vertu y fut prefque aufii déplacée
que celle dés Catons le fut dans Rome.
Il avoit étudié dans l’académie fous Platon &
enfuite fous Xénocrate. Né vertueux, fes moeurs
formées à c.ette école acquirent un degré d’auf-
é rité , qui n’avoir pourtant rien de farouche &
qui s’alüoit avec la plus grande douceur ; mais
fon extérieur étoit impofant, févère & calme ;
jamais on ne le v i t , ni rire , ni pleurer , ni aller
aux bains publics. En campagne , à l’armée , -
il marchoit toujours comme Socrate, nuds pieds
& fans manteau, à moins qu’il ne fît lin froid
ex ce flif, & c’étoit une efpèce de proverbe ufitê
par mi les foldats, de dire-, lorfqu’ils le voyoient
chauffé couvert de fon manteau : Phocion vètu9
figne de. grand hiver.
Son éloquence étoit aflortie à ce caraélère ;
pleine & concife , difant beaucoup, laiffant beaucoup
à entendre, d’une logique red utable à toute
l’éloquence de Démoli Irène , qui difoit , en le
voyant paroître pour haranguer : Ah ! voilà la
hache de tous mes difeours. Phocion trouvoit toujours
qu’on parlait ttop & qu’on ne difoit ,pas
affez, & il n’étoit pas fur ce point plus indulgent
pour lui même que pour les autres. In jour pa-
roiffant rêvei r dans une affemblée où il fe pré-
paroit à parler , je fange, dit-il à ceux qui lui
demandoient le fujet de fa rT verie . fa je ne puis
rien retrancher de ce que f a i à dire.
De fon temps, un même homme ne fuffifoit
plus aux divers emplois de la paix & de la guerre ;
l’un fe bornoit aux fondions civiles , l’autre aux
exercices des armes : pour lu i, à l’imitation de
Solon, d’Ariffide, de Périclès, il joignit à la fcience
politique les talens militaires Nul capitaine' ne
fit un auffi grand nombre de campagnes. Il fut
chargé quarante-cinq fois du commandement, fans
jamais l’avoir fol li ci té ; ce fut toujours en fon
abfence qu’on le choifit pour le mettre à la tête
des armées , & toujours on s’en trouva bien. Philippe
, roi de Macédoine , père d’Alexandre, qui
avoit pris parti dans la guerre facrée pour trouver
l’occaficn d’aflervir la Grè ce , avoit déjà pris plu-
fieurs places importantes dans l’ifle d'Eubée. Plutarque
d'E.étrieappelloit à fon fecours les Athénier s ,
mais le traître d’accord avec Philippe, ne cherchoit
qu’à les attirer dans le piège & qu’à les lui livrer.
Phocion qui commandoit ce fecours d’Athéniens ,
d- mêle les artifices de Plutarque , les prévient
le bat & le chaffe d’Erétrie , il fait enfuite lever
les fièges de Périmhe & de Byfance à Philippe
lui-même. Pfit’ippe tâcha de le gagner ; des députés
de ce prince vinrent lui offrir des fommes
d argent ccnfidérables en le preffant de les accepter
, fi non pour lui, d i moins pour fes enfans,
Subruit cemulos
Reges muneribus,
dit Horace en parlant de Philippe ; mais les
rois mêmes étoient plus aifés v fubjuguer parles
préfer.s que Phocion : Si mes enfant me njfemblent,
répondit il , le champ qui m’ a nourri les nourrira ;
ils trouveront comme moi la gloire au jeïh de la médiocrité
; s’ils dégénèrent de la vertu de leurs pères ,
je ne veux point leur laijfer des rich.ffes pour en-
tietenir leur luxe.
Alexandre voulut auffi le tenter & lui fit offrir
une fommè de cent mille écus Pourquoi, dit Pho-
cian , Alexanh e me choifit-il parmi tous les Athéniens
pour me faire une telle o f fre ?—- c ’eff un
gage de fon eftime, lui répondit-on, . c’eft parce
qu’il vous juge avec raifon le plus vertueux des
Athéniens. *— Qu’il me laiffe donc être vertueux
. & mériter fon eftime. Alexandre lui écrivit qu’il
ne mettoit point au nombre de fes amis ceux qui
ne vouloient rien recevoir de lui. Eh bien , dit-il,
je veux recevoir quelque chofe d’Alexandre, &
il lui demanda la liberté de quatre prifonniers
enfermés dans la citadelle de Sardes ; il l’obtint
fur le champ. Aux premières nouvelles de la
mort d’Alexandre, qui, fous le titre de général
& de vengeur de la Grèce , en avoit été l’op-
prefleur, ainfi que Philippe fon père , Athènes
le iivroit aux tranfports d’une joie immodérée &
peu décente; elle ne parloit que de liberté, elle
ne refpiroit que la guerre contre la Macédoine,
Sc ces éclats tumultueux ne laiffoient aucun lieu
à la réflexion & au confeil. Phocion toujours fage
& modéré , voyant que fi la nouvelle venoit
à fe trouver fauffe , il ne refteroit à fes concitoyens
que la lion te & le danger de s’être déclarés fi légèrement
, leur dit : « S i Alexandre ejl mort auj ourdi hui,
3) il le fera encore demain & encore après demain , &
nous aurons tout 1e temps de délibérer plus mûre-,-
3» ment & plus tranquillement fur le parti qu’il faut
s? prendre. « Léofthène , qui le premier avoit répandu
cette nouvelle , foutint qu’on ne devoit plus
rien attendre , & propofa la guerre avec beaucoup
de fade & d’audace: « Jeune-homme , lui dit Pho-
s» don , vos difeours reflemblent aux cyprès; ils
» font grands & hauts, mais ils ne portent point
» de fruit. « Il n’y a point de citoyen plus ref-
pedable que celui qui , habile & heureux à la
guerre , aime à recommander la paix ; tel étoit
Phocion. u Eh ! quand donc , lui dit l’orateur
Hypéride , confeillerez - vous la guerre aux
s» Athéniens, fi ce n’eft dans ce moment J ce
■s>. fera , lui répondit Phocion , quand je verrai les
» jeunes gens prendre une ferme réfolution de
»» garder une exaéie difeipline , les riches contri-
» buer félon leur pouvoir aux frais de la guerre,
s» & ceux qui manient les deniers publics , s’abf-
3» tenir de les voler ; il pouvoit ajouter: & même
s? encore alors je confeillerois la paix , à moins
» qtiMle rie fût incompatible avec la liberté ; mais
» la liberté eft toujours bien plus menacée par
3p la guerre que par la paix. »
La guerre fut réfolue, malgré les remontrances
de Phocion, & elle fut en effet ftinefte à la liberté
d’Athènes ; mais elle parut commencer affez
heureusement. Ce Léofthène , qui avoit tant recommandé
la guerre, y reçut des bleflures dont
il mourut peu de temps après, mais il y acquit
quelque gloire x que les partifans de la guerre
exagéroient beaucoup. Les ennemis de Phocion,^
croyant le mortifier, lui demandoient s’il ne voudrait
pas avoir fait toutes les belles chofes qu'avoit
faites Léofthène? Oui, répondit Phocion , je voudrais
les avoir faites , mais je ne voudrois pas avoir
confeillé la guerre. O a eut encore quelques petits
HiftoirCf, Tome IV,
fuccês ; Phocion s’en affligea , en voyant qu'ils
ne faifoient que creufer plus piofondément l’abîme
où on alloit fe précipiter. Quand cefferons-jious
donc de vaincre 9 difoit—il ?
L a fortune changea , il fallut demander la
paix , & on ne put l’obtenir qu’à des conditions
dures ; ce fut Phocion qu’on chargea de la négoc
ie r, & telle quelle fut, on s’eliima trop heureux
de l’avoir obtenue. Antipartr , fucceffeur
d’Alexandre , & auffi rempli de refpeâ pour
Phocion, lui accorda pour fes compatriotes toutes
les grâces qu’il crut pouvoir concilier avec la
politique.-Ce fut encore un ami que Phocion perdit
en perdant Antipater. Polyfperchon , qu’An-
tipater en mourant nomma régent du royaume
& gouverneur de la Macédoine , voulut fe rendre
maître d A thènes, il comprit que ce feroir une
chofe inipofîible tant que cette ville auroit un
citoyen tel que Phocion; il réfolut de le perdre;
Phocion y avoit établi l’oligarchie fous Antipater.
Polyfperchon, pour paroître populaire, y rétab it
la démocratie, admit aux charges tous les citoyens
indiiiindement, rappella dans la ville tous les
bannis , & dans des affemblées tumultueufes il
parvint à faire ôter à Phocion toute autorité dans
le gouvernement ; puis, comme le peuple ne fait
pas s’arrêter , bientôt il accufa Phocion de trahi-
fon ; celui-ci qui n’avoit, ni pénétré les noirs projets
de Polyfperchon , ni apperçu fes intrigues
fouterraines;, crut pouvoir trouver un afyle auprès
de lu i, comme il en eût trouvé en pareil cas
auprès d’Alexandre & d’Antipater ; Polyfperchon
le renvoya au jugement du peuple , c’eft-à-dire,
de gens que Polyfperchon avoit rendus ennemis
de Phocion. Dans l’affemblée qui fir convoquée
pour juger ce dernier , on admit tous les étrangers
, tous, les efcjaves, tous les bannis , tous les
gens notés d’infamie. Phocion & ceux qu’on voulut
regarder comme fes complices , comparurent devant
ces juges , comme le prévôt devant un tribunal
de voleurs; à ce fpeâacle , les gens de bien
baifferent la _vue, fe couvrirent la tête & ver-
fèrent un torrent de larmes. Quelqu’un ofa demander
qu’on jn fortir de l’affemblée les efclaves
& les étrangers ; la populace s’écria qu’il falloit
lapider ces partifans dé l’oligarchie , ces ennemis
du peuple. Phocion voulut parler pour fe défen- .
dre, il fut toujours interrompu & fa voix toujours
étouffée. C’étoit une coutume établie dans
Athènes, quel’accufé déclarât avant le jugement ,>
quelle peine il crôyoit avoir méritée. Phocion demanda
la mort pour lu i , & la grâce Si la liberté
de ceux qu’on lui avoit âffociés dans l’accufation :
tous furent condamnés à perdre la v ie , & on
les conduifit au cachot. Phocion , au milieu de
fes parens & de fes amis conftemés, gardoit un
vifage ferein & un efprit ferme; un homme du
peuple accourut au devant .de lui & lui cracha au
vifage. Phocion fe tournant tranquillement du côté
des magiftrats, fo contenta de dire avec douceur:
M m