
L e duc de Normandie étoit -fans ceffe harcelé
par tous fes voifins , fur-tout par les comtes de
C h a rt re s; ceu x -c i lui fufcitèrent tant d’ennemis,
que R ich a rd I I crut devoir appeller à fon fe-
ccurs les rois de Suède & de N orv ège . La France
en frém it, elle craignit de vo ir renaître les incendies
8c les ravages dont les pirates Normands
l ’avoient affligée pendant tout le neuvième fiécle.
L e roi Robert employa fa médiation auprès du
duc de N o rm an d ie ; on défarma ces ennemis, &
il ren v o ya ces é trangers, qui cependant laiffè-
rent de funeftes traces de leur paffage ; mais
O la iis , roi de N o rv èg e , reçut le baptême à Rouen,
R ich a rd le B o n mourut en 10 2 7 .
3 ° . A Rich a rd le B o n , fuccéda R ich a rd I I I , fon
fils a în é, qui fu t , dit - on , empoifonné l’année,
fuivante par R o b e r t, fon f r è r e , furnommé le
D ia b le ,père de Guillaume le B â ta rd ou le conquérant,
R o i s d ’ A n g l e t e r r e .
Nos fables popu’aires fur R i c h a r d fa n s -p e u r 8c
fur Robert le D ia b l e , font des monumens encore
exiftans de la terreur que ces braves ducs de
Normandie infpiroient à leurs voifins.
i L e s rois d’Angleterre du nom de R i c h a r d , &
dont nous allons parler, defcçndoient des R i c h a r d ,
ducs de Normandie , par Guillaume le conquérant,
rrifaïcul de R i c h a r d , dit coeur de L i o n , roi
d ’Angleterre.
: i ° . Henri I I , ce grand r o i , avoit beaucoup
aimé Eléonore d’Aquitaine , fa femme , & tous
le s fils qu’il avoit eus d’e lle , il les eut tous pour
ennemis, ils lui firent la guerre , & il mourut
en les maudiflant. Son corps fut expofé à découv
e r t dans l’églife de Fontevrault. R ic h a rd , l’aîné
des fils qui lui reftoient 8c fon plus cruel ennemi,
fe rendit à cette abbaye , foit pour braver fon
p è re mort , foit pour lui rendre les apparences
d’un dernier hommage. I l fut faifi d ’effroi , 8c
tous le s afflflans furent frappés d’horreur , en
voyan t le fang , fuite de l’apopléxie qui avoit
terminé les jours du r o i , fortir de la bouche & du
nez du cadavre , comme s’il fe fût élancé d’indignation
à l’afpeél du parricide. R ich a rd ne put
retenir ce cri du remords : ah ! c'efl) moi qu i a i
tué. mon père. Il embraffa ce cadavre , il fondit
en larmes pendant toute la cérémonie de l ’enterrement
, 8c ces larmes, lui concilièrent les e f-
prits de la multitude.
Il donna une grande leçon aux traîfres , en
chafîant a v e c mépris tous ceux qui l’a voient feryi
contre fon p è r e , & en s’attachant tous ceux qui
étoient rèftés fidèles au roi ; il reçut publiquement
l’abfolution des archevêques de Cantorbéri 8c de
R.ouen, non pas précifément pour avoir porté les
armes- contre fon père ; ce crime cédoit , dans
l’efprit du tefiips, au crime d’avo ir combattit contre
un c r o i f é ;& Henri I I avoit pris la croix.
Il n’eut rien de plus preffé que delà prendre
foi-même, Il partit dès le commencement de fon
ré g n e , pour la: terre f(ifrte. avec Philippe A u -
gufte, fon rival d ’intérêt, d’ambition & de gloire ,
dont la valeur très-brillante étoit encore effacée
par la valeur imp'étueufe de R ich a rd . Leurs caractères
ne purent s’accorder ; en fe vo y an t de plus
près ils fe haïrent davantage ; une violente maladie
qu’eut Philippe Augufte , peut-être un fecret
dépit de fe v oir un peu éclipfé par R ic h a r d , peut être
auffl le elefir de l’inquiéter fur les poffe fiions
fraïiçoifes , hâtèrent le retour de Philippe en
F rance. R i c h a r d refta dans la terre fainte où il
fe couvrit de gloire par fes exploits, & s’attira
une foule d’ennemis par des aéles de hauteur &
de violence. Lorfque la ville d’Ac re ou Ptolémaïs
fe fut rendue à diferétion , les croifés exigèrent
que Saladin rendît les prifonniers qu’il avoit faits
fur e u x , & fu r - to u t la vraie croix qu’il avoit
prife dans un combat. Les afiiégés relièrent entre
les mains des vainqueurs comme ôtages de cette
convention. La vraie croix ne fe retrouvoit p oint;
Saladin qui n’y atrachoif pas le même prix que
les chrétiens, ne favoit ce qu’elle^étoit devenue.
Sur cette rép on fe , R ich a rd fit égorger plus de
cinq mille de ces afiiégés qui s’étoient. rendus à
lui ; il eût été plus ch»étiea de cpnfentir à fe
paffer de la vraie croix. R ich a rd battit deux fois
Saladin ; l’une auprès de Céfarée , l’autre dans
les plaines de Rama. Il prit Céfarée , Joppé ,
Afcalon , il forprit Emaiis , il vouloit courir à
Jé rufa lem ; mais foij-Jal©ufie , foit corruption ,
les principaux croifés refufèrentde le fuivre. On
dit qu’il pleura de dépit de ce qu’on laiffoit J é rufalem
au pouvoir des infidèles , 8c que quel-?
qu’un ayant voulu lui montrer cette v ille du haut
d’une montagne, il fe couvrit le vifage d’un pan
de fa cotte d’a rm e s, en s’écriant : on efl in d ign e
de v o ir la cité fa in t e , q u an d on e jl hors d ’ état de
l a délivrer.
C e prince qui , par fon im p ltu o fité , fe fai foit
par-tout des ennemis, s’en étoit fait deux irréconciliables;,
.l’un pendant le féjour qu’il avoit
fait à Mefflne en partant pour la terre fainte ;
l ’autre pendant fon expédition dans la Paleftine,
L e premier étoh l ’ernpereur Henri V I , au préjudice
duquel il avoit affermi Tancrède fur le
trône de Sicile ; le fécond étoit L éo p o ld , duc
d A u trich e , auquel il avoit fait un affront fân g lan r,
en renverfant fon étendart du haut d’un ouvrage
que Léopold avoit emporté. R i c h a r d , en revenant
de la terre fainte , prit ta route par l ’Allemagne
pour éviter la France. Il voyageoit inconnu , de
nuit feu lemen t, & par des chemins détournés,
de peur de quelque rencontre funefte : il fu t , dit-
on , reconnu en tournant la broche dans la cui-
fine d’une au berge; on le conduifit au duc d’A u -
triche qui le faifoit épier , qui le fit charger de
fers & garder à vue : à chaque mouvement fuf-
p e â , fes gardes lui portoient fur le coeur la pointe
de leurs épées. Quand Léopold eut affouvi fa
lâche vengeance fur fon prifonnier, il le v e n d it,
Hé & gnrottè , à la vengeance de l’etiïpefeiir : il |
en reçut foixante mille marcs d’argent ; 8c
l ’empereur, après a voir retenu R ic h a rd quatorze
mois en prifon , lui vendit fa liberté cent cinquante
mille marcs d’a rg en t, regagnant ainfi près
du double f u r î ’infâme marché de.Léopold. H en r i1
V I annonça la détention du roi d Ang'eterre
à Philippe Augufte , qui ne manqua pas d’en profiter
de concert avec le prince Jean , ( depuis le ,
roi Jean fans T e r re ) ennemi de R ic h a rd fon
frère. Cependant Eléonore d’Aquitaine, leur mè re ,
faifoit entendre fes juftes plaintes dans toute l’eu-
rope 8c demandoit juftice à Dieu 8c aux hommes
de la captivité de fon fils. On trouve dans un
liv re nouveau une anecdote inrèreffante , mais
de l’autenticité de laquelle l’hifloire ne répond pas.
L ’em pe reur, fuivant cette anecdote % tenoit R i chard
enfermé dans une prifon inconnue à tout
tu n iv e r s . R ich a rd é to it poète 8c muficien, avoit la
v o ix très-belle , 8c chantoit fouvent des chanfons
dont il avoit fait les paroles & les airs. B lo n d e l,
maître de fa ch ap e lle , étoit allé le chercher dans
la terre fainte , déguifé en pèlerin. Ne l’y ayant
pas tr o u v é , il traverfoit l’Allemagne en le cherchant.
I l arrive au village de Lofemftein où l’empereur
avoit. un château 4 il apprend qu’on y
girdoit un prifonnier. Div e rfe s circonftances firent
juger à Blondel que ce pouvoit être R ich a rd .
Pour s’en éclaircir fans donner aucun fo u p ço n ,
il fe mit à chanter au pied d’une tour grillée de
la prifon,* les premiers couplets d’une chanfon de
R ich a rd . Du fond de la to u r , une v o ix que
Blondel reconnut aifément pour être celle de
R ï c h p r d , chanta les couplets fui vans. Blondel af-
furérpar-là (de fa d é couve rte, paffe en An gle te
r re , o ù , fur fon rap p o r t, on entama bientôt
avec l’empereur les négociations qui rendirent
R ic h a rd à fon royaume. C ’eft de cette anecdote
que M. Sedaine a fait le fujet d’une pièce dramatique
8c ly r iq u e , dont le fuccès ne fe dément
peint.
Quand le roi de France fut que R ic h a rd étoit
en liberté, il écrivit à fon allié Je an - fan s -T e r r e :
prene^-garde à v o u s , le dia b le a b r ifé f a chaîne,
Je an-fans-Te rre trahit Philippe pour faire fa paix
avec fon frère. R ich a rd reçut fon frère comme un
lâche qui avoir expié la révolte par l’infamie, 8c
| comme un méchant dont il falloir fe dé fie r, mais
qu’ il ne falloir» pas pouffer about. J e Lui pardonne
dit-il à Eléonore fa mère , qui le lui préfentoit,
& f e fbè re oublier au ffi aifément f e s to rts qu ’ i l oubliera
f e s d e vo irs b m a clémence.
La guerre ne ceffa plus entre Philippe Augufte
8c R ich a rd ; ce dernier fut vainqueur a F re tte v a l,
où les titres de la couronne de France tombèrent
entre les mains : il le fut encore dan« un combat
t r è s -v if près de Courcelles Sc de G i fo r s , où
Philippe dans fa retraite , tomba tout armé dans
l’E p te , le: pont de Gifor s ayant fondu fous lu i;
©ü eut peine à le fauver. I l a bu dans la r iv iè r e ,
écrive»t R ic h a rd à un évêque d’Angleterre , en lui
marquant les particularités de ce combat.
Peu de temps auparavant » Philippe avoit.encore
été battu par le même R i c h a r d , entre G a mâches
8c Vernon ; ces échecs de la plupart defquels il
prit fa revanche en différentes oc cafion s, étoient
bien moins flétriffans que la cruauté ave c laquelle,
à l’expiration d’une trê v e , il fit c ré v e r les y e u x
à tous les prifonniers qui fe trouvoient entre fcs
mains, exemple qu’il prit de R ich a rd ou qu’il lui
donna.
C e fut dans le cours de ces guerres que.Philippe
de D r e u x , évêque de B e a u v a is , coufifi
germain de Philippe-Augufte, pris les armes à la
main par les troupes de R ich a rd , fut enfermé
à Rouen. 11 s’adreffa au pape Céleftin I I I , 8c
le pria d’interccder pour lui auprès du roi d’A n g
le te r re , du ton dont les papes étoit nt depufs
long-temps accoutumés à intercéder. « J'é cris pôur
» vous au roi d’Angleterre , répondit Céleftin , 8c
» j’intercède en effet de tout mon pouvo ir.... Je
» fu p p lie , c’eft tout ce que je puis 8c tout ce
» que je dois fa ir e » . I n t a l i c a fu non po ffumus
hec debemus irnperare , f e d tantum fu p p l ie are.
C e p a p e , dans fa lettre à R i c h a r d , appelloit
l’évêqwe de B e auvais fo n très -cher f ils . L e roi
d’Angleterre pour toute réponfe lui envoy a la
cuiraffe de l’évêque , ave c ces mois des enfàns
de Jacob : reconnoijfeç-vous la robe de - votre f i l s ?
L e pape n’ infifta p o in t, il condamna l’évêque.
« A in fi, d it - il, doit être traité tout prélat qui
» abandonne la milice de ' Jé fu s -C h rift , pour celle
» du fiécle ».
R ich a rd mourut d’une mort violente 8c conforme
à fon caractère. Un payfan limoufin, en
creufant la te r re , avoit trouvé un t r é fo r ; le
vicomte de L im o g e s , fur les terres duquel étoit
ce t r é fo r , s’en empara, 8c le fit garder dans le
château de Chalus. R ic h a rd réclamant ce tréfor en
qu dire de feigneur fuzé rsin, courut affleger C h a -
lus ; la garni fon voulu t fe rendre ; R i ih a r a f "dit
que' püifqu’ il a voir pris la peine de venir juf-
ques l à , il vouloit a voir le plaifir de prendre la
place d’a ffau t, 8c de faire pendre toute la g a r -
nifon fur la brèche. Le quatrième jour du fié g e ,
une flèche tirée des rmirs du château , par un
a rb a lé tr ie r , nommé Bertrand de G o u rd o n , l’atteignit
3 l’é p au le ; un ■ chirurgien mab-adroit tendit
mortelle cette bleffure d’abord légère. L e fang
naturellement enflammé de ce monarque fu r ieu x ,
s’ a ig r it, fe co r rom p it, la cangrène s’y mit. C e pendant
Marquadé, ch e f des troupes mercenaires
à la folde de R ic h a r d , 8c miniftre de fes v en g
e a n c e s , avoit pris le château 8c le t ré fo r , 8c
avoit fait^pendre la garnifon félon les menaces
du roi d’An gle te rre ; il ne reftoit que Gourdon ,
rélèrvé à un cruel fupplice. L e roi voulut le v o ir .
« M alh eureux, lui dit-il , que t’avois-je fait pour
» attenter à ma v ie ? ------Lés rois , répondit Froi-
# dement G o u rd o n c om p t e n t pour rien le fang
B b b b 2