
» par vouloir imiter Corneille. » Nofl , c'eft qu’il
commença par l’imiter mal; Dans Alexandre ,
par exemple, il n’en imita guères que les défauts.
Jjit^formé & fon talent déye-
le corrigeant, mais il l’imita encore. Il lui em-
^es Quations, des mouvemens, des traits
qu i l fe rendit propres ; il fut créateur dans fes
imitations comme dans fes inventions, 6c M. de
la Harpe \_ fu l’être dans fon éloge.
On ne parle guères de Racine que pour la tragédie,
parce que c’eft le genre où i l s ’eft.fe plus
exercé; il avoir tous les taiens, & la feule pièce
des Plaideurs, <>ù la peinture des ridicules eft fi
vraie & où il n’y a prefque pas un vers qui ne
loit plaifant & qui n’ait fait proverbe, prouve
qu il eut égalé Molière dans ce genre; les récits
éloquens èc animés de fes tragédies annoncent qu’il
eut été excellent poète épique. Les choeurs d'Efther
& a A thalle 6c fes cantiques fpirituels font des
modèles dans le genre lyrique, 6c le montrent égal
ou peut-être fupérieur à Rouffeau; il avoit auffi
comme lui le talent de î ’épigramme 6c il en ufoit.
Ses lettres contre Port-Royal prouvent qu’il eût
r.u fe faire un nom redoutable dans la fatyre ; fon
hiftoire de Port-Royal, faîte fans'doute pour
expier ces lettres, eft compofa e avec un art imperceptible
quon ne reconnoît qu’à fes effets ; caché
fous une négligence aimable, il attache, il1 rnté-
reffe, il touche, il infpire la confiance, il a l’air
de la vérité, il fait aimer 5c refpeéler les reli-
gieufes de Port-Royal 6c leurs illuftres amis. Le
courage de la mère Angélique, mourante au milieu
des dêfaftres de fa maifbn, efî un des plus beaux
modèles qui puiffent être propofés à des chrétiens
6c a des hommes ; il élève 8c fortifie l’ame ; jamais
ouvrage, avec tant de {implicite, avec un fi grand
éloignement de toute prétention, n’a fi furement
atteint le but; Boileau nous paroît avoir peu exagère,
en le regardant comme le plus parfait morceau
d hiftoire que nous eujfons en notre langue ; 8c malgré
quelques traits d’incorreftion qu’on y peut trouver,
1 abbe d Olivet a eu raifon-de dire que cette hiftoire
doit donner à Racine parmi nos profareurs
le môme rang qu’il tient parmi nos poètes.
Ses lettres familières écrites dans le fein de l’amitié
, dans l’intérieur de (à famille, le repréfentenc
fenfible 6c tendre comme dans fes tragédies, bon
ami, bon mari, bon père; une lettre où il rend
compte à la mère Sainre-Thccîe Racine fa tante,
de la prife d'habit d’une de fes filles, cette lettre
dans fa fimplicité négligée, fait fondre en larmes;
fon fils lui applique le mot de Tacite fur Agricola :
bonum virum facile crederes, magnum ühenter ; grand
par fes taiens, bon dans le commerce de la v ie ;
cependant Fontenelle qui lavoit vu fous un autre
rapport, ne lui actouioit que le premier de ces
éloges. En comparant fes deux grands ennemis,
fes deux iiiuftres perfécutéurs, Boileau St Racine;
il difoit que Boiieau écoit brulque 8c bourru, mais
que Racine êtoit profondément méchant; 6c comme
Fontenelle, avec beaucoup de moyens pour l’ètre,
avoit eu la gloire de ne l’être pas, fon témoignage
eft fâcheux pour la mémoire de Racine.
f i l l « ;T in é de fes O l T o M U vie* M G !
latuit, benè vixit ; le cadet eft Louis Racine, auteur
des poèmes de la Grâce & de la Religion 8c
des mémoires fur la vie de fon père. IL a dit
lui-même :
O pères trop fameux , que vos noms t.riomphan*
Sont pefans à porter par vos foibles enfans!
Et puifqu’il l’a dit, il feroit mal-honnête d’infifter
fur ce point; d’ailleurs il falloit que le "fils de Racine
fît des v e r s , 6c il-en faifoic bien, & Racine
devenu dévot n’auroit défavoué ni lés vers pieux
de fon fils , ni les fujets de ces vers. La vie de
Louis Racine, dit le fecrétaire de l’académie des
belles-lettres, a ete toute entière.une continuation
des üermeres années de ion- père.
Le poème théologi que 8c janfénifte d e là Grâce,
efl bien infériéur au poème de la Religion, dont
le fuje t , plus vafte 6c plus noble, n’a plus rien
de fcholaftique, 6c ouvroit un champ plus fécond
au talent poétique ; mais dans ce même poème
de la Grâce, quoique plus défectueux, il y a de
fort beaux vers.
Le pfeatime Super flumina Babylonis, 8cc. eft
parmi les pfeaumes ce que l’ode d’Horace, Z?q-
neegratus eram tibi9Scc ., eft parmi les ©des profanes
; c’eft le plus inréreffant des poèmes lyriques ;
c’eft celui que les poètes modernes fe font le plus
empreffés de traduire. Louis Racine en a traduit
plufieurs verfets dans ce poème de la Grâce.
Prés de. l’Euphrate ails, nous pleurons fur fes rives;
Une jufte douleur tient nos Tangues captivés ;
Et comment pourrions-nous , au milieu des médians*
G célefte Sion , faire entendre tes chants ?
Hélas ! nous nous taifpns ; nos lyres détendues
Xa-ngudâênt en filence aux faules fufpenducs-
On reconnoît bien là ces trois verfets:
Super flumina Babylonis y illic fedimus & jlevimust
cîim recordàrcmur Sien,
Q'omodo cantabirnus canticum. Domini in terra
aliéna ? ■ » ; )
In faliçmus, in medio ejus fufpendimus organa
ncft.a.
Racine le père a imité auffi quelques verfets du
même plèaanie :
Si oblitus fuero lu i, Jerufalemi oblivisni detuî
dexiera mea.
Adhoereat lingua me a fiucibus mets 9J i non memi-
tiero tuî.
S i nonpropofuero Jerufalem in principiolætititg mea,
Sion, jufques aux deux élevée autrefois,
Jufqu’aux enfers maintenant abaifTée ,
Puiffé-je demeurer fans voix ,
Si dans mé'$ chants ta douleur retracée
Jufqu’au dernier fôùpir n’occupe ma penfée,
C ’eft au fujet de ce poème de la Grâce que M. de
.Voltaire adrefibit ces vers à Louis Racine :
Cher R a c in e , j’ai lu dans tes vers dida&iques
• De ton JanféniusJes dogmes fanatiques.....
Si ton ftyle me plaît, ton dieu n’eft pas le mien ;
Tu m’en fais un tyran , je veux qu’il fort mon père ,
Ton hommage eft forcé, mon culte eft volontaire, &c.
Le poème de la Religion, indépendamment des
beautés de tout genre qu’il préfente, nous paroît
fur-tout recommandable par le mérite de la difficulté
vaincue dans, certaines ‘ deferiptions d’effets
phyfiques, foit généraux, foit particuliers. Ce
talent juftement admiré dans l’épitre de M. de
Voltaire fur la philofophie newtonienne 8c dans
quelques autres de fes épitres philofophiques, mérite
auffi une grande eftime dans le poème de la
Religion; on en peut juger par les deux morceaux
qui vont fuivre :
Mais pour toi que jamais ces miracles n’étonnent.
Stupide fpe&ateur des biens qui t’environnent,
O toi ,qui-follement fais ton dieu du hazard,
Vien* me développer ce nid qu’avec tant d’arc»
Au même ordre toujours architefte fidèle ,
A l’aide de fon bec maçonne l’hirondelle. !
Comment pour élever ce hardi bâtiment
A-t-elle, en le broyant, arrondi fon ciment ?
Et pourquoi cesoifeaux fi remplis de prudence ,
Ont-ils de leurs enfans su prévoir la naifiance ?
Que de berceaux pour eux aux arbres fufpendus ! •»
Sur le plus doux coron que de lits étendus !
Le père vote au loin , cherchant dans la campagne,
Des vivres qu’il rapporte à fa tendre compagne,
Et la tranquille mère attendant fon feCours ,
Echauffe dans fon fein le fruit de leurs amours;
Des ennemis fouvenc ils repoufient la rage,
Et dans de foibles corps s’allume un grand courage, ( Jngentes animas angujîa in peBore verfant)
Si chèrement aimés, leurs nourrîfFons un jour
Aux fils qui naîtront d’eux rendront le même amour.
Quand des nouveaux zéphirs l’haleine fortunée
Allumera pour eux le flambeau d’hymenée
Fidèlement unis par leurs tendres liens,
ils rempliront les airs de nouveaux citoyens«
RA C £ 7 2
La mer dont le foleil attire les vapeurs ,
Par ces eaux qu’ elle perd voit une mer nouvelle
Se former , s’élever & s’étendre fur elle.
De nuages légers cet amas précieux ,
Que difperfent au loin les vents officieux,
Tantôt féconde pluie arrofe nos campagnes ,
Tantôt retombe en neTgc, 8c blanchit nos montagne*.
Sur ces rocs'fourcilleux de frimats couronnés,
Référvoirs des iréfors qui nous font deftinés,
Les flots de l’Océan , apportés goûte à goûte ,
Réunifient leur force, 8c s’ouvrent une route.
Jufqu’au fond de leur fein lentement répandus,
Dans leurs veines errans , à leurs pieds defeendus ,
On les en voit enfin fortiràpas timides,
D’abord foibles ruiffeaux, bientôt fleuves rapides ;
Des racines des monts qu’Annibal fut franchir,
Indolent Ferrarois , le Pô va t’enrichir!
Impétueux enfant de cette longue chaîne,
Le tyhône fuit vers nous le penchant qui l’entraîne ,
Er fon frère ( le Rhin) emporté par un contraire'choi*^
Sorti du même fein , va chercher d’autres loix.
Mais enfin terminant leurscourfes vagabondes,
Leur'antique féjour redemande leurs ondes ;
Ils les rendent aux mers ; le foleil les reprend ;
Sur les monts dans les champs l’Aquilon bous les rend«
Telle eft de 1 univers la confiante harmonie.
Louis Racine a donné du Paradis perdu de Milton
i une traduction nouvelle qui n’a pas fait oublier
celle de M. Dupré de Saint-Maur; elle paffe pour
plus fidelle, mais elle eft moins agréable, & comme
dit M. le Beau , le poète anglois y conferve toute
la fierté britannique, fans aucune complaifance
pour les oreilles françoifes.
J M- Racine étoit né le a novembre 1602. Il
n avoir que | , ans i la mort de fon père, & il
ne lui en reftoit que de foibles fouvenirs ; c’eft
dans les récits-de Boileau qu’il l’a plus particulièrement
connu} Boileau plein de la mémoire
de fon ami, aimoit à en entretenir fon fils, quoique
encore enfant. Celui-ci eut le bonheur d’être élevé
par M. Rollin & par M. Méfengny; à la follici-
tation de madame Racine fe mère, qui craignoit
pour fes enfens la pauvreté, compagne aftez ordinaire
de la poéfie, & dont les bienfaits de
Louis X IV envers le grand Racine n’avoient pu
préferver fe famille, Boiieau lui-même voulut
détourner Louis Racine de feire des v e r s , & ce
difciple docile
Ancilioram ,■ nominis & toge?
Oblitusj eeternctque Vejla;
£é mit à étudier en droit, & fe fit recevoir avocat ;
mais l’influence paternelle fut la plus forte ; il fe
retira chez les pères de l’oratoire à Notre-Dame-
des-Vertus, il y refta trois ans & y compofe fon.
poëme de la Grâce, Cet ouvrage l’ayant feit cou--