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le rendre odieux & méprifable. Les hifiorïens nous
©nt repréfenté ce maire lous les plus odieufes couleurs
; à les entendre, c’étoit un homme d’un extérieur
ignoble , un général fans expérience, un
foldat fans courage, un miniftre fans ame, fans
efprit & fans talens. L’auteur des obfervations fur
l’hiftoire de France , n’a pas craint d’appuyer plu-
fieurs de ces réflexions fur ce tableau : mais il eft
clair qu’il n’a point été guidé par cette critique
judicieufe qui relève le mérite de fes ouvrages ;
ne s’eft-il pas apperçu qu’il avoit été fait par des
mains infidelles, par des écrivains vendus aux
Pépin} Si l’on en croit les hiftoriens du temps, fi
l’on en croit, dis-je , ces flatteurs, tous les mi-
niftres qui s’oppofèrent aux entreprifes des Pépin,
ne s’attachèrent qu’a faire le malheur des peuples,
& furent moins femblables à des hommes qu’à
des monftres , tandis que les Pépin furent des héro
s , des feints : mais l’hiftoire détruit la flatterie
des panégyriftes ; elle attelle que cés prétendus
monftres verfèrent leur feng pour raffermir la
puiffance des rois que ces prétendus feints précipitèrent
du trône ; les fujets de Thierri qui
voyoient que le duc d’Auftrafie récompenfoit
avec magnificence tous ceux qui pafloient à fa
cour , exigeoient des fecrifices continuels de »la
part du monarque dont le refus le plus légitime
ne manquoit pas d’êt.re traité d’aff^eufe tyrannie.
Ils s’évadoient fur J e plus léger prétexte. Pépin
dut être èmbarafle du nombre prodigieux de mé-
contens qui fe rendoient chaque jour autour de
lui : il eût fallu des tréfors .inépuisables pour af-
fouvre la cupidité de ces transfuges : lorfqu’il crut
qu’il étoit temps de porter les tempêtes en Neuf-
trie, il envoya des députés à Th ie rri, le fommer
de rappeller tous les mécontens , & de les fatif-
faire ; & fur fon refus , il lui déclara qu’il mar-
choit contre lui pour î’y contraindre : il étoit en
état de juftifier fes menaces ; non feulement fes
troupes étoient groflîes d’une infinité de tranf-
fuges, il y avoit encore une infinité de traîtres
qui n’étoient reflés dans le camp de Thierri que
pour y porterie ravage avec plus de fua.es : cés
perfides avoient donné des otages à Pépin. 11 n’eft
donc pas étonnant que la victoire fe foit rangée
de fon côté. Le maire du palais ( Berthier ) fut
tué par des confpirateurs quelques jours après la
perte d’une bataille fanglante qui fe donna près
de Leucofao : Thierri qui y avoit aflifté prit la
fuite & ne s’arrêta que quand il fut dans Paris.
Pépin généreux parce qu’il gagnoità l’être, abandonna
à fon armée les dépouilles des vaincus,
& fembla ne fe réferver que la gloire des fuccèsr
tous les prifonniers faits à la journée de Leuco-
feo , furent remis en liberté fur leur parole. Cette
modération affeâée lui concilia tous les coeurs ,
& la Neuflrie ne lui offrit qu’une conquête aifée.
Paris fut forcé de le recevoir : il -y parut dans
l’appareil d’un triomphateur. Il s’affura de la per-
fonne de Thierri, & le fit obleryer , fans cepen-
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dant lui faire aucune violence. Tous x enx des
Neuftriens qui s’étoient réfugiés à fe cour, furent
rétablis dans leurs biens & leurs dignités; les privilèges
qu’ils avoient ambitionnés leur furent
accordés: mais il fe montra très-foigneux fur-tout
de ménager les gens d’églife. Pépin affeâoif de ne rien
entreprendre fans avoir auparavant pris le confeil
.des grands qui , en revanche, lui accordèrent
tout, excepté le titre de roi: M. de Mably croit que
ce fut par un effet de fe modération qu’il négligea
de le prendre; mais les François n’étoient pas
encore difpofés à le donner. Charles - Martel qui
n’avoit pas moins de dextérité , & qui avoit
bien plus de talent & de génie, le quêta inutilement
; & quoi qu’en drfe l’excellent auteur
que j’ai déjà plufiéurs fors cité , le titre de
Maire de Neuflrie que prit Pépin après fe victoire,
ne fut point de fon choix, il fut obligé
de s’en contenter. « Pépin , c’eft ainfi que s’exprime
M. de M ab ly , qui s’étoit fait une ha-
» bitudede fa modération , ne fentit peut-être que-
» dans le moment qu’il en recueilloit le'fruit,,
» tout ce qu’il pouvoir fe promettre de fa
» viâoire , de l’attachement des Auftrafiens
» dé la reconnoiffance inconfidérée des Fran-
n çois de Neuflrie & de Bourgogne : peut-être
>7 aufli jugea-t-il qu’il étoit égal pour fes inté—
» rêts que Thierri fût roi ou moine ; l’ambition
v éclairée fe contente de l’autorité & néglige f
des titres qui la rendent prefque toujours
» odieufe ou fufpeâe, Pépin laiffa à Thierri fon
» nom, fes palais & fon oifiveté , & ne prit
» pour lui que la, marrie des deux royaumes
v qu’il avoit délivrés de leur tyran ». L’idée que
préfente ce tableau eft contraire à celui que nous
offre l’hiftoire. M. de Mably femble vouloir
contefler à Pépin la gloire d’avoir fu préparer les
événeniens, & peu s’en faut qu’il n’attribue au
hafard' la conduite de cet homme étonnant. Si
Pépin ne condamna pas Thierri à languir dans
l’obfcurité d’un cloître, c’eft qu’il y voyoit.encore
trop de danger, c’eft qu’il étoit retenu par l’exemple
encore récent de Grimoalde , & non parce
qu’il regardoit la couronne a-vec indifférence. Un
miniftre qui s’étoir fait déférer le titre de prince,
& qui ne paroiffoit jamais en public qu’avec le
fefte de la royauté, ne fera jamais placé au rang
des efprits modérés. Thierri ne doit pas être confondu
parmi les princes oififs , tel que nous le
repréfente l’auteur accrédité que j’ofe combattre :
ce monarque parut toujours à là tête de fes
armées. M. de Mably applaudit encore à la mort
de Bertier qu’il appelle un tyran ; mais éroit-ce
un crime dans ce miniftre de vouloir ramener-
les grands fous le joug d’une autorité légitime,
qu’ils avoient prefqn’entièrement fecouée ? Pépin,
après avoir confié la garde de Thierri à un nommé
Notberg qui lui étoit vendu , partit pour
fa principauté : fa cour marquoit bien que toute
l ’autorité étoit entre fes mains* Une expédition
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qu’il fit au-delà du Rhin, d’où îl revint viéte- ,
rieux , fervit encore à affermir fa puiffance & j
fixa tous les yeux für lui. Ce fut pour tranquil- ;
lifer les grands, qti’iÜ remit en vigueur les aflem- i
blées générales dont on avoit prefque perdu la j
mémoire: les grands qui votoient dans ces affem- ,
biées, ne dévoient pas craindre l’abus d’auto ri- .
ré", ils durent regarder la mairie avee indiffé- j
rence, elle ne devoir pas leur être bien chère,
puifqu’elle leur devenoit fuperfltie. Pépin fe garda
cependant bien de rendre ces affemblées trop fréquentes
: U voulut les faire defirer ; la première ,
qu’il ordonna fe tint fous Clovis Ï I I , fantôme .
de royauté qu’il n’avo t p ■ fe dift.enfer de mon- j
trer aux peuples. Une obfervaiion importante, j
c’eft que Pépin n’y parut pas \ il étoit probable- J
ment retenu par la crainte de fe compromettre ; J
il n’eut pu y occuper que la fécondé place, & il j
vouloit infenfiblement ériger en doute fi la pre- j
mière ne lui étoit pas due : le r Je fervile qu il |
fit jouer à Thierri , ainfi qu’à Clovis I I , à Chil- ■
debert & à Dagobert I I I , fai- préfumer qu’il fe- i
*roit parvenu à le faire croire. Les grands officiers
de la couronne devenoient officiers du prince
d’Auftrafie & du maire de Neuflrie. Pépin avoit
un référendaire, & de ces fortes d'i tendans app
elé s lîomejliqiits, par rapport aux maifons dont
on ieur confioit le foin. On rie peut cependant
s’empêcher de faire une réflexion fur la.brièveté
du règne de Thierri & de fes ftjcceffeurs ; depuis
la cataftrophe de ce prince, arrivée en 689, juf-
qu’au couronnement de Pépin-le-Bref, il ne s’eft
écoulé que 73 ans. & pendant- cet intervalle,
on voit fix rois : Pépin d'Hérïflal en vit difpa-
roître trois dans l’efpacede vingt-deux ans. Thierri
mourut dans la vigueur de l’âge, un an après fe
défaite ; Clovis I I , au fortir de-l’enfance; Chil-
debert II I ne parvint point à l’âge viril : les historiens
, dont j’ai fait entrevoir quelle pouvoit
être la trempe, ne s’expliquent point fur le genre
de leur mort; ils difent bien que Pépin les fir
foigneufement obferver, & ne peuvent le juftifier
d’avoir trempé dans plufiéurs affafîinats : le mi-
niftère , nous dirions mieux le règne de Pépin ,
n’offre plus rien à nos obfervations , finon qu’il
voulut rendre fe principauté héréditaire dans fe
famille , & perpétuer les fers dont fes ancêtres , &
lui-même avoient chargé les rois de Neuflrie. Il
deftina la principamé d’Aiilirafte à Drogon fon
aîné , & la mairie de Neuflrie & de Bourgogne à i
Grim aide fon cadet ; mais ce qui montre que fe
puiffance étoit fans bornes , c’eft que Grimoalde
étant mort, il fit paffer la mairie, qui jufqu’alors
n’avoit été confiée qu’à des hommes mûrs, à
ïhéode-alde , jeune enfant, r ui avoit à peine fix
an s; ainfi Dagobert, âgé de douze ans, eut un
miniftre plus enfant que lu i, & qui devoit le
gouverner fous la tutelle de P.leârude , veuve de
Pépin. Que peut-on imaginer de plus humiliant,
de plus dégradant pour la royauté ? cet aâe de
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defporifme fut le dernier de fe vie ; 5
en 7 14 .1e 16 décembre. Son fin-nom dHerrital
lui tut donné d’un château où il fit fon principal
féjo.ur : outre Drogon & Grimoalde qu il avoit
eus de Pleârude, & dont la mort aveu précédé
la Tienne , il laiiioit plufiéurs fils naturels, Cnar-
le s, fils d’Alpaidei & Childebran , dont on ne
fait q. elle fut la mère : la veuve Plectiude,
placée à la tête de la régence, n’omit rien pour
juftifier le-choix de fon mari ; elle fit renfermer ,
dans les prifons de Cologne , Charles - Martel,
dont le génie lui faifoit ombrage : elle prit alors
les rênes du royaume d’Auftrafie, au nom de loi*
arrière-fils Ar; o u i, fils de Drogon * R envoya
Théodoalde à la tête d’une armée fe feifir de la
mairie de Neuflrie & de Bourgogne : lés feigneurs ,
attachés à la perfonne de Dagobert, crurent que
c’étoiui’inftant favorable de lui rendre irne partie
de l’autorité : ils lui infpirèrent des fentimens
dignes de fa naiflànce & de fon rang, & le déterminèrent
à marche contre Théodoalde ot
contre Plearude. Une viâoire lui ouvrit les portes
de l’Auftrafie , mais Charles-Martel ayant rompu
les liens où le retenoit fa marâtre . les lui ferma
prefqu’aufli-tôt. L ’Auftrafie qui fupportoit impatiemment
le joug d’une femme, proclama Charles
Martel , dont les exploits étonnans effacèrent
tous c eu x^ e fe race. « C’étoit nn homme , dit
» M. de Mably, qui avoit toutes les qualités de
» l’efprit dans le dégré le plus éminent ; fon affl-
» bition audacieufe, bruyante & fans born s , ne
» craignoit aucun péril : aufli dur , aufli infîexi-
» ble envers fes ennemis, que généreux & pro-
» digue pour fes amis, il força tout je monde à
» rechercher fa proteâion : après avoir dépouillé
» fa belle-mère & fes frères , il regarda la mairie
m que Dagobert avoit 'conférée à Ramfroi comme .
» une portion de fon héritage; il lui fit la guerre,
» le défit, & comme fon père , il réunit au titre
» de prince ou de duc d’Auftrafie celui de maire
» de Neuflrie & de Bourgogne. Pépin avoit été
» un tvran adroit & rtifé , Charles - Martel ne y , . 1, ••• J . r fir
» François avec une extrême dureté ; il fiPplus ,
» il les méprifa : ne trouvant' par - tout que des
» loix oubliées ou violées , il mit à leur place fa
» volonté. Sûr d’être le maître, tant qu’il au-
» roit une armée affeâionnée à fon fervice , il
» l’enrichit fans fcrupule des dépouilles du clergé,
» qui poffédoit la plus grande partie des richef-
» les de l’état 9 & qui fut alors traité comme les
» Gaulois l’avoient été dans le temps de la con-
» quête. Charles-Martel, continue M. de Mably,
qui nous paroît avoir parfaitement vu cet homme
célèbre , n’ignorcit pas que les - Mérovin-
» giens avoient d’abo>d dû leur fortune & enfuite
» leur décadence à leurs bénéfices ; il en créa de
» nouveaux pour fe rendre aufli puiffant qu’eux ,
>7 mais il leur donna une forme toute nouvelle,
D d a