trois forces t|iù péfent fans ceffe l’une fur l’autre,
équilibre difficile. La nation fous le bouclier de
la lo i , petite, parle, agit avec cette liberté qui
convient à des hommes. Le roi, en fuivant ou
en violant la loi, eft approuvé ou contredit,
obéi ou défobèi, paifible ou agité.
Les Polonois, avant le dixième fiècle, lorfqu’ils
étoient encore Sarmates, n’avoient point de rois.
Ils vivoient libres dans les montagnes & les fo-
rets, fans autres maifons que des chariots, toujours
méditant quelque nouvelle invafion ; mau-
yaifes troupes pour fe battre à pied, excellentes
à cheval. 11 eft allez étonnant qu’un peuple barbare,
fans chef & fans lo ix , ait étendu fon empire
depuis le Tanaïs jufqu’à la Viftule, & du
Pont-Euxin à la mer Baltique, limites .prodigieu-
lement diftantes, qu’ils reculèrent encore en occupant
la Bohème, la Moravie, là Sitéfie, la
Luface, la Mifnie, le Mecklenbourg, la Poméranie
& les Marches Brandebourgeoîfes. Les Romains
qui foumettoient tout, n’allèrent point
affronter les Sarmates.
Ce paradoxe hiftorique montre ce que peuvent
la force du corps, une v ie dure, l’amour naturel
de la liberté, & un inftinct fauvage qui fert
de loix & de rois. Les nations policées appel-
loient les Sarmates des brigands, fans faire atten-
tion qu’elles avoient commencé elles-mêmes par
le brigandage. - , - r -
Il s en faut beaucoup que les Polonois, qui
prirent ce nom, au _milieu du-fixiême fiècle, aient
confervé tout l’héritage de leurs pères. Il y a
long-tcrpps qu’ils ont perdu la S iléfie, la Luface,
une grande partie de la Poméranie, la Bohème ,
& tout ce qu’ils poffédoient dans la Germanie.
D ’autres fiècles ont encore amené de nouvelles
pertes, la Livonie, la Podolie, la Volhinie, &
les vaftes campagnes de l’Ukraine ont palfé à
d autres puiffances ; c’eft ainfi que tant de grands
empires fe font brifes fous leur propre poids.
Vers l’an 5 5 0 , Leck s’avifa de civilifer les
Sarmates; Sarmate lui-même, il coupa des arbres,
& s’en fit une maifon. D'autres cabanes s’élevèrent
autour du modèle. La nation, jufqu’alors errante ,
le fixa, & Gnefnç, la première ville de Pologne’,
prit la place d une forêt. Les Sarmates apparemment
connoifloient mal les aigles ; ils en trouvèrent,
dit-on, plufieurs nids en abattant des
arbres ; c’eft de là que l’Sule a palis dans lés
enleignes polonoifes. Ces fiers oifeaux-font leurs
aires fur les plus hauts roche-s, & Gnefne eft
dans une plaine. Leck attira les regards de fes
égaux fur lu i, & déployant des talens pour commander
amant que pour a g ir, il devint leur
maure, fous le nom de duc, pouvant prendre
egalement celui1 de roi. '
Depuis ce chef de la nation julqu’à nos jours ,
la Pologne a eu d’autres _ducs , des vaivodes
aujourd’hui palatins, des re is , des reines, des
regenres & des interrègnes. Les interrègnes .ont
été prefqu’atttant d’anarchies;, les régentes fe font
tait haïr ; les reines en petit nombre n’ont pas
en le teins de fe montrer ; les vaivodes ne furent
que des oppreffenrs. Parmi les ducs & les
rois, quelques-uns ont été de grands princes;
les autres ne furent que guerriers ou tyrans. Tel
fera ,toujours a-peu-près le fort de tons les peuples
du monde, parce que ce font des hommes &
non les loix qui gouvernent!
■ Dans cette longue fuite de' fiècles, la Pologne
compte quatre claffes de fouverains; Le ck, Piaft,
Jageilon, voila les chefs des trois premières races.
L a quatrième , qui commence à Henri de Valois,
forme une ciaffe à part, parce que la couronne
y a paife dune maifon à une. autre , fans fe
fixer dans aucune.
La fucceflion dans les quatre claffes montre
des imgularites , dont quelques-unes méritent
d etre connues.
k a.n 71° » les Polonois n’avoient pas encore
examine ti une femme pouvoit commander à des
h om m e s il y avoir long-tems que l’O rient.avoit
décidé que la femme eit née pour obéir. Veoda
régna pourtant- & glorieufement ; la loi ou Tu-
fage falique de la France fut enfuite adopté par
la Pologne ; car les deux reines qu’on y a vues
depuis Venda , (avoir, Hedwige en 1382. & Anne^
Jageilon en 1575 , ne montèrent fur le trône,
qu en acceptant les époux qu’on leur défigna pour
les foutenir dans un pofte fi élevé. Anne Jagellon
avoit foixante an s , lorfqu’elle fut élue ;
Etienne Battori, qui l’époufa pour régner , penfa
qu’une reine étoit toujours jeune.
Des fiècles anterieurs avoient ouvert d’autres
chemins à la (bu ver aine té. En 804, les Polo—
nois furent embaraffes pour le choix d’un maître ;
ils propofèrent leur couronne à la courfe : pratique
autrefois connue dans la Grèce, & qui ne
leur parut pas plus fingulière, que de la donner
à la naiffance. Un jeune homme nourri dans
l’obfcurité la gagna , & il prit le nom de Lefko IL
Les chroniques du tems nous apprennent qu’il
conferva fous la pourpre , la môdeftie & la douceur
de fa première fortune; fier feulement 8c
plein d audace lorfqu’il avoit lès armes à.la main.
Prefqne tous les Polonois foutiennent que leur
royaume fut tou;ours éledif ; cette queftion les
intereffe peu, puifqu’ils jouiffent. Si on vouloit
la décider par une fuite de faits pendant fix ou
fept fiècles , on la décideroit contr’eux, en‘mon-
, -<rant que la couronne dans les deux premières
claffes | a paffé conftamment des pères aux en-
f;m ; exçept-e dans les cas d’une entière extin&ion de
la maifon régnante. Si les Polonois alors avoient
pu choifir leurs princes, ils auroient pris parmi
leurs palatins des fages tout décidés.
Les eût-on vus-aller chercher un moine dans
le fond d’un cloître, pour le ■ porter fur le trône,
uniquement parce qu’il étoit du fang Je Piaft ? Ce fut
Cafimir I , fils d’un père détefté, Miéciflaw I I 3
5c d’une mère encore plus exécrable. Veuve &
récente, elle avoit fui avec fon fils ; on le chercha
cinq ans après pour le couronner ; la France
l’avoit reçu. Les ambaffadeurs polonois le trou-
vèrent fous le froc 'dans l’abb lye de 'Clugny, ou
i)-étoit profès & diacre. Cette' vue les tint da-
bord en fufpens, ils craignirent que fon ame: ne
fût flétrie fous la cendre & le cilice ; màis^ faifant
réflexion qu’il étoit du fang royal, & qu un roi
quelconque étoit préférable à 1 interrègne qui le a
défoloit. ils remplirent leur ambaffacle. Un obftacle
arrêtoit ; Cafimir étoit lié par des voeux 8c par
les ordres facrés ; le pape Clément IL trancha le
noeud, 8c le cénobite fut roi. Ce n’eft qu’à la
fin de la fécondé ciaffe, que le droit héréditaire
périt pour faire place à 1 élection.
Le gouvernement a eu auffi fes révolutions,
il fut d abord abfolu entre les mains de Le ck,
peut-être trop ; la nation fentit fes forces , 8ç
fecoua le joug d’un feul; elle partagea l’autorité
entre des vaivodes ou généraux d’armée, d;ns
le deffein de l’affoiblir. Ces vaivodes affis fur les
débris du trône, les raffemblèrent pour en former
douze, qui venant à fe heurter les uns les
autres , ébranlèrent l’état jufque dans fes fon-
demens. Ce ne fut plus que révoltes, faâions,
oppreflion, violence. L’état, dans ces terribles fe-
eouffes, regretta le gouvernement d’un feul, fans
trop penfer à ce qu’il en avoit fouffert; mais les
plus fenfés cherchèrent un homme qui fût régner
fur un peuple libre , en écartant -la licence. Cet
homme fe trouva dans la perfonne de Cracus ,
qui donna fon nom à la ville de Cracoyie , en
la fondant au commencement du feptième fiècle.
Lextinâion de fa poftérité dès.la première génération
, remit le feeptre entre les mains de la nation,
qui ne fachant à qui le confier , recourut
aux vaivodes qu’elle avoit proferits. Ceux-ci comblèrent
les défordres des premiers, 8i cette arifto-
cratie mal conftituée, ne montra que du trou bip
& de la foibleffe.
Au milieu.de cette confufion, un homme fans
nom 8c fans crédit, penfoit à fauver fa patrie ;
il attira les Hongrois dans un défilé où ils périrent
prefque tous. Przémiflàs ( c ’eft ainfi qu’on le nora-
moi-t ) devint en un jour l’idole du peuple, &
ce peuple fauvage qui ne connoiffoit encore d’autres
titres à la couronne que les vertus, la plaça fur la
tête de fon libérateur, qui la foutint avec autant
de bonheur que de gloire , fous le nom de Lesko I
dans le huitième fiècle.
Ce rétabliffement du pouvoir abfolu ne dura
pas long-temps, fans éprouver une nouvelle fe-
couffe. Popiel I I , le quatrième duc depuis Przs-
iniflas, mérita par fes crimes d’être le dernier de
fa race; l’anarchie fucccda, & les concurrens au
trône s’affemblèrent à Krufwic, bourgade dans la
Cujavie. Un habitant du lieu les reçut dans une
maifon ruflique , leur fervit un repas fru g a lleu r
montra un jugement fain, un coeur droit & compatiffant,
des lumières au-deffus de fà condition >
une ame ferme, un amour de la patrie, que ce.
furieux ne connoifloient pas. Des- ambineux qu
défefpérent de commander , aiment mieux fe
foumettre à un tiers qui n’a rien difputé , que
d’obéir à un rival. Ils fe déterminèrent pour la
ve rtu, 8c par-là ils répirèrent en quelque forte
tous les maux qu’ils avoient faits pour parvenir
au \iône ; Piaft régna donc au neuvième fiècle.
Les princes de fa maifon, en fe fuccédant les
uns aux autres, affermiffoient leur autorité; elle
parut même devenir plus abfolue entre lès mains
de Boleflas I dans le dixir-me fiècle. Jufqua lui
les fouverains de Pologne n’a voient eu que le titre
de duc ; deux puiffances fe difpuioient alors le
pouvok dé faire des rois, l'empereur & le pape ;
à examiner l’indépendance des nations les unes
des autres , ce n’eft qu’a elles-mêmes à titrer leurs
chefs. Le pape échoua dans fa prétention ; ce fut
l’empereur Ot' on I I 1 qui, touché des vertus de
Boleflas^ le revêtit de la royauté, en traversait
la Pologne.
On n’aciroit jamais cru qu’avec cet inftrument
du pouvoir arbitraire ( un diplômé de royauté,
donné par un étranger), le premier roi de Po-r
logne eût jetté les premières femences du gouvernement
républicain. Cependant ce héros, après
avoir eu l’honneur de fe fignaler par des conquêtes,
& la gloire bien plus'grande d’tn gémir ,
femblable à Servius Tullius , eut le courage de
borner lui-même fon pouvoir , en etabliffant un
confeil de douze fénateurs, qui pût T ’empêcher
d’être injufte.
La nation qui avoit toujours .obéi en regardant
du côté de la liberté, en apperçut avec plàifir
la première image ; ce confeil pouvoit devenir
un fénat. Nous avons vu que dès les commen-
cemens elle avoit quitté le gouvernement dun
feul pour fe confier à douze vaivodes. Cette idée
paffagère de république ne l’avoit jamais abandonnée,
& quoique fes princes, apres fon retour
à fa première conftitution , fe fuccédaffent les uns
aux autres par le droit du fang, edê reftoit toujours
perfuadée qu il étoit des cas ou elle pouvoit
reprendre fa couronne. Elle effaya fon pouvoir fur
Miéciflaw I I I , prince cruel, fourbe, avare, inventeur
de nouveaux impôts; elle le dépofa. Ces
dépofitiens fe renouvellèrent plus dune fo is;
Uladiflas Laskonogi, Uladiflas Loketek, fe virent
forcés à defeendre du trône, & Cafimir IV au mit
eu le même fo rt, s’il n’eut flecifi fous les remontrances
de fes fujets. PouiTés à bout par la tyrannie
de Boleflas II dans le treizième fiècle, ils s’en
délivrèrent en le çhaflant.
Une nation qui eft parvenue à depofer fes rois,
n’a plus ou’à choifir les pierres pour élever 1 édifice
de fa liberté, 8c le temps amène tout. Cafi-
mir-le-Grand, au quatorzième fiècle, preffé de
finir une longue guerre, fit un traité de p aix, dont
fes ennemis exigèrent la ratification par tous *et