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des princes tels que Catherine de Médicis &
Henri I I I , on craint que les rois toujoürs éga-*-
lement flattés , quelle que foit leür conduite, ne
daignent pas faire d’efforts pour mériter des
éloges vrais ; toutes les flatteries font donc autant
d’attentats contre l’humanité, & d’obftacles
qu’on apporte au bonheur public.
Du Perron traduifit, tant en profe qu’en vers ,
divers ouvrages de Cicéron, d’Ovide, de Virgile
; l’abbé de Marolles prétend qu’un flatteur,
fans doute , ayant dit à du Perron qu’il égaloit
Virgile , même du côté du flyle & du coloris,
du Perron trouva l’éloge très-mince , & déclara
qu’il fe fentoit fort fupérieur à Virgile.
On fait ce qui eft rapporté dans le journal de
Henri I I I , & dans la confeflion de S anc y, que
du Perron, après avoir prouvé devant Henri I I I ,
l ’exiftence de Dieu, offrit de prouver le cop-
traire , & que >Henri III indigné lè chaffa de fa
préfence.
On a prétendu depuis que cette offre d’argumenter
contre l’exiffence de Dieu, ne prouve aucune
impiété dans du Perron ; qu’elle tient feûlé;
ment au mauvais nfage établi alors de difputer pour
©c contre publiquement, & même dans les églifès,
fur les objets les plus importans & les plus ref-
peélables de la religion. Ce qu’il y a de certain ,
c’eft que la prétendue difgrace de du Péfron n’eïit
point lieu , & qu’il ne perdit jamais fa faveur
' auprès de Henri III. Il en eut une plus grande
encore auprès de Henri IV . Il lui rendit d’abord
un fervice effentiel, en l’aidant à diffiper les projets j
du tiers-parti, & en engageant le fécond cardinal de
Bourbon, qu’il gouvernôit, à fe foumettre au roi.
Claude de Saintes, évêque d’E v re u x , ligueur
inflexible, auteur d’écrits faits pour jufiifier le
meurtre de Henri I I I , ayant été déclaré criminel
de lèze-niajefté, & condamné à une prïfon perpétuelle,
Henri IV donna fon évêché à du Perron.
L e nouvel évêque eut beaucoup de part à la côn-
verfion de fon bienfaiteur.
La Sorbonne écrivit à Rome & contre l’abfo-'
lution donnée au r o i , à Saint-Denis, par quelques
évêques , & courre du Perron qui la lui avoit
procurée ; les termes de cette lettre annoncent
d’étranges difpofitions dans les efprits des docteurs.
« Perronius Ebroïeenfi epifcopatu ab hotreticco
j j donatus, minifiri filiu s, Catvimfmum hactenîis
» profiffus , Hcnrici' 111 cognominatus philofophus
jj & confilioriim partïceps , qui novarn rrieditatur
» theologtcm, ob hoihicidium irregulâris, & San -
» Die nyfiance abfolutionis archïteElus,
Ils fouténoient que le pape feul pouvoit avoir le
droit d’abfoudre le ro i, & que même il ne pouvoit
le récatholifer.
Du Perron aimoit les conférences & les difpu-
tes , où fes talens le faifoient paroître avec éclat;
en abjurant le calvinifme, il s’étoit enflammé du
aèle le- plus ardent pour la propagation de la foi
catholique ; il ne refufe jamais d’entrer en lice
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avec les mihiftres, & fbuvent il en chercha les
| occafions ; il fe diftingua beaucoup à, la conférence
de Mantes en 1 593. Il fut envoyé à Rome
pour négocier la réconciliation du rpi avec le
faint fiége ;*il y travailla de concert avec d*Offat,
& ils eurent la fatisfaâion d’y réuflir. L’abfolu*
tion donnée par le pape Clérfïent V I I I , eft du
1 7 feptembre 1595- “ Les conditions facràmen-
» taies font que le roi dira tons les joürS le chaJ
» pelet de Notre-Dame, toits les mercredis les
» litanies, & tous les famedis le refaire eh l’hon-
« neur de la Vierge , qu’il prendra pour fort
n avocate dans le ciel ; qu’il obfervera les jeunes
» preferits par l’é g life ; qu’il fe confeffera au
» moins quatre fois par an , & communiera pu-*
» bliqueihent ; qu’il entendra la raeffe tous les
» jours ,• & une grand’meffe les jours de diinan--
» ches & de fêtes, j»
Sur d’antres conditions d’une autre nature y
( voyé^ l’article C L ÉM E N T V III. )
Lorfque du' Perron-^à fon retour de R om e ,
parut devant le rci à Amiens, le 5 juillet 15,96 y
il en reçut l’accueil le plus favorable ; le roi l’em-
brafïa cinq ou fix fois, & déclara qu’il étoit très-
fatisfait de fa conduite; if lui donna ffrê’rtie line
penfion fur des bénéfices ; avant de l’envoyer à
Rome, il l’avoit fait conseiller d’état & premier
aumônier.
. L ’évêque dsÊvreux reprit lés fondions de l’é-
pifeopat & les travaux de l’apoftolat. Ses .conférences
, fes fermons , fes écrits, toujours très-
déebirés par les proteffans, produifirent plu-
fieufs converfions éclatantes, entr’autres celle de-
la propre mère de l’évêque d’Ev reux , celle du
célèbre Vid o r-Pa lma C a y e t , celle de Henri
Sponde , depuis évêque de Pamiers-, fur-tout celle'
de Sancy. Le dépit que eau fa cette dernière con-
verfion à tout le parti proteffant, donna naif-
fance à la fameufe fatyre, connue fous le nom
de Confejfion de Sancy. Du Perfori. entreprit aùfli1
la converfîon du duc de Sully , mais^fa'ns fuccès :
Sully fe contenta d’être le plus raifonnable & le
plus modéré des proteffans.
On fait quel avantage l’évêque d’Evreux .eut
fur du Pleffis - Moritay , dans la conférence de
Fontainebleau. Le parti proteffant en rougit pour
fon défehfeur. Le roi en fut frappé, & dit à Sully :
« Eh bien! que vous fiemble de votre Pape ? Sire ,
lui répondit Su lly, « il me femble qu’il eft plus
» pape que 'vous ne penfez, puifque dans ce
» moment il donne le bonnet rouge à M. d’E - :
» vrèux. if
Il y eut auffi une conférence entre l’évêque d’Evreux
& d’Aubigné ; fi l’on en croit d’Aubigné ,
la viftoire lui refta.
L’évêque d’Evreux fît de vains efforts pour
ramener à l’églife la ducheffe de B ar , feeur de
Henri IV.
Ce que Sully avoit prédit arriva ; tant de converfions
ou opérées ou du moins tentées ^ 'tant
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de conférences, de difputes, d’occafions d’éclat,
d’écrits , d’excès même où le portoit fon zèle pour
le catholicifme , la profeffion publique qu’il faifoit’
des opinions ultramontaines, la défenfe qu’il prît
hautement de la bulle ln cand Dotnini, dans un
rituel j lui procurèrent, en 1604 , le chapeau de
cardinal*
Du Perron fetourna la même année à Rome ,
où il fut chargé des affaires de France , il affifta
auxféancesde la fameüfe congrégation de Auxiliis;
il s’y montra favorable aux Jéfuites, quoiqu’un
peu contraire à leur do&rine fur la grâce ; il
affifta, dans un très-court efpace de temps , à
deux conclaves, l’un pour l’éleétion du cardinal
Alexandre de Médicis, qrô prit le nom de Léon
X I , & mourut àu bout de vingt - cinq jours ;
l’autije.pour l’exaltation du cardinal Camille Bor-
ghèfe j qui prit le nom de Paul V . C’eft ce pape
fi connu par l’importante affaire de l’interdit de
Venife. Le cardinal du Perron^ qui, ayant été
dans le conclave à la tête de la faétion Françoife,
avoit eu grande part à l’éle&ion de ce pape, travailla
encore utilement à la réconciliation de la
république de Venife avec le faint fiége.
En 16 06 , le roi donna au cardinal du Perron ,
Varchevêché de Sens & la place de grand-aumônier,
l’une & l’autre dignité vacantes par la mort
de ce Renaud de Beaune qui, étant archevêque
de Bourges, avoit reçu à Saint-Denis l’abjuration
du roi, & lui avoit donné l ’abfolution ; le roL
fit auffi du Perron commandeur de l’ordre du
Saint-Efprit. La dignité de grand-aumônier, par
line prérogative qui alors y étoit attachée, don-
nôit au cardinal du Perron une efpèce de fur-intendance
fur les lettres ; elle le plaçoit à la tête
de la bibliothèque du roi & du collège royal.
D u Perron acquit encore de la gloire dans ce département
, il employa fon crédit auprès de
Henri ÏV 3c de Louis X III à faire remplir une
partie des vues qu’avoit eues François Ier pour
l’établiffement de fon collège royal. Du Perron, dit
l’abbé deLonguerue, s’étoit fait comme le colonel-
général de la littérature ; tous ceux qui fe defti-
noient aux lettres, fe faifoient préfenter à lu i,
& 4a première queftion qu’il leur faifoit, étoit toujours
: Ave^-vous lu l ’auteur ? cet auteur tout court,
c’étoit Rabelais ; il avoit auffi la plus grande efti-
me pour Montagne : fes effais, difoit-il, font le
bréviaire des honnêtes gens.
Le féjour du cardinal du Perron à Romen’avoit
fait qu’augmenter fon attachement aux opinions
ultramontaines. Ce travers indigne d’un français &
fi contraire à nos maximes , a fuffi pour obfcurcir fa
réputation , fondée d’ailleurs fur des talens brillans
& même fur quelques vertus. Sans cet article , qui
fouleva tous les français contre fa mémoire, les
calomnies des proteftans feroient tombées d’elles-
mêmes , ou elles auroient donné un nouveau
luftre à fa gloire ; mais on ne lui pardonne pas
d’avoir reçu, en 16 0 7 , la dédicace d’une thèfe
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de George Criton, profeffeur ro y a l, où fe trouve
cette proposition fi juftement flétrie par le parlement
: que le pape eft fupérieur aux conciles ;
on ne lui pardonne pas la proteâion qu’il accorda
hautement, dans le confeil du ro i, au livre du
cardinal Bellarmin fur le pouvoir du pape, livre
condamné par le parlement fous les qualifications
les plus fortes ; on ne lui pardonne pas^ fes em-
portemèns injuftes contre Richer, fes démarches
violentes pour faire condamner les fameux livre
de ce doéleur : De ecclefiajiicd & politicâ poteflate ;
on ne lui pardonne pas fur-tout fa conduite aux
états de 16 14 , ni les mouvemens qu’il fe donna
pour faire rejetter le formulaire propofé p a r le
tiers-état au fujet du régicide. On ne conçoit
pas comment un décret fi fage a pu rencontrer
un feul contradide.ur ; ce n’eft pas fans fcandale
qu’on voit le cardinal du Perron loutenir que
leglife gallicane 5c même l’églife univerfeile a
toujours enfeigné que les princes, ennemis de la
religion catholique, pouvoient être dépofés > &
leurs fujets déliés du ferme’nt de fidélité.
Le cardinal du Perron -mourut le 5 feptembre
16 18 . On peut voir dans fa v ie , publiée par M.
de Burigny en 17 6 8 , la lifte & l’analyfe de fes
ouvrages, tant littéraires que. théologiques.
Tout ce qu’on pouvoit efpérer ou craindre d’un
homme tel que le'cardinal du Perron , eft compris
clans ce mot du pape Clément V I il. « Prions Dieu
v qu’il infpire le cardinal du Perron , car il nous
s perfuadera tout ce qu’il Youdra.%
Louis - Adrien' du Perron de Caftera, écrivain
du fiècle préfent, avoit de l’efprit & du ridicule.
Il a traduit la Lufiade du Camoens, & il a fur
ce poëme des idées allégoriques fort étranges. Il
juftifie Je mélange continuel des fables du paga-
nifme avec les vérités de la religion chrétienne, en
difant que Vénus repréfente la religion, Mars J. C .,
Cupidon le Saint-Efprit, Bacclius le démon , que
Mercure eft l’emblème des Ang e s, les Néréides
des Vertus, &c. n A la bonne heure, dit à ce fujet
»> M. de Voltaire , je ne m’y oppofe pas ; mais
» j’avoue que je ne m’en ferois pas apperçu. »
M. du Perron de Caftera a traduit auffi le Newtc-
nianifme des dames de M. Algarotri. Il a fait de
fo.n chef une hiftoire du Mont-Véfuve, quelques
ouvrages dans.le genre des romans & des entretiens
littéraires & galans , livre en partie polémique
contre l’abbé Desfontaines qui s’étoit moqué
de lui à Toccafion d’autres ouvrages, & qui s’en
moqua encore à l’occafion de celui-ci ; on trouve
dans cet ouvrage, pù il y a beaucoup de variété ,
une efpèce d’idylle anacréontique, ou dans le
goût de Bion ou de Mofchus, fort négligée cependant
quant à l’exprëfliôn , mais dont l’idée
eft jolie , & dont l’expreffion même, tonte défec-
tueufe qu’elle eft d’ailleurs, a quelquefois le mérite
de la naïveté.