
Par fa mort fut éteinte cette ntaifon de Ram*
bures , q ui, plus qu’aucune autre , avoit fourni
à l’état de nobles & généreufes vi&imes.
RAMEAU. ( J e a n - P h i l i p p e ) Hiß. mod.) Ce
muficien, homme de génie, naquit à Dijon le
25 feptembre 1683 ; il fut cinquante ans obfcur,
& toute cette partie de fa vie eft ignorée même
de fes parens 8c de fes amis. On fait feulement
que dans fa jeuneffe. il avoit été à Milan .où il
étoit f'efté peu de temps, &. qu’avant de fe fixer
à Paris» il y avoit fait un premier voyage ;
« C’éroit, dit un de fei hiftoriens p3négyriftes,
( M. Chabanon ) cetoit , pour ainfi dire , le
» premier coup d’oeil d'un grand capitaine qui
» venoit reconnoître’ le champ de bataille où bien-
» tôt il devoir combattre & triompher». L’orgue
de la cathédrale de Clermont en Auvergne
exerçoit obfcurément les talens ; fon père étoit
un organifte d un talent ordinaire ; Catherine
Rameau fa fosur enfeignoit la mufique 8c avoit
quelque talent pour le clavecin ; Claude Rameau
leur frère fe diftingua parmi les organiftes de
fon temps. Ce fut lui qui céda l’orgue de la cathédrale
de Clermont à Jean-Philippe; celui-ci
avoit fait un bail avec le chapitre de cette cathé,-
drale, mais le defir de la p e r l e o n , & ce befoin
que les grands talens ont de Paris, le rappellant
dans cette capitale où il avoit déjà paru, il fe
repentit de s’être lié par un bail, & il en demanda
la réfiliation au chapitre, mais la fupé-
riorité même de fes talens s’oppofoit à fes dsfirs .
& rendait le chapitre inflexible ,
Te décor ifte quoi optas -
Ejje vetat, votoque tue tua forma répugnât.
Rameau eut recours à un moyen fingulier, ce
fut d’ôter à fes talens l’attrait qui lui’ otoit fa liberté
; tantôt il ne faifoit que mettre la main fur
le clavier, & il difparoiffoit, tantôt ilprolongeoir
le jeu de l’orgue bien au-delà du terme preferit,
& affeâoit de ne fe rendre à aucun des fignaux
qui dévoient le faire ceffer; il tiroit de cet inftru-
ment les fons les plus défagréahles , les diflonances
l'es plus aigres, & il mettoit dans ce charivari
déchirant une recherche, un art qui attefloient
également & fa capacité, & fa mauvaife volonté ;
à tous, les reproches du chapitre il répondoit qu’il
ne joneroit jamais autrement, s’il n’obtenoit fa
liberté. Il l’obtint enfin par fa perfévérance dans
cet étrange artifice ; alors jouant pour la dernière
fo is, il mit dans fon jeu tant d’agrément & de
perfection , que cet a&e de fa reconnoiflance
envers le chapitre ne fervit qu’à infpirer des
regrets.
Dans le premier voyage qu’il avoit fait à Paris,
il avoit entendu aux Cordeliers l’organifte Marchand
; il fut frappé des beautés dé fon exécution,
nuis il reçonjîin quç cçt çxcçiient article
étoit un muficien médiocre; il alla cependant lut
rendre vifitev & mettre fes propres talens fous
la proteélion d’un maître fi célèbre ; Marchand,
lui fit des offres de fervice, mais quand il' eut
va fes pièces d’orgue , il devint jaloux, & ne voulut
plus s’employer pour lui.
On a vu dans le mercure du mois de mars
13 6 7 , une lettre que Rameau écrivit à M. de la
Motte pour lui demander des paroles d’opéra
cette lettre, datée du 25 ottobre 17 2 7 , & que,
M. Maret, autre panégyrifte de Rameau, a inférée
dans fes notes, ne put tien obtenir, quoique
M. Rameau n’eût rien oublié de ce que la mo-
deftie pouvoit permettre pour donner une idée,
avantageufe de fes talens ; mais il n’avoit que des
cantates à citer pour tous titres ; Hippolyte & Ancre
n'avoit point encore paru.
Ce fut l’abbé Pellegrin qui dédommagea Rameau,
des refus de M. de la Motte; mais.fans l’indigence
de cet abbé, dit M. Maret, « ce favant compo-
» fueur n’eût peut-être jamais trouvé l’occafion
» de déployer tous fes talens ; ce* qui rend cette;
» conjecture très-probable , c’eft que le poète
» exigea du muficien un billet de cinq cents
» livres, & qu’il ne livra l’opéra d'Hippolyte &
» Aride qu’après avoir reçu ce billet ; mais s’il
» eut à fe reprocher d’avoir montré tant de dé-,
» fiance au grand Rameau, qu’il répara bien fon
» injuliiee, 8c que cette efpèce dé faute fil d’hon-
» neur à fon g/ût 1.4e premier a été de cet opéra
» fut répété chez M. de la Pouplinière , l’abbé
» Pellegrin étoit préfeut à cette répétition ; frappé
» de la beauté de la mufique , il courut embraffer
» l’auteur & déchira le b i lle t e n s’écriant qu’un
» pareil muficien n’avoit pas befoin de caution..
M. le prince de 'Coati ayant demandé à Cam-
pra ce qu’il penfoit'de cet opéra, ce muficien lui
répondit : Monfeigneur, il y a dans cet opéra ajjeç
de nvufique pour en faire dix. .On affure que le fuç-.
cès de l’opéra de Cafior 8c Polîux infpira tant de
jaloufie à Mouret, qu il en perdit ta tête , & qu’on
fut obligé de l’enfermer à Charenton , où dans
fes accès de folie, il chantoit continuellement le
beau choeur des démons du quatrième a été :
Qu’au feu du tonnerre
l e feu des enfers
Déclareia guerre , &c,
M, Maret rapporte d’autres traits de la jaloufie
des muficiens, traits qui les avili fient moins qu’ils
n’honorent fon héros; il expofe le fameux fy f -
tème dé la bafe fondamentale de Rameau ; il
rend compte des contradiélio'ns qu’éprouva ce fyf-
tême, 8c des divers écrits auxquels il donna
lieu. -
Parmi les ouvrages compofés pour ou contre
Rameau, M. Maret n’a point oublié d’excellent
extrait qu’une femme, également diflingtiéè pair
fe$ tal$ns.& par (pa çaraèére, a donné dp jjyftl me
jnufiçal
miufical de ce grand maître qui fut le fieu. On
peut voir cet extrait dans le n®. 179 du poprSc
contre de Pabbé Prévôt, année 1737.
M. Maret ne diffimule pas que Rameau fut ac-
eufé d’être peu fedable. « Les gens médiocres,
» dit-il, font forcés de polir exactement leur fur-
» fa ce , mais les hommes de génie dédaignent
» cette attention qu’ils eroyent, peut-être mal-à-
» propos, au-deffous d’eux ; auffi la plupart des
» grands hommes partagent-ils ce reproche avec
» M. Rameau ; Malherbe étoit brufque dans fa
» convention & dans fes manières.
» Milton avoit une humeur bifarre & impé-
» rieufe.
» Michel-Ange étoit fi fombre & fi peu fociable,
»> qu’il fe promenoit toujours feul, & cherchoit
» les promenades les plus folitaires.
n Lulli étoit brufque & peu poli.
» Le grand Corneille étoit naturellement me-
» lancolique, il avoit l’humeur brufque & quel-
» quefois rude en apparence ; il avoit l’ame fière
» & . indépendante, nulle foùpleffe, nul manège.
>3 En fubflituant au nom de Çoimeille celui de
» Rameau , on aura, le véritable portrait de ce
» célèbre muficien; l’un & l’autre auroient cru
*> s’avilir en follicitans des grâces ; & quoiqu’on
y> accufât Rameau d’aimer l’argent (o n en a aufli
accufé Corneille ) , cette paffion ne put jamais
» l’engager à plier, pour quelque moti£ que ce
» fût ».
Rameau avoit époufé Marie-Louife Mangot,
dont le goût & les talens pour la mufique for-
moient un trait important de conformité entre
eux. La foeur de madame Rameau, reîigieufe dominicaine
à Poiffy, étoit, dit-on, une des plus
belles voix qu’il y eût en France. M. Rameau ,
mort le 23 août 1764 , alaiffé trois fils, M. Claude-
François Rameau, écuyer (M . Rameau avoit eu
des lettres de nobleffe) & valet de chambre du
ro i; dame Marie-Louife Rameau, reîigieufe au
couvent de la vifitation de Sainte-Marie à Mon-
targis, 8c dame Marie-Alexandrine Rameau, mariée''
depuis la mort de fon père à M. François-
Marie de Gauthier , moufquetaire du roi de la
première compagnie»
M. Rameau étoit de l’académie de Dijon, dont
M. Maret étoit fecrétaire perpétuel; c’eft à ce
titre que M. Maret a prononcé l’éloge de M. i?<2-
mèau dans une féânce publique de cette académie.
C’eft à titre d’amateur &c d’admirateur que M. de
Chabanon l’a célébré; il regarde la repréfentation
à 'Hippolyte & A rid e , donnée en 17 3 3 , comme
l’époque de la reforme du théâtre lyrique. M.
Rameau n’avoit fait jufques-là qu’un livre de pièfcea
de clavecin, ôt il avoit cinquante ans accomplis;
ce n’eft pas une des moindres fingularités du génie
de M. Rameau que cette lenteur à éclorre & que
cette chaleur de génie & d’enthoufiafme renvoyée
à une faifon qui ne femble plus faite pour elle.
M. de Chabanon peint le déchaînement momen-
Hifioire, Tome IV .
tané du public contre les innovations hardies &
heureufes de M . Rameau; on l’accabloit de critiques;
on accufoit fa mufique de n’être que difficile
& baroque. On fit contre lui cette épigramme*
Oui « n le difficile eft beau,
C’ eft; un grand homme que Rameau ;
Mais fi le beau , par avanture,
N’étôic que la fimple nature ,
Donc l’art doit être le tableau ,
Le petit homme que Rameau !
M. de Voltaire a dit au contraire :
Où, malgré foi, court admirer Rameau.
Le réfult-at général du jugement de M. de Cha-
bânon fur ce grand muficien, eft que Rameauh
comme fymphonifte d’opéra, n’eut jamais de modèle
ni *oe r iv a l, & qu’il eft parvenu à un degré
de perfeâion au-delà duquel on ne conçoit rien.
Q u e , quant, à la mufique vocale, il a porté-
le genre établi de fon temps aufli loin que le
génie pouvoit l’étendre : voilà ce que nous lui
devons. Il n’a fait que perfeiftionner ce genre au
lieu de l’anéantir, pour y en fubftituer un meilleur;
voilà ce qu’il nous laiffe à regretter.
Que n’a-t-il changé notre récitatif 1 que n’a-t-il
rendu ce fervice éternel à notre opéra ! il en étoit
fi capable! M. de Chabanon prouve par quelques
exemples tirés des ouvrages de M. Rameau, qu’il
avoit entrevu ce récitatif véritable que nous délirons.
Le théoricien dans M. Rameau n’eft point inférieur
à l’ârtifte. Exemple rare ! on l’a vu réunir
l’aveugle & fougueux inftinél du génie qui enfante
, & la fagacité tranquille du génie qui difeute
& approfondit.
On lui propofa dans les derniers temps de fa
vie de faire quelques changemens à fon opéra de
Cafior. fia i plus de goût qu’autrefois, d it-il, mais
je liai plus de génie.
On peut croire qu’un tel théoricien & un tel
artifte avoit l’oreille extrêmement fenfible & à la
mélodie, & à l’harmonie, & que tout ce qui les
bleffoit, lui étoit infupportable. On raconte qu’au
Palais-Royal, fa promenade ordinaire, une dame
portoit un jour fous fon bras un petit chien qui
ne ceffoit d’aboyer ; Rameau donna d'abord malgré
lui beaucoup de fignes d’impatience ; enfin ne
pouvant p h i';y tenir , il ^pria la dame de faire
taire fon chien, alléguant une raifon de muficiea :
il a , dit-il, la voix on ne peut pas plus défagréable*
RAMELLT, (A ugustin) H ifi.liit. mod. ) ingénieur
& macninifte italien du feizième fiècle ,
employé en France & penfionné par Henri I I I ,
a laifle un recueil infolio de fes machines, fous
ce titre : Le diverfe ed anifidofe machine del A a*
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