
nombreufes pour garder Tes vaftes fron tiè re s ; il
peut à peine foudoyer quarante mille hommes.
Un roi qui l’a gouverné quelque tem p s , & qui
nous montre dans une province de France ce qu’il
auroit pu exécuter dans un ro y a um e ; ce prince
fait pour écrire & pour a g ir , nous dit qu’i l ^ a
des villes en Europe dont le tréfor eft plus opulent
que celui de la P o lo g n e , & il nous fait entendre
que deux ou trois commerçans d’Am fte r -
d am, de L o n d re s , de H am bou rg , négocient pour
des fommes plus confidérables pour leur compte ,
q u e :n’en rapporte tout le domaine de la république*
Le luxe, cette pauvreté artificielle, eft entré
dans les maifons de Pologne, & les villes font
dégoûtantes par des boues affreufes; Varfovie n’eft
pavée que-depuis peu d’années.
Le comble de l’efclavage & l’excès de la liberté
femblent difputer à qui détruira la Pologne j la
nobicfte peut tout ce qu’elle veut. Le corps de
• la nation eft dans la fervitude. Un noble Polonois ,
quelque crime qu’il ait commis , ne peut être
arrêté qu’après avoir été condamné dans l’af-
femblee des ordres : c’eft lui ouvrir toutes les
portes pour fe fauyer. Il y a une loi plus affreufe
que 1 homicide meme qu’elle veut réprimer. Ce
noble qui a ti é un de fes ferfs met quinze livres
fur la foffe , & fi le payfan appartient à un autre
noble, la loi de l’honneur oblige feulement à en
rendre un ; c’eft un boeuf pour un boeuf. Tous les
hommes f nt nés égaux, c’eft une vérité qu’on {
n’arrachera jamais du coeur humain, & fi l’inégalité
des conditions eft devenue néceffaire, il faut
du moins l’adoucir par la liberté naturelle & par
l ’égalité des loix. '
L e liberum veto donne plus de force à un feul
noble qu’à la république ; il enchaîne par un mot
les volontés unanimes de la nation, & s’il part
de l’endroit où fe tient la diète, il faut qu’elle
fe fépa. e. C’étoit le droit des tribuns romains ; mais
Rome n’en avoit qu’un petit nombre, & ce furent '
des magiftrats pour protéger le peuple. Dans une
diète polonoife, on voit trois ou quatre cents tribuns
qui l’oppriment.
La république a pris, autant qu’elle a pu, toutes
les précautions pour conferver l égalité dans la
nobleffe, & ceft pour cela qu’elle ne tient pas
compte des décorations du faint empire qui fème
l’Europe de princes. Il n’y a de princes reconnus
pour tels par les lettres d’union de la Lithuanie,
que les Czartoriski, les Sangusko, & les Wiec-
nowiecki, & encore le titre tfaltejje n e . les tire
pas de l’égalité; les charges feules peuvent donner
des préféances. Le moindre caftellan précède le
prince fans charge, pour apprendre à refpeéler la
république plus que les titres & la naiffance;
malgré tout cela , rien de fi rampant que la petite
nobleffe devant la grande.
Puifque le royaume eft é le â if, il femble que
le peuple , qui eft la partie la plus nombres fe &
la plus néceffaire, devroit avoir part à l’éUâion ;
pas la moindre. Il prend le roi que la noblefte
lui donne, trop heureux s’il ne poitoit pas des
fers dans le fein de la liberté. Tout ce qui n’eft
pas noble vit fans confidération dans les villes ,
ou efclave dans les campagnes, & l’on fait que
tout eft perdu dans un état, lorfque le plébéien
ne peut s élever que par un bouleverfement général.
Aufii la Pologne n’a-t-elle qu’un petit nombre
d ouvriers & de marchands, encore font-ils Allemands,
Ju ifs , ou Français,
j ^ans fes guerres, elle a recours à des ingénieurs
etrangers. Elle n’a point d’école de peinture, point
de théâtre ; l’architeaure y eft dans l’enfance; l’hif-
toire y eft traitée fans goût; les mathématiques
peu cultivées ; la faine phiîofophie prefque igno-
r é e ; nul monument , nulle grande ville.
Tandis qu’une trentaine de palatins, une centaine
de caftellans & ftaroftes, les évêques & les
grands officiers de la couronne jouent les fatrapes
afiatiques, cent mille petits nobles cherchent le
neceffaire c mme ils peuvent. L ’hiftoire eft obligée
d infifter -fur la noblefte polonoife , puifque le
peuple neft pas compté. Le droit d’élire fes rois
eft celui qui flatte le plus, & qui la fert le moins.
Elle vend ordinairement fa couronne au candidat
qui a le plus d’argent ; elle crie dans le champ
élcâoral qu’elle veut des princes qui gouvernent
avec fageffe-;& depuis le régné deCafimir-!e-Grand,
elle a cherché en Hongrie, en Tianfilvanie, en-
France & en Allemagne, des étrangers qui n'ont
aucune connoiffance de fes moeurs, de fes pré—
jugés, de fa langue, de fes intérêts, de fes loix ,
de fes ufages. .
Qui verroit un roi de Pologne dans la prmpe
de la majefté royale, le croi oit le monarque le
plus riche & le plus abfolu ; ni l’un ni l’autre»
La république ne lui donne que fix cents mille
écus pour l’entretien de fa maifon, & danst u e
conreftarion, les Polona is jugent toujours que le
roi a tort. Comme ceft lui qui préfide aux con»
feils & qui publie les décrets, ils l’appellent la
. bouche & non / ame de la république. Ils le gardent
I a vue dans 1 admimftration ; quatre fénateurs
| doivent i’obferver par-tout, fous peine d’une
amende pécuniaire. Son chancelier lui refufe le
fceau pour les chofes qu’il ne croit pas juftes. Son
grand chambellan a droit de le fouiller ; aufti ne
donne-t il cette charge qu’à un favori.
Ce ro i, tel qu'il eft, joue pourtant un beau
rôle s il fait fe' contenter de faire du bien* fans,
tenter de nuire. Il difpofe non feulement, comme
les autres fouverains, de toutes les grandes charges
du royaume & de la cour, des évêchés & des
abbayes, qui font prefque toutes en con mende*
car la république n’a pas voulu que d.s moines
qui ont renoncé aux richeffes & à l’état de citoyen,
pofledaffent au-delà du néceffai e ; il a
encore un autre tréfor qui ne s’épuife pas. Un
tiers de ce grand royaume eft en biens royaux,,
tenures, advocaties, ftarofties, depuis fept mille
livres de revenu jufqu’à cent mille ; ces biens
royaux, le roi ne pouvant fe les approprier, eft
obligé de les diftribuer, & ils ne paffent point du
père au fils aux dépens du mérite. Cette importante
loi eft une de celles qui contribuent le plus
au foutien de la république. Si cette republique j
n’eft pas encore détruite, elle ne le doit quà fes
lo ix ; c’eft une belle chofe que les loix 1 Un état
qui en a & qui ne les enfreint point, peut bien
éprouver des fecouffes, mais c’eft la terre qui
tremble entre les chaînes de rochers qui l’empêchent
de fe difîbudre. #
Réfumons à préfent les traits frappans du tableau
de la Pologne, que nous avons deffrne dans tout
le cours de cet article.
Cette monarchie a commencé l’an 55° . ’ dans
la perfonne de L e ck , qui en fut le premier duc.
Au neuvième fiècle,Tanarchie qui dechiroit 1 état,
finit par couronner un fimple particulier, qui
n’avoit pour recommandation qu’une raifon droite
& des vertus. C e ft Piaft qui donna uns nouvelle
race de fouverains qui tinrent long-temps lefeeptre.
Quelques-uns abufèrent de l’autorite, ils furent
dépofés. On vit alors la nation, qui avoit toujours
obéi, s’avancer par degrés vers la liberté,
mettre habilement les révolutions à profit, & fe
montrer prête à favorifer le prétendant qui re-
lâcheroit davantage les chaînes. Ainfi parvenue
peu à peu à donner une forme républicaine a 1 ad-
miniftration, elle" la cimenta, lorfque fur la fin
du quatorzième fiècle, fes nobles firent acheter a
Jagellon, duc de Lithuanie, l’éclat de la couronne
par le facrifice de fa puiffance.
Le chriftianifme ne monta fur le trône de Pologne
que dans le dixième fiècle, & il y monta
avec cruauté. Cette augufte religion y a repris
finalement l’èfprit de douceur qui la cara&érife ;
elle tolère dans l’état des foâes que mal à propos
elle avoit bannies de fon fein; mais en même
temps la Pologne eft reftée fuperftitieufement fou-
mife aux décrets du pontife de Rome, dont le
nonce à Varfovie a un pouvoir très-étendu. Un
archevêque, celui de Gnefne, eft le chef du fé-
nat comme de Péglife ; les autres prélats polonois,
munis comme lui du privilège d’un pape, ont
par ce privilège le droit de teindre leurs mains
pacifiques du fang de leurs enfans, en les condamnant
à la mort. Il n’y a dans toute la Pologne
que trois ou quatre villes qui puiffent pofféder des
terres, & quoiqu’on foit accoutumé à voir dans
l’hiftoire de ce pays le malheureux fort des payfans,
on frémit toujours en contemplant cette dégradation
de l’humanité, qui n’a pas encore cédé au
chriftianifme mal épuré de ce ,royaume.
La puiffance fouveraine réfide dans la nobleffe ;
elle elt repréfentée par fes nonces ou députés dans
les diètes générales. Les loix fe portent dans fes
affemblées, & obligent le roi même.
Dans l’intervalle de ces parlemens de la nation ,
le fénat veille i l’exécution des loix. Dix miniftres
du roî, qui font les premiers officiers de la couronne,
ont place dans ce confeil, mais n’y ont
point de voix. Les rois de Pologne en nommant
à toutes les charges, peuvent faire beaucoup de
bien, & , pour ainfi d ire , point de mal.
Le gouvernement eft en même temps monarchique
& ariftocratique. Le roi, le fénat & la nobleffe
forment le corps de la république. Les évêques,
qui font au nombre de quinze fous deux archevêques,
tiennent le fécond rang, & ont.la pré-
féance au fénat.
On voit dans ce royaume des grands partageant
la puiffance du monarque, & vendant leurs fuf-
frages pour fon éle&ion & pour fou tenir leur pompe
faftueufe. On ne voit en même temps point d’argent
dans le tréfor public pour foudoyer les armées,
peu d’artillerie, peu ou point de moyens
pour entretenir les fubfides; une foible infanterie,
prefqu’aucun commerce; on y voit en un mot
une image blafarde des moeurs & du gouvernement
des Goths.
En vain la Pologne fe vante d’une nobleffe bel-
liqueufe, qui peut monter à cheval au nombre
de cent mille hommes ; on a vu dix mille Ruffes,,
après Féleélion du roi Stanislas , difperfer toute
la nobleffe polonoife, aflemblée en faveur de ce
prince, & lui donner un autre roi. On a vu dans
d’autres occafions cette armée nombreufe monter
à cheval, s’affembler, fe révolter, fe donner quelques
coups de fabre, & fe féparer tout de fuite.
L’indépendance de chaque gentilhomme eft l’objet
des loix de ce pays, & ce qui en réfulte par
leur liberum veto, eft l’oppreffion de tous.
Enfin ce royaume du nord de l’Europe ufe fi
mal de fa. liberté & du droit qu’il a d’élire fes
rois, qu’il femble vouloir confoler p ar -là les
peuples fes voifins, qui ont perdu l’un & l’autre
de ces avantages.
Pour achever complettement le tableau de la
Pologne , il ne nous refte qu’à crayonner les principaux
d’entr’eux qui l’ont gouvernée depuis le
fixième fiècle jufqu’à ce four. Dans ce longefpace
de temps, elle compte des chefs inteiligens, aâifs
& laborieux, plus qu’aucun autre état, & ce n’eft
pas le hafard qui lui a donné cet avantage ; c’eft
la nature de fa conftituîion. Dès le quatorzième
fiècle elle a fait fes rois; ce ne font pas des en-
fans qui naiffent avec la couronne avant que d’avoir
des ve rtus, & qui, dans la maturité de l’âge ,
peuvent encore fommeiller fur le trône. Un roi
de Pologne doit payer de fa perfonne dans le fénat,
dans les diètes & à la tête des armees. Si
l’on n’admire que les vertus guerrières, la Pologne
peut fe vanter d’avoir eu desgrands princes; mais
fi l’on ne veut compter que ceux qui ont voulu la
rendre plus heureulè qu’elle ne l’eft,. il y a beaucoup
à rabattre.
Leck la tira des forêts & de la vie errante,
pour la fixer êï. la civilifer. Lhiftoire ne nous
a pas confervé fon caractère, mais on fait eu
v X x a