
« toit qu’un a ni as de boue pendant le court été
» de ces climats, & dans 1 hiver, qu’un étang glacé,
» où lYn ne pouvoir aborder par terre qu’à tra-
J» vers des forêts fars route & des marais pro-
v> fonds , & qui n’avoit été jufqu’alors que le re-
» paire des lô.ps & des ours, fut remplie en
» 1703 de plus de trois c; nts mille hommes que
» le czar a voit raiTemblés de fes états. Les payfàns
» du royaume d’A flracan, & ceux qui habitent
» les frontiv-res de la Chine furent tranfportés à
” Fétersbourg. Il falkit percer des forêts , faire des
» chemins, lécher des marais, élever des digues,
« avant de jetter lesfondemens de la ville.La nature
»3 fut forcée par-tout; le czar s’obflina à peupler
» un pays qui fembloit n’être pas dèfiiné pour des
» hommes; ni les inondations qui ruinèrênc fes ou-
» vragès, ni iaflérilité du terrain, ni l’ignorance
» des ouvriers, ni la mortalité même, qui fit
» périr deux cents mille hommes dans ces com-
» mencemèns, ne lui firent point changer de
»> réfolution. La ville fut fondée parmi les obf-
» tacles que la nature, le génie des peuples &
» une guerre malheureufe y apportoient. Péters-
» bourg étcit déjà une ville en 17 0 5 , & fon
» port étoit rempli de vaifieaux ».
Le fénat de Mofcou fut tranlporté à Péterfbourg-
en 1 7 1 2 , ce qui acheva de faire de cette dernière
ville la capitale de l’empire rufle.
En 1705 , une flotte fuédoife s’avança pour
détruire Fétersbourg & Cronflor ; les troupes qui
la montaient tentèrent deux fois de faire une def-
cente , & furent deux fois reponflees ; mais, en
Courlande, le général Lévenhapt gagna, le 28
juillet,- la bataille de Gémavers, ce qui n’empêcha
pas le Czar de prendre Mit tau, par un effet
de ce talent admirable qu’il avoir de réparer toujours
fes pertes, & de tirer parti de fes défaites
mêmes.
On vit eu cette occafron un bel exemple de
(Jette difciplirie à laquelle le czar avoir fn accoutumer
fes troupes. Les foldats ruffes, commandés
pour garder dans fe château de Mit tau les caveaux
.où étaient enterrés tes ducs de Courlande, s 'a perçurent
que les corps avoient éré tirés de leurs
tombeaux & dépouillés de leurs ornemens , ils
refufèrent de prendre poffeffion des lieux, &
exigèrent qu’un colonel fuédois vînt en reconnoître
l’état, & déparât par un certificat formel, que
les fuédois étaient h s auteurs de ce défordre ,
tant les rnffes attachoient déjà de honte au
pillage 1
Le 19 oâobre 17 0 6 , les Ruffes gagnèrent contre
les fuédois, pour la première f is , une bataille
rangée en Pologne ; & cependant Charles X l i
faifoit & défaifort des rois, & s’iiluflrok par des
vi&oires qu’il flétriflbit par le füpplice injufte &
cruel de Patknl. Le 6 juin 17 0 8 , .il chafTe le czar
Pierre, de Grodiio en Lithuanie ; le 25 juillet
fuivant, i' remporte fur les ruffes la viftoire d’Ho-
lozin près du Borifthène.
Le Boriflhèfie paffé, Charles s'enfonce dams
1 U kraine ; ce fut le terme de fis fuccès, &
la fortune ne fit plus depuis que trahir fa valeur.
A la bataille dite de Lefnàu, entre le Boriflène
& la Sofia, Levenhaupt fut battu au mois
d’odobre 17 0 8 , 8c ce fut la première fois que
le czar en perfonne, défit en bataille rangée
ceux qu’il appelloit avec raifon fes maîtres dans
l’art de la guerre. Ce fuccès n’étoi que l’avant-
coureur de celui qu’il devoit remporter en
perfonne, fur Charles X II en perfonne , le 27
juin 1709, à Pultava. Charles é:oit porté fur un
brancard, parce qu’il avoic eu les os du pied fra-
caffes d’un coup de carabine ; un coup de canon
tua un de fes porteurs, & mit le brancard en
pièces. Pierre reçut plufieurs coups dans fes habits
& dans fon chapeau. » Si Charles, dit M. de
Voltaire , eut perdu la vie dans une bataille,
» ce n’etoit après tout qu’un héros de moins ;
j> fi le czar eût péri, des travaux immenfes , utiles
» à tout le genre humain , étoient enfevelis avec
» lui ». Charles’ne périt pas, mais s’enfuit en
Turquie. On dit que le czar lui écrivit pour le
détourner de cette réfolution dèfefpérée , 8c pour
le prier de fe remettre plutôt entre fes mains ,
que dans celles de l’ennemi naturel de tous les
princes chrétiens , lui promettant la paix à des
conditions raifonnables ; mais que celui qui porta
la lettre ne put faire afl£z de diligence , & trouvant
que Charles étoit déjà en Turquie , il rapporta
la le'tre à fon mai re.
Charles n’avoir tiré d’autre fruit de fes viétoires
que beaucoup de bruit qui vint aboutir à cinq années
de féjour & de captivité en Turquie ; le czar
fut profiter du triomphe de Pultava ; la guerre con-
tinuoit toujours avec la Suède, tout l’afeendant
avant Pultava était du côté de cette puiffance,
il fut confiamment du côté de la Ruffie depuis
cette époque. Pierre conquit en tout ou en partie
, la Livonie, la Carélie, la Finlande; il fut
la puiflance dominante fur les golphes de Finlande
8c même de Bothnie & fur la mer Baltique.
Il fut moins heureux du côté d’Afoph & de
la mer -noire. Le fultan Achmet III lui déclara
la guerre en 1 7 10 , & il ne paroît pas que ce
fût pour les intérêts de Charles X II. La campagne
du Prtith, en 1 7 1 1 , penfa être aufli fu-
nefte au czar que celle de Pultava l’avoit été à
fon rival ; le czar, avec une armée réduite à
vingt-deux mille hommes, étoit enfermé par une
armée de deux cents cinquante mille ; les Tnrcs
d’un côté, les Tartares de l’autre , l’environnoient
de manière qu’il ne reftoit pas même de lieu à
la fuite ; Peau & les vivres lui éioient coupés,
il n’avoit plus que la reflource dèfe fpérée d’une
bataille avec cette énorme inégalité de forces,
& avec l’alternative ou de vaincre, ou de périr,
ou d’être efclave en Turquie. Le czar retiré
i dans fa tente, accablé de douleur, agité de con- j vulfions auxquelles il étoit fujet & que le chagrin
redonbloit, ne voüloit aucun témoin de l'état
violent où il fe trouvoit, & avoit défendu de
laifler entrer perfonne dans fa tente. Une femme
y entra malgré la défenfe, & ce fut pour le fau-
ver : cette Femme étoit l’impératrice Catherine,
femme également étonnante & par fon caractère
& par fa fortune; elle avoit été prife en 1702
par les Ruffes, dans une petite ville nommée Ma-
rîenbourg, fur les confins de la Livonie & de
l’Ingrie ; elle étoit élevée chez le minifire luthérien
du lieu, nommé G lu k ; ia mère étoit une
payfanne, elle ne connut jamais fon père. £lie
avoit été mariée, cette même année 17 6 2 , à
un dragon fuédois, qui, le lendemain dé fes nôces,
difparut dans une affaire, & dont elle n’eut plus
jamais aucune nouvelle. Elle fervit chez le général
rufle qui l’avoit prife dans .Marienbourg, puis
chez le maréchal Shérémeto, puis enfin chez le
prince Menzikoff, dont les avantures n’êtoient
guéris moins fin guli ères que les Tiennes. (Vo yez
l’article Menfikoff ou Menfikow'). Ce fut chez le
prince Menzikoff que le czar la v it , il l’aima
, elle lui devint néceffaire, non feulement
par fes charmes, mars parce qu’il reconnut que
c’étoit la perfonne la plus propre à le féconder
dans l’exécution de fes vafles defleins, & à les
fuivre après lu i; il l’epoufa fecrettementen 17 0 7 ,
& déclara publiquement fon mariage le 1 7 mars
1 7 1 1 . Le jour même qu’il partit pour cette malheureufe
campagne du Pruth , elle l’y fu iv it, en
partagea les fatigues &.les dangers, & fa préfence
dans de pareilles conjon&ures étoit une des caufes
qui ajoutoient aux- réflexions chagrines du czar ,
lorfqu’elle entra dansfa tente. Elle ne lui cacha point
qu’elle v-oyoit comme lui tout le danger de fa f in i tion;
elle lui propofa d’entrer en négociation avec
le vifir Méhémet-Baltagi, qui commandoit l’armée
des turcs} elle fut le négociateur, 8c lui pro
cura la paix à des conditions plus . fopportables
qu’il ne devoit s’y attendre Ii le reconnoît lui’
même dans une déclaraiion donnée en 1723 , lorf-
qu’il fit couronner cette même impératrice. « Elle
» nous a été, dû-il, d’un très-grand fecours dans
n tous les dangers, & particulièrement à l’affaire
» du Pruth, où notre armée étoit réduite à vingt-
deux mille hommes ». Mais enfin il fallut rendre
Afoph, en détruire le por^, renoncer à la mer
noire 8c à la Méditerranée. Le czar s’en confola,
en fuivant avec plus d’ardeur tous fes autres projets.
Il y eut un autre prince à qui ce traité !
déplut bien davantage encore dans un fins.tout j
■ contraire; ce fut Charles X I I ; il ne pouvoir concevoir
que le vifir eût laifle ainfi échapper de
fes mains le czar qu’il pouvoit mener captif à
Conllantinople; il accabla ce vifir de reproches,
auxquels celui-ci ne r pondit que par des mots
piquans : Si f avois pris le cçar, dit-il froidement
qui auroit gouverne fon err.flre ? I l ne faut pas que
tous les rois fartent de che{ eux. Pour toute réponfe,
Charles X II lui déchira fa robe avec fes éperons»
M. de Voltaire obferve qu’à Pultava, un panifier
( le prince Menzikoff) avoit fait mettre les armes
bas à toute l’armée déuCharles X I I , Sl qu’à l’affaire
du Pruth, un fendeur de bois (car le vifir l’avoit
été) avoit décidé du fort du czar.
On ignoroii toujours la véritable origine de
Catherine, & il n’étoit pas fort néceffaire de la
favoir. M. de Voltaire a tiré d’un manuferit des
anecdotes curieufes à ce fujet.
Un envoyé du roi Augufte à la cour du czar ,
vit en paflant par ia Courlande, une efpèée de
mendiant qu’on rebutoit, & q u i, pour fe faire
valoir, donnoit à entendre, d’un air myftérieux,
qu’il n’étoit pas impoffible qu’il trouvât de puiflantes
protégions à la cour du czar. Cet envoyé l’ayant
confidéré attentivement, lui trouva de la reffem-
blance avec l’impératrice ; il en écrivit à Peters-
bourg; le czar fit faire des recherches en Courlande
, on découvrit l’homme, il s’appelloit Charles
Scavronsky , & étoit fils d’un gentil-homme de
Lithuanie; il avoit été fé paré dès fa plus tendre
enfance d’une foeur, dont il ne favoit rien, fi-
non qu’elle avoit été prife par les Ruffes dans
Marienbourg en 17 0 2 , & il la croyoit encore chez
le prince Menzikoff, où il préfumoit qu’elle avoit
fait quelque fortune.
On envoya Scavronski, fous bonne garde, à
Pétersbourg, en le chargeant, pour la firm e, d’un
prétendu crime dont il n’eut pas de peine à fe
juflifier, & on le traita fort bien fur la route.
Le czar l’interrogea, & trouva fes réponfes con--
formes à ce que Catherine lui avoit toujours dit
de fa naiffance 8c de fes malheurs. Le lendemain
étant à dîner avec l’impératrice, il fait venir cet
homme, toujours avec fes ‘habits de payfan, &
les préfentant l’un à l’autre ; C<~t homme cfl •t 'n'
frère, dit-il à Catherine, & s’a-ireflant à Sea--
vronski : Allons, Charles , dit i l , b ai fe la main de
ton impératrice y & enbrajfe ta foeur.
Le manuferit porte que l’impératrice tomba en-
défaillance , foit du faififlement joint au plaifm
inattendu de retrouver un frère, foit peut-être
de la crainte que le czar qui n’étoit pas fans-
bizarrerie & fans inégalité dans rhumeur, ne fê
fît un plaifir de l’humilier par cette vive image
de fon premier état; le czar la raffura en ces mots:
I l n'y a là rien que de Jîtnplç ce gentilhomme e fl
mon beau-frère • s'il a du mé’ite , nous en ferons-
quelque chofe ÿ s’il n en a point, j:Ous n'en ferons-
rien. Il fut créé comte, époufa une fille de qualité
, eut deux filles mariées, aux plus grand? fei-
gneurs de Ruffie avoit dit4plus vrai qu’il ne
penfoit lorfqu’il s’étoit vanté en Courlande di-
n erre pas fans protection à la cour de Ruffie;. il
ne comptôit alors que fur le crédit iridireét d e
Menzikoff, 8c non fur le pouvoir direét de Catherine.
Le plus grand mérite qu’on put avoir aux yeux
du czar étoit d’approuver fes prpjets, & d’en
defirer l’exécution ; c’eft par là principalement que