
Le feul morceau de génie peut-être qui fetrotlve
.dans tout le recueil, eft*dans l’eraifon funèbre de
M. le duc de Berry.
» Connoiffez où fe termine la gloire.... ... Ce
j) temple fuperbe n’e ft, pour ainfi dire, pavé que
3> de les débris : on ne marche ici ( à S. Denis)
33 que fur des fceptres brifés , fur des couronnes flé-
i> tries,fur des dieux de la terre humiliés, obfcurcis,
j» dénués de tout, & fans autre relief devantDieu
33 & devant les hommes, que celui des bonnes
39 oeuvres ».
Ce morceau eft vraiment du ton de BolTuet; en
voici un qui s’approche plus du ton de Fléchier;
c’en: dans l’oraifon funèbre de M. Godet des
Marais. L’orateur loue lapoliteffe de ce prélat.
» Mais à ce nom de politejfé, que concevez-vous ?
» Elevez vos efprits, & ne vous figurez pas un de
s> ces hommes dont tout le feu eft dans la fuper-
>3 fieie, & tout] le mérite dans un extérieur con-
33 certé , qui difent paix où il n’y a point de paix ;
33 qui n’aimant perfonne, fefont un art de traiter
» en amis les inconnus , les ennemis mêmes, &
n d’en impofer aux uns & aux autres par de vaines
33 confidences & de ftériles promeffes ; qui mettent
» leur gloire à s’offrir, & leur adreffe à fe refufer ;
33 qui efclaves des occafions & des lieu x , ref-
33 peâent fans eftimer, applaudiffent fans approu-
33 v e r , embraffent fans chérir, & qui, pour ufer
33 du langage évangélique , purifiant le dehors de
93 la coupe,tandis que le dedans ell plein de fraude &
33 de tromperie, vous honorent des lèvres, quoique
33 leur coeur foit loin de vous, & font, à parler
3) jufte , les hypocrites de la fociété humaine ».
L ’abbé le Prévôt étoit né à Rouen, le 18 avril
1675 ; il prêcha devant le roi & devant les académies
avec fuccès; il fut fait chanoine de Chartres
le 18 janvier 17 18 . 11 mourut le 9 oâobre 1735
à Paris, où il venoit pour prêcher l’avent prochain.
On a de Cl^ide-Jofeph Prévôt, avocat au parlement,
homme bifarre & d’un favoir confus,
mais étendu, mort en 17 5 3 à quatre-vingt-un
an s , les livres fuivans : Réglement des fcellés &
inventaires ; la maniéré de poursuivre les crimes, ou
Loix criminelles ; Principes de jurisprudence fu r les
v i f tes & rapports des médecins, chirurgiens, accoucheurs
6* fages-femmes.
Mais le plus connu des écrivains de ce nom
de Prévôt, eft Antoine-François.Prévôt d’Exiles,
c’eft-à-dire, l’abbé Prévôt, né à Hefdin en Artois
en 16 97, d’abord jéfuite, enfuite militaire, puis
jéfuite encore , puis encore milftaire , puis béné-
di&in , puis abbé bel efprit, qnelqueftûs fugitif
& errant, tantôt en Hollande, tantôt en Angleterre,
enfin fixé en France par les bontés d’un
grand prince, qui le fit fon aumônier & fon fe-
crétaire. En lui donnant le premier de ces deux
titres, le prince lui dit : il y a une petite difficulté
, c'efi que je ne vas pas Jauvent à la mejfe ;
rajfurez-vous, Monfeigneur, répondit l’abbé Prévôt,
je ne la dis pas fouvent. Jamais auteur n’a tant
écrit que l’abbé Prévôt; jamais auteur fécond n’a
été autant lu que lui. Qui ne çonnoit les mémoires
d’un homme de qualité, retiré du monde;
Cleveland; le Doyen deKillerine; fur-tout l’hif-
toire du chevalier des Grieux & de Manon Lefi*
caut? Ces ouvrages, quoiqu’ils ayent affez fou-
vent le défaut d’être baffernent écrits & qu’ils
annoncent dans beaucoup d’endroits un homme
qui connoît peu le monde, font encore lu s ,
même par les gens de goût, parce qu’ils ont un
cara&ere décidé , caractère qu’on n’a pas mal
exprimé, en difant que l’abbé Prévôt étoit le
Crébillon du romane fa phyfionomie avoit auffi
un caraélère, où on lifoit une partie de l’humeur
fombre & chagrine qui a dû infpirer ces romans
tragiques. Des avantures perfonnelles s’y repro-
duifent fouvent, & c’eft une grande fource
d’intérêt :
Si vis me fle're , dolendum ejl
Prïmum ïpji tibi, tune tua me infonuniq lé dent.
Pour me tirer des pleurs , il faut que vous pléuriej.
Enfin les romans de l’abbé Prévôt ne peuvent être
indifférens à quiconque/a de l'imagination & de
la fenfibilité. L’abbé Prévôt avoit voyagé,- il avoit
beaucoup lu les voyageurs , il connoiffoit & il.
aimoit la géographie ; fes romans même font remplis
de détails géographiques ; on y trouve auffi
des allufions aux affaires du janfénifme qui avoient
été quelque _çhofe pour lui dans les différens
^ordres monafiiques auxquels il avoit appartenu
on affùre que quelques portraits, répandus çà &
là dans ces mêmes romans , font ceux des principaux
religieux avec lefquels il avoir v é cu , &
qu’on les reconnoiffoit dans le temps..
C’eft lui qui nous a 1« premier fait connoître
par fes tradu&ions ceS1 beaux romans de Richàrd-
fon , Clariffe , Grandijfon, en quoi il a rendu
un grand fervice à la littérature en général
mais il a fait grand tort aux romans françois
même aux liens, quoique, déjà nourri de la littérature
britannique , il leur eût donné une teinte
angloilè.
Il ne s’eft borné au roman ni dans fes com-
pofitions, ni dans fes tfadu&ions ; il ell un des
premiers écrivains françois qui nous ait familia-
rifés avec la littérature angloife dans plus d’un
genre ; il a traduit des tragédies de cette nation
& fur-tout des niftoires ; c’eft par lui que nous
avons connu en France l’hiftoire des Sruarts de
M. Hume ; c’eft lui qui nous a donné la vie de
Cicéron d’après M. Midleton ; mais on ne peut
pas fe fier aux ouvrages hiftoriques qu’il nous a-
donnés de fon chef; le caractère du romancier
perce à travers les fondions de l’hilîorien, les
faits principaux font v ra is , les détails font arrangés
; ainfi; en faurort mal l’hiftoire de Guillaume-
le-conquérant & celle, de Marguerite d’Anjpu, &
de la fameufe querelle des deux R o fe s, & de la
guerre d’Irlande fous Jacques .1 1 , fi on ne les
fa voit que par l’abbé Prévôt. Son pour & contre
étoit un journal littéraire, beaucoup plus équitable
que celui de l’abbé Desfontaines qui l’éclip-
foit alors, & il contenoit des morceaux de littérature
étrangère que lui feul étoit en état de
donner dans ce temps. L’abbé Prévôt étoit impartial
dans les difeuffions littéraires & le titre de
fon journal étoit rempli. Senfible à la critique pour
fon propre compte, il l’exerçoit avec modération
à l’égard des autres, & larepoufloit avec nobleffe ,
& fans s’avilir. Lorfque, dans le cours de quelques
démêlés littéraires avec l’abbé Desfontaines ,
cet homme lui écrivit avec l’impudence cynique
qu’il mêloit, pour la honte des lettres, à quelques
connoiffances : Alger mourroit de fa im , s'il
étoit en paix avec tous fes ennemis ; l’abbé Prévôt
fe contenta de faire imprimer ce billet, pour
apprendre au public que cet homme s’avouoit
corfaire littéraire. Ce fut M. le chancelier d’A-
gueffeau qui fit choix en 1745 de M. l’abbé Prévôt
pour i’entreprife de l’hiftoire générale des
voyages ; cet ouvrage eut un fuccès mérité. Les
gens du monde qui avoient beaucoup lu fes
romans, n’y avoient vu-que des avantures; M.
d’Agneffeau, qui les avoit à peine parcourus, y
avoit vu & avoit très-bien vu que l’auteur étoit
l’homme capable de faire une' bonne hiftoire des
voyages.
L'afybè Prévôt9- fur la fin de fa v ie , s’étoit retiré
à Saint-Firmin, à la tête du canal de Chant
illy , dans une maifon très-agréable par elle-même
& plus encore par (es entours; il y vivoit tranquille
au fein des lettres & de l’amitié, écrivant
toujours par goût & par habitude, & jouiffant de
lui-même, lorfqu’à la fin de l’année 17 6 3 , il fut
trouvé mort d’apopléxie ou d’indigeftion fur le
chemin de Saint-Firmin à Saint-Nicolas d’A c y
près Senlis, maifon de bénédiélins, où il étoit
allé, dîner.
PREU X, ( les neuf ) Hift.mod.) Il y a quelques
années que l’académie de Befançon propofa pour
le füjet d’un de fes prix, Y hiftoire dès neuf Preux.
Perfonne n’entreprit de traiter cette matière, &
il eût été difficile de le faire. Tout ce qui eft
écrit fur ce point d’hiftoire , fe réduit à nous
apprendre que le nom de Preux caradérifa de
tout temps l’excellence d’un chevalier ; qu’il eft
queftion par-tout des neuf Preux que l’on prétend
qui accompagnèrent Charlemagne dans fes expéditions;
que dans l’inveoraire des tapis de Charles
V , il eft parlé du grand tapis ou l’on voyoit
les neuf Preux ; que dans le* cérémonies on les
reprél'entoit comme on y repréfente aujourd’hui
les anciens pairs ; que- l’on avoit auffi inragmé
neuf Preues ou Preufes * pour réunir n i jours dans
la chevalerie, l’honneur des deux {exes; que le
roi d’Angleterre Henri V I,. à ion entrée d'ans
Paris, étoit précédé de fes neuf Preux & de (es
neufPreufes; que le roi Jean , dans les ftatuts de
l’ordre de l’étoile, veut que le four de la fête
de l’ordre , il y ait une table d’honneur où feront
affis les neuf plus braves chevaliers, & qu’on
les défigne chaque année. Le même prince avoit
neuf chevaliers qui combattoient près de lui.
Charles V III nomma le même nombre de
guerriers à Fornoue, les habilla, les arma comme
lu i, & par cette précaution, déconcerta un complot
formé dans l’armée ennemie pour le tuer.
La bravoure de Henri IV faifant craindre pour
fes jours , les chefs de fon armée nommèrent
auffi plufieurs officiers diftingués pour combattre
près de fa perfonne.
On fait encore que les Preux avoient un habillement
particulier dans les cérémonies ; que le
duc de Lorraine allant jetter l’eau bénite fur le
corps du duc Charles de Bourgogne , s’habilla en
Preux & s’ajufta une barbe d’or qui lui defeendoit
jufqu’à la ceinture. Enfin il eft parlé par-tout
d’une hifoire des neuf Prèux qui n’exifte plus ,
ou qui a échappé aux recherches des favans dans
les manuferits de l’Europe. Ces chevaliers for-
moient-ils tin ordre établi par quelque prince ?
Etoit-ce des braves affociés entr’eux , ou diftingués
par quelques exploits célèbres dont on avoit
voulu perpétuer la mémoire? Etoit-ce des gm mets-
choifis pour environner les rois dans les batailles ?
Toutes ces conjectures font également incertaines.
Ce qui prouve leur ancienneté, c’eft le filence
de tous nos hiftoriens fur leur origine ; leurs noms
même étoient inconnus , & ne fe trouvent écrits
dans aucun des monumens où il eft le plus parlé
de chevalerie-
Après beaucoup dé recherches infru&ueufes r
M. le comte de Rouffillon les a découverts .dans
un livre oublié du P. Anfelme , intitulé le palais
d’honneur. Il les a donnés depuis peu dans une
differtation fur la chevalerie, lue à l’académie de
Befançon , ouvrage qui fait également l’éloge de;
fon érudition & de fon coeur.
Les neuf Preux , félon le P. Anfelme , s’appel-
loient Jo fu é , Gédéon , Sam fon, David , Judas
Machabée, Alexandre , Jules - Céfar , Charlemagne
& Godefroi de Bouillon. Le P. Anfelme
ne dit point d’où il .a tiré ces noms ; on peut s’en
rapporter à fon exaéfitude & à fes vaftes connoiffances.
En travaillant fur la maifon de France,
il a dépouillé tant de manuferits, qu’il a pu aifé-
ment découvrir des chofes ignorées & négligée»
avant lui ; mais ces noms des neuf Preux biffent
de grandes difficultés.
Si ces chevaliers ont accompagné Charlemagne
pourquoi ce prince & Godefroi de Bouillon font-
ils comptés parmi eux ?. S’ils n’ont été connus
qu’a près, les premières croifades, comment leur
hiftoire e -elle reftée dans une obfcurité fi profonde
? Si leur date eft plus ancienne, il faudra