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» v e r fé , les fortunes détruites, le genre humain
» foulé aux p ied s ; ils ravagent la te r re , & ils
» demandent ce qu’ils ont fait. T y r a n l mon p è re ,
» mon f r è r e , mes compagnons ont péri par tes
a coups; tu me menaçois moi-même d’un fup-
» plice honteux , & tu demandes ce que tu m’as
» fait ».
R ic h a rd avoit de la grandeur , il fut frappé
d u difcours de Gourdon , lui pardonna & lui fit
donner cent fchellings ; mais R ic h a rd m ou ru t, &
le barbare Ma rquadé, dit un hiftorien moderne ,
fit écorcher v i f Gourdon pour a voir fait fon dev
o ir . On ne manqua pas de remarquer que R ic h a rd
a v o it péri par une arme qu’il avoit lui-même
introduite à la g u e r re , l’arbalêtre; jufques-là on
n e s’étoit fe rvi que de la lance & de l’épée.
« N o s aïeux, dit A lé z e ra y , abhorroient ces armes
traîtreffes, avec quoi un coquin , fe tenant
99 à co u v e r t, peut tuer un vaillant homme de
*» loin , & par un trou » .
Cependant ces armes traîtreffes furent inventées
p a r un homme qu’une valeur prefqu’incroyable fit
lùrnommer cceurde lion . Saladin,bon juge du courage
& des talens militaires , avouoit la fupério-
xitè de R ich a rd . R ich a rd étoit la terreur des Sar-
'rafins, & dans la Paleftine, les mères effrayoient
Jeu rs enfant ea prononçant feulement fon nom.
1 1 eut du lien , dont le nom lui fut donné, le
courage , la fie r té , la co lè re , la cruauté , la fièv
r e a rd ente, la fo if du fang , & cette efpêce de
-.magnanimité capricienfe & farouche qu’on attrib
u e au lien . T o u t ce qui étoit g ran d , fub lim e ,
lin peu gigantefque, plaifoit à fon ame altière.
Gourdon n’obtint de lui fa grâce qu’en l’étonnant.
On vantoit la pénétration de fon e fp r it, la
vigueur de fon éloquence, l’agrément de fa con-
v e r fa t io n , la viva cité de fes réparties, petits avantages
en comparaifon de la fageffe & de l ’humanité
y<pii lui manquèrent. Il avoir cependant des traits j
d e fenfibilité : il eut pour fa mère une tendreffe
q u i mérita d’être remarquée ; mais comment oublier
que la violence de R ic h a rd concourut avec
la perfidie d e Je an à faire mourir de douleur un
père tendre qui les avoit tous comblés de biens ?
comment oublier ces cinq mille prifonniers égorgés
d e fang-froid devant la v ille d’A c r e , & ces autres
prifonniers privés de la vue en F ran c e ? Comment
oublier qu’ il dut la mort à la fureur qu’il avoit
eue de forcer une place qui ouvroit fes p orte s, &
d ’exterminer des m alheureux qui fe rendoient ; b arbarie
atroce qui tourna contre lui tous les droits
d e l’humanité, comme toutes les loix de la guerre.
On remarqua que dans un régne de dix a n s ,
depuis 1 1 8 9 jufqu’à 1 1 9 9 , à peine pafia-t-il quatre
mois en Angleterre ; ce feul mot le - ra y e de
la lifte des r o i s , & le relègue dans la claffe des
guerriers & des avanturiers îlluftres. C ’eft-là que
tes talens , fes exploits ,. fes deffeins le font brif-
fsr de toute fa gloire. JUâfe jaaet in aulâ»
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& •. R ich a rd I I , roi d’An gle te rre , fils du priflcfc
noir & petit-fils d’Edouard I I I , étoit contemporain
de notre roi Charles V I , & aufli ami de ce prince
que fon père & fon aïeul avoient été ennemis des
prédéceffeurs du même Charles V I . Ces deux rois
étoient du même â g e , R ich a rd avoit deux ans
de plus que Charles V I ) tous deux étoient encore
dans ^ enfanc e , lorfqu’ils avoient commencé à
ré g n e r , tous deux furent gouvernés par trois oncles
paternels , ambitieux & mal intentionnés.
L e fort fembloit même s’être étudié à mettre entre
les trois oncles du roi d’An gle te rre , la même
différence de caraô ère qu’entre les trois oncles
du roi de F ran c e , & cette différence de caractère
fuivoit le même ordre chez les princes des deux nations.
I*e duc de Lancaftre, régent en An gle te rre ,
avoit la hau teu r, l’ambition , l’avidité du duc
d’An jou , régent de France ; le duc d’Y o r c k reffem-
bloit au duc de B e r ry , par la molleffe & l’indolence
& le duc de Gloceftre au duc de B ou rgo gn e , p a r
l’audace & la turbulence.
chard fut gendre de Charles V I , il époufa
Ifâbelle de F ra n c e , fa fille , le mariage ne put
être confommé, à caufe du bas pge de la prin-
ceffe ; mais elle fut élevée en An gle te rre , où une
princeffe françoife bleffoit les y eu x de la nation.
L e règne de X'uhard II t y în t toujours été
agité par des faéfions, il eft peut-être difficile de
porter fur ce prince un jugement bien exaét. I l
eut des favoris qu’il combla de biens ; il donna
l’Irlande en fouveraineté à un d’entr’e u x , comme
il auroit donné un champ ou une m a ifon ; & ce
favori étant mort en p ays étranger , il fit apporter
fon corps eh An gleterre, & fit ouvr ir fa bière
pour le confidérer à lo ifir , avant qu’on le dépofât
dans le tombeau qu’il lui avoit fait élever. Sur ces
témoignages d’une fi v iv e affeâion , le P . d’O rléans
le loue comme un roi capable d’amitié; le s
An glo is plus fé v è r e s , ne virent dans ces amis-
que des mignons.
La facilité a v e c laquelle il facrifia ces favoris à
la haine du parlement , prouve , dans fous le s
cas , beaucoup de foibleffe & de légèreté. F ro if-
fard penfoit comme les Anglois fur ces favoris ,
qu’il appelle toujours les marmousets & les poupées
du roi.
R ich a rd eut deux beaux momens dans fa v ie .
Il y eut à Londres, un foulevemçnt vio len t, o îï
un forgeron nommé W a t - ty le r , étoit à la tête
des rebelles : il traita d’égal à égal avec le roi ,
ou plutôt il traita en maître étant fupèrieur en
forces , & les propofitions que faifoit le roi ne lui
étant pas agréables, il lira deux ou trois fois fora
poignard pour l’en frapper. Témoin de cette in-
folcnce W a lv o r th , maire de Londres , fe jette au
devant du r o i , renverfe "Wat-tyler d’wn coup
de ma ffue ; les autres perfonnes de la fuite du
roi achèvent d’affommer W a t- ty fe r ; aufli-tôt les
rebelles criant W a t - t y h f 6* vengeance , bendest
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leurs arcs & faififfent leurs flèches ; la troupe du
roi, toute foible qu’elle eft, fe prépare au combat
, le roi la retient, il s’avance feul vers les
rebelles : mes am is , leur d i t - i l , W a t - t y le r eft mort ; .
v ou s n a u r e [ p lu s déformais d ’autre c h e f que votre •
roi. Les payfans le fu iv en t, changés par ce feul
mot. K n o lle s , un de fes généraux, arr ive à fon
fecours avec ce qu’ il avoit pu raffemtler de troupes
, il demande.la permiflion de charger les rebelles.
D e s rebelles 1 dit le roi , i l n y en a p lu s ;
v o u s ne v o y e { ic i que mes. fu je t s & mes enfans.
R ich a rd a vo it alors feize ans : on ne pouvoit
annoncer d’une manière plus éclatante le fils &
le fucceffeur du prince noir & d’ Edouard III.
L ’autre beau moment dè R ich a rd fut celui où
il déclara fa majorité. Ses profufions envers fes
favoris avoient fait chercher les moyens de borner
fon autorité ; on lui avoit donné un confeil
fans l’ avis duquel il ne pouvoit rien entreprendre
, on i’avoit même fait jurer d’être fournis en
tout aux décifions de ce confeil. L e roi entre un
jour au parlement, & de ce même air dont il avoit
dèfarmé les payfans révoltés ; q u e l âge me croye^-
v o u s ? dit-il à l ’aflemblée : v in g t& u n ans, lui r é pondit
on ----- * Je dois donc commencer enfin à
« gou v e rn e rp .r moi-même , & je ne m e fen sp as
» de moindre, condition que mes prédèceffeurs».
C e ton de fermeté im p o fa; ©n applaudit, & on
obéit. L e roi faifant ufage à l’inftant de l’autorité
qu’il réclamoit, ôta la chancellerie à l’archevêque
c:e C an to rb é ry , qui s’étoit montré l’ennemi des
fa v o r is , & interdit l’entrée du confeil au duc de
G lo ce ftre , celui de fes oncles qui lui étoit le plus
fu fp e d : il ne rencontra, aucune oppofition.
Mais le refte de fa v ie parut trop démentir ces
deux beaux momens: il fe liv ra de jour en jour à
. la molleffe & à la diffipation; impétueux & fo ib le ,
il ne favoit ni fe refufer aux préventions ni les
diffimuler, il mettoit l’humeur à la place de l’autorité.
Quand le parlement lui propofoit de renv
o y e r les miniftres ou les favoris qui abufoient
de leur c réd it, il répondoit avec colère qu’il ne
ren v e îio it pas pour l’amour du parlement le
moindre marmiton dè fa cuifine, & menaçoit de
fe liguer avec le roi de France , fon beau-père ,
pour apprendre *de lui à réduire des fujets rebelles
; puis il trembloit & il cédoit : il çclatoit imprudemment
en toute rencontre contre fes oncles ,
qu’ il averîiffoit par-là de fe réunir contre lui. On
diftinguoit le parti du roi & le parti des princes,
& celui-ci parut être celui de la nation. L e due
de Gloceftre étoit à la tété.
L e plus grand g rie f de la nation An glo ife contre
'R ic h a r d , fut la reftitution qu’il fit à la F ra n c e ,
de quelques places importantes ; & la trêve de
vingt-huit ans qu’ il conclut ave c e l le , & qu’il
cimenta par fon mariage ave c Ifâbelle, alors âgée
de fix ans. L e duc de Gloceftre eut à ce fujet
ave c lui une explication , où il lui fit, aupom de
la nation, des reproches pleins de hauteur & d’a-
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mertume, que R ic h a r d repouffa vigoureu fement
& ne lui pardonna jamais. S i l’on en croit F ro i f-
fard , J e duc de Gloceftre pouffa jufqu’à l’in fid #
lité la plus coupable fes intrigues contre R ich a rd .
C e lu i-c i, après a voir diflïmulé quelque tem p s,
v a de grand matin faire une vifite au duc à la
cam p agn e , pour s’affurer de le trouver au l i t ;
il l’ invite à le fuivre à Londres ; dans la route
.le duc eft arrêté , un vaiffeau Pattendoit fur l a T a -
m ife , on le tranfporte à C a la is; quelque temps
a p rè s , le parlement voulant juger le duc de G lo ceftre
, donne ordre au gouverneur de Calais
d’ amener fon prifonmer à Londres ; le gouverneur
répond que Gloceftre venoit .d e mourir d’une a t taqua
d’apopléxie. ; on fut depuis qu’il avoit été
étouffé entre des matelats ; il eut pour v en g eu r ,
fon neveu le comte de d’Erbi-Lancaftre , fils du
duc de Lancaftre, & devenu duc de Lancaftre lui-
mêiùe par la mort de fon père.
Un jugement capricieux & bizarre , rendu par
le roi , avoit exilé le ;Comte de d’E rb y pour dix
ans ; mais le roi lui avoit promis de borner à
'quatre ans le temps de cet e x i l , & avoit donné
des lettres-patentes pour lui conferver fes droits
héréditaires ; il avoit depuis révoqué ces lettres
& retenu les biens de la maifon de Lancaftre.
L e nouveau duc de Lancaftre-d’E rb y revint de
fon exil pour réclamer ces b ien s :le s conjonctures
étoient favo rable s, & Lancaftre v it bientôt
qu’il pouvoit enlever la couronne au prince qui
avoit voulu lui enlever fon patrimoine. L e roi
étoit allé faire la guerre en Irlan d e , il fe hâta d e
repaffer en Angleterre à la nouvelle du retour &
d e .la révolte du duc de L an c a ftre , mais les e f -
prits étoient mal difpofés. L e ro i, quelques jours
après fon arrivée fur les terres d’An gleterre, regardant
le matin par fa fenêtre qui donnoit fur la
c am p agn e , comptoit v o ir toute fon armée r a f-
femblèe autour de lui ; cette a rm é e , de trente-
deux mille hommes, étoit réduite à fix m ille ,
tout le refte avoit déferté pendant la nuit &
étoit allé fé joindre au duc de Lancaftre. T o u t
abandonna le malheureux R i c h a r d , il s’abandonna
lui-même & quitta le peu de troupes qui lui
reftoient, de peur qu’ ellesme le livraffent au duc
de Lancaftre ; il alla s’enfermer dans le fort château
de Conw ai fur la mer , Où il étoit en sûreté >
delà il envoy a le comte . d ’H untingdon, fon frè re
nature l, négocier ave c Lancaftre. Celui-ci retiut
Huntingdon jufqu’au re to u r , d ifo it - il, du comte
de Northumberland, qu’il avoit de fon côté env
o y é aü r o i , & il força Huntingdon de mander
au roi qu’il pouvoit a vo ir une confiance entière
dans le comte de Northumberland. Cette lettre fut
en vo y ée à Northumberland lui-même. Lorfqu’il
parut devant le roi , celui-ci lui demanda s’il
n’avoijt pas rencontré Ion ~ frère en chemin. 9
o u ï , fire , répondit - i l , & vo ic i une lettre dont
il m’ a chargé pour vous. Northumberland, au
nom du duc de L an c a ftre , ne demanda point