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cilaffo Carillo avoit un frère, .Gomès Carillo ,
refté fidèle au roi ; dora Pedrs refolut de le traiter
en traître, parce qu’il jugeoit que ion frété
l'avoir été. Gomès fe voyant fufpeft, crut devoir
fe juftifier auptès du r o i; dom Pedre convint
d’avoir pris quelque ombrage, mais-, content de
la juflification de Gomès, il parut lui rendre fa
confiance; il lui.donna le gouvernement d’A l-
gczire & l’envoya en prendre pbffefiion ; lorfque
Gomès fut dans la barque qui devoit le tranf-
porter, on lui trancha la tê te , qui fut à-l’inftant
envoyée au roi.- N
Les corps n’étoient'pas plus-ménagés que les particuliers
, le clergé ne l’étoit pas plus que les autres
corps. L’archevêque de Tolèd e, Albornos,
prélat, qui joignoit aux vertus d’un évêque les
taie ns d’un guerrier »effrayé des violences de dom
Pedre, quitta fon liège & l’Efpagne, & alla en
Italie fervir le pape, laiffant dom Pedre fe venger
de fon improbation par de nouvelles violences..
L’évêque de Siguença, le prélat le plus favant
& le plus exemplaire du royaume, emprifonné
pour avoir plaint le fort de Blanche de Bourbon-;
l’archevêque de Tolède Va fco, l’un des fucceffeurs
d’Albornos, arraché de l’autel où il cntendoit la
meffe, & chaffé à l’inftant du royaume, pour
avoir donné des larmes à la mort de l’infortuné
Guttière de' T o lèd e , fon frère , que toute l’Ef-
pa*ne regrettoit ; les évêques de Lago & de Cala-
horra, chaffés pareillement de leurs églifes ; Maldo-
nado , grand archidiacre do Burgos, poignardé
pour avoir reçu des lettres du comre de Tranftamare
; l’archevêque de Brague , emprifonné pour
fon attachement au même prince ; l’archevêque &
le doyen de Compoftelle, maflacrés pour la même
caufe , & dans un temps où dom Pedre détrôné,
fugitif avoit intérêt de ménager tout le monde ,
montrent affez qu’il de favoit rien ménager..
Si nous voulons voir quel il etoit a 1 egard des
puiffances voifines'& indépendantes, nous retrou-„
verons le même defpotifme, la même férocité,
là même violence. L ’idée que les autres fouverains
puiffent être fes égaux, entre avec peine dans fon
ame, & il la repouffe fans ceffe.
Le roi" d’Arragon , Pierre, dit le Cérémonieux^
étant en guerre avec les Génois, Perellos, fon amiral
, enlève deux galeres génoifes dans le port
de Sainte-Marie, à la vue du roi de Caftille. Ce
Prince ne prenoit aucun intérêt aux génois, mais
il regardoit ce coup de main comme une infulté ;
il pouvoit avoir droit d en demander une réparation
& le roi d’Arragon l’offroit ; la réparation
que dom Pédre exigea , fut la tête de Pérellos. Sur
1e refus du roi d’Arragon , il lui ht la guerre mais
c’étoit peu de combattre le roi d’Arragon , de couronne
à couronne, il pretendoit le détrôner, le
prendre & le faire périr fur un échaffaut,- à la
place de Pérellos. Il commença par faire arrêter
■ £,us les marchands Aragonois & Catalans qui fe
îeouvoient dans fes états. Mercero , général des
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Arragônois, ayant été pris dans un combat naval
eut la tête tranchée a Séville ; tous les prifonniers
périrent dans Iss fupplices; dom Pédre affiégeant
en perfonne le château d’Orihuéla, propole au
gouverneur Jean Martinez d’Eflaba, une conférence,
pendant laquelle il le fait tuer à coups de
flèche. Le roi d’Arragon, outré de reffentiment,
propofa un duel à dom Pédre, qui répondit qu il
fauroit bien le faire périr d’une mort moins honorable..
Le roi d’Arragon appelle à fon fecours
Mahomet Barberouffe , roi de Grenade, qui, par
une diverfion heureufe force dom Pédre à faire la
paix avec le roi d’Arragon. Au milieu de la fécu-
rité que produit cette paix, dom Pédre tombe
avec toutes fes forces fur les états de Barberouffe,
qui réclame à fon tour l’afiiftance du roi d’Arragon :
celui-ci refpirant à peine d’une guerre fi cruelle ,
n’ofoit plus fe commettre avec dom Pédre ; le roi
deN Grenade, abandonné ainfi de fon allié, crut
qu’une généreufe confiance pourroit défarmer fon
ennemi ; il vint fur la foi d’un fauf-conduit 9 avec
une foible efcorte, le trouver à Séville , 6c traiter
avec lui au milieu de fa cour ; dom Pédre parut
d’abord fentir ce que le procédé de ce prince avoit
de franc & de noble,* il l'accueillit, il lui donna
des fêtes : mais dans la folemnité d’un feftin, ie
roi de Grenade eft arrêté avec trente-fept des principaux
feigneurs de fa fuite ,* on les promène igno-
minieufement fur des ânes, dans les rués de Séville
I précédés d’un héraut qui annonçait au peuple
que le roi avoit condamné à la mort ces infidèles.
Il fit plus, il voulut, dit-on, en être lui-
même le Bourreau avec fes courtifans; il fit ramener
devant lui le roi de Grenade , & lui portant de
fa main un coup de lance : » infâme,. lui dit-il ,
» voilà- le prix de la paix que tu m’as forcé de:
» faire avec l’Arragonois». « L ’univers peut juger
» qui de nous deux eft l’infame, répondit le roi de
» Grenade, en mourant ; je cherche un afyle che*
» toi, tu me Pavois offert, & je meurs de ta main ».
Les feigneurs Grenadins de la fuite de Barberouffe
furent à l’inftant mis en pièces par les courtifans de
dom Pédre qu’animoit l’exemple de leur ro i, ou
qui plutôt n’ofoient pas ne pas fuivre fon exemple.
Quelques auteurs difent cependant que les feigneurs-
Maures périrent par la main d’un bourreau, ce qui
paroît plus vraifemblable.. L’avarice difpute à la.
cruauté la honte de cette abominable exécution ;
les tréfors que le roi de Grenade avoit eu l’imprudence
d’apporter avec lui, avoient tenté la cupidité
de dom Pedre..
Le roi d’Arragon ayant repris lés armes, cette
nouvelle guerre unit par un nouveau traité , dans
lequel Pierre le cruel exigea pour préliminaire, que
le roi d’Arragon fît périr le comte de Tranftamare
& les autres freres bâtards de Pierre., qui, voyant?
la guerre allumée entre les deux rois, n’avoient:
pas manqué d’aller offrir leurs fervices au roi d’A r ragon
; il exigea de plus que le roi d’Arragon fît
périr auffi fon propre frère, l’Infant d’Arragon Ferdinand^
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dinand; ainfi non content d’être fratricide, il vou-
loit que le roi d’Arragon le fut aufiî ; U paix étoit
à ce prix. L’animofité de Pierre le cruel contre l’in-
fanr d’Arragon , venoit de ce que ce prince etoit
fon plus proche héritier, & avoit été un des trois
princes fur lefquels les grands avoient jetté les
ye.ux, lorfque la maladie de dom Pedre dans fa
jeunelTe, avoit fait craindre qu’il ne mourut fans-
cnfans.
Pierre le cruel avoit couronné tous fes crimes
par l’affaffinat de Blanche de Bourbon, fa vernie
ufe femme. Il s’étoit long-temps refüfé à cet attentat
, non par humanité ni par juftice , mais par
politique & 8c parce qu’il prévoyoit la vengeance ;
il avoit cédé aux inftances, aux importunités de Pa*
dille , & cette coupable Padille , qui avoit tant fol-
licité la mort de fa rivale, n’en jouit point, étant
morte peu de mois après elle. Dom Pedre, a la
mort de Padille, déclara, qu’elle avoit feule été fa
femme légitime, qu’i ll’ayoit époiifée avant BJan-
che de Bourbon ; l’objet de cette déclaration etoit
d’affurer le trône aux enfans qu’il avoit eus de cette
femme ; il en avoit entr’aurres un fils qu’il vit mour
ir , & fa douleur fut fi vive qu’on crut qu’elle
l’entraîneroit au tombeau. C’eût été un jeu bizarre
de la nature, fi Pierre-le-Cruel étoit mort de (en-
fibilité ; mais enfin la nature & l’amour fe firent
fentir à lu i, au moins une fois : c’eft un honneur
qu’il ne faut point lui dérober.
C ’étoit par un crime centre la nature que devoit
périr le monftre qui avoit tant outragé la
nature. Fratricide, i l' devoit périr par un fratricide;
c’étoit de la France que devoit partir la
foudre, dont Pierre - le ■ Cruel alloit être écrafé.
Blanche de Bourbon y trouva des vengeurs. Sur
la mort de Pierre-le-CrueX, arrivée en 13 6 8 ,
voyez les articles Guefclin (du ) & fur-tout Henri
(d e Tranftamare) , roi de Caftille. Il n’avoit que
trente-quatre à trente-cinq ans lorfqu’il mourut.
Te l eft l ’homme que M. de Voltaire a entrepris
de juftifier , -c’eft le plus hardi de fes paradoxes
hiftoriques ; mais d a renverfer tous
les fondemens de l’hiftoire, & peupler l’Efpagne
& la France de brigands , de rebelles, de traîtres,
de fcélérats, pour abfoudre un feul homme, flétri
par ce furnom de Cruel, qu’on eft même obligé
de convenir qu’il a mérité au moins par l’atrocite
de fes vengeances.
Nous voyons dans Ferréras que Pierre-le-Cruel
avoit déjà trouvé des défenfeurs dans des temps
fort anciens ; il défigne & réfute en plufifeurs
endroits de fon hiftoire d’Efpagne quelques-uns
de ces anciens apologiftes; il parle de deux def-
cendaris de Pierre-le-Cruel, dom François & dom
Diegue de Caftille, qui, dans dés écrits apologétiques
en faveur de ce prince, citent fon hiftoire
écrite par dom Jean de Caftro, évêque de
Ja e n , & d’autres ouvrages favorables à Pierre,
mais tous inconnus. Pierre Lopez d^Ayala, dont
Cous avons une hiftoire très-détaillée, du même
Mi/loire.Tome IV ,
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prince, mais écrite dans un efprit tout different,
a été accufé de partialité contre dom Pedre. En
effet, il avoit été proferir par ce prince , & ayant
échappé à fa colère par un bonheur bien rare,
il avoit depuis été grand-chancelier de Caftille lotis
les fucceffeurs de Tranftamare;. cependant I hil-
toire d’Ayala eft parvenue jufqu’à nous > & celle
de Jean de Caftro, efi tellement oubliée, que r é i téras
n’ofe décider qu’elle exiftedans quelque coin
de bibliothèque. La raifon de cette, différence elt
ai fée à deviner; c’eft que le récit d’Ayala s elt
trouvé feul conforme aux jndnumens de l’hiftoire,
à la notoriété publique , à la tradition confiante,
qui peipétuoit dâge en âge le fou venir des cruautés
de dom Pedre par l’horreur qu’elles avoient
infpirée & le ravage qu’elles avoient fait, enfin
à l’hiftoire de toutes les nations, tant efpagnoles
qu’étrangères , fur lefquelles les a étions de dom
Pédre avoient eu de l’influence, & qui en avoient
eu fur lui. La mémoire de dom Pedre s’étoit confier
vée comme celle des fléaux célébrés; il etoit
impoffibîe que fies apologies fie foutinffent. Aya.a
fut fuivi par la foule des hiftoriens de tous les
temps, de toutes les nations & de toutes les
langues. Enfin le témoignage de l’hiftoire contre
Pierre- le-Cruel , étoit fi confiant 6c fi uniforme,
qu’il falloir peut être pour ofer l’infirmer, toute'
l’autorité que donnoit la gloire, & tous les avantages
que donnoit la philofophie a l’illuftre auteur
de l’effai fur l’hiftoire générale.
On a voulu dire que Tranftamare 8c fes ftte-
ceffeurs avoient peut-être fait périr tous les
ouvrages où dom Pedre étoit peint avantageu-
fement, 6c qui auroient pu défabufer la poftérité
fur fon compte ; mais outre qu’en général, ce
projet de tarir ou d’infeâer les fources de l’hiftoire
eft impraticable, & q u e , comme dit Tacite en
parlant des écrits de Crémutius Cordus, il n y
a que des înfenfés qui croient pouvoir étouffer
ainfi pour les fiècles futurs la voix libre de la
vé rité ; l’état où étoit alors l’Efpagne rendoit un
tel projet encore plus impraticable.
Elle étoit divifée en cinq petits royaumes a
peu près égaux, dont les fouverains croient lies
; par une multitude de noeuds, fource de droits,
de prétentions 8c de difeordes. L’héritier préfomp-
tif d’une couronne l’étoit aufli d’une autre , Sc
appartenoit ainfi à plufiéurs états à la fois par des
titres également facrés. Ces petits états fe pené-
troient intimement dans tous leurs points ; rien de
I ce qui intéreflbit l’un ne pouvoir etre etranger aux
; autres; ainfi l’hiftoire de l’un étoit néceffairement,
! & fur tous les objets, l’hiftoire de tous les autres, i Qu’auroitdoncpu gagner l’autorité à fupprimer ou à
1 corrompre en Caftille des monumens hiftoriques,
i qui fe feroient reproduits dans l’hiftoire de tous les
autres états voifins ? L’Efpagne etoit alors ce que
la France avoit été du temps des partages delà
première race. Les quatre rois chrétiens de 1 Ef-
pagne ( car le. «iuquième, celui de Grenade, étoit