
a v o ir été de la maifon de Sade. C e rut le 6
a v r il 1 3 2 7 , qu'il la v it pour la première fois
à la c am p agn e , & qu’il conçut pour elle une
de ces pallions foudaines dont on ne vo it guères
d’exemples que dans les romans ; il lui dut fes
v e r tu s & fa gloire ; elle ne ceffa de l’ infpirer &
de l’exciter aux grandes chofes. Cette paffion
fut la grande affaire de fa v ie ; il l’aima trente
a n s , dont dix furent donnés aux regrets & au
culte de fa m émo ire , ca r e lle ! 11’étoit plus. Ses
Canzoni ne refpirent que Laure ; tous fes ou v
r a g e s , tant italiens que la tin s, ne parlent que'
d’e lle ; il reconnoît lui devoir tout & n’être rien
que par e lle . Unum hoc non fileo , quod me
quantulumcumque confpicis , per illam ejfe , nec
unquam ad hoc f i quid. efi nomïnïs aut glor'ue, fuijfe
venturum , nïfi virtutum tenuijfimam fementem, quam
pcElore in hoc natüra locaverat, nobilijjîmis his affic-
tibus coluiffet. Ilia juvenilem animum ab omni turpi
tudine revocavit, uncoque, ut aiunt, retrax.it atque alla
compulit fpc&are. M rend auffi hautement témoignage
aux ve rtus de L aure ; parlons plus clairem
e n t , à fa vertu & au refpeét qu’il eut toujours
pour e lle ; ainfi ce fut la paffion la plus p u re ,
& voilà pourquoi elle fut fi durable. Q u o ique
dans le ‘fond de fon coeur e lle partageât fa
p a ffio n , Pétrarque fe plaint de ce qu’elle s’armoit
louven t contre lui d’un oeil trop fie r , d’un front
trop redoutable ,* il lui reproche à cet égard un
peu d’ingratitude , un peu de hauteur & d’inégalité.
Cogita quot blanditias in votum ejfuderis l
quot lamenta , quot lacrymas ! cogita illius inter hotc
altum feepe ingratumque fupercilium , & f i quid hu-
rnanius, quam id brève, aurâque mobilius. Peut-
être la ve r tu de Laure a v o it-e lle befoin de toutes
ces re ffourc e s, pour fe défendre contre une paffion
fi confiante & fi flatteufe à tous égards. Mais on
v o it que madame Deshoulières en dit tro p ,
lorfque dans la defeription de la Fontaine de
Vauclufe , elle s’exprime ainfi :
J e n e v o u s f e r a i v o i r d a n s c e s a im a b l e s li e u x
Q u e L a u r e te n d r em e n t a im é e ;
E t Pétrarque v ic to r ie u x .................. » ♦
L e t em p s q u i d é t r u i t t o u t , r e f p e f l e le u r s plaijïrs:
L o r fq u ’elle dit que Pétrarque
E x p r im a fi b ie n fo n a r d e u r ,
Q u e L a u r e m a lg r é f à r i g u e u r ,
L ’ é fc o u ta , p la ig n i t f a la n g u e u r 9
E t f i t peut-être plus encore.
Q uan d elle parle
D e c e t a n t r e o ù l ’ am o u r t a n t d e f o i s f u t vainqueur J
& qui è leve dans l’ame un trouble dangereux
& alarmant pour la pudeur, comme fi elle parloit
dé la grotte où Enée fut vainqueur de Didon.
L aure demeuroit près des rive s de la Sorgue
& de la Fontaine de Vauclufe ; Pétrarque habitoit
A v ig n o n , & partageoit toute fa v ie entre elle
& des études qui étoient un moyen de plus de
lui plaire. Un niftorien de Provence, Noftrada-
mus , a cru que Laure avoit dû, comme Héloïfe ,
briller par les talens de l’efprit qui diftinguoient
fon amant, & qu’ayant infpiré un poète, elle
avoit dû être poète elle-même; en conféquence ,
il lui donne'une place difiinguée parmi les poètes
qui ont écrit en langue provençale; mais comment
Ion amant nous aureit-il laifîé ignorer cette heu-
reufe conformité qui fe feroit trouvée entre lui
& celle qu’il aimoit ? Pétrarque voyagea, parce
que c’étoit encore un moyen d’acquérir des con-
noiffances & de fortifier fes talens ; il vit Rome ,
il vit Paris & les Pays-Bas & une partie de
l’Allemagne. L ’évêque de Lombez , Colonne, qui
n’avoit pas dédaigné d’être le confident de fon
amour pour Laure, ayant peine à concilier cette
longue abfence avec tant d’amour, lui en fait
la guerre, & jouant fur les mots de Laura &
Laurea, lui dit que ce n’eft pas de Laure qu’il
efi amoureux , mais du laurier poétique. Pétrarque
répond très-férieufement à cette plaifanterie ; il
attefie l’évêque lui-même & la connoiffance per-
fonnelle qu’il a de la fincérité , de la violence
de fa paffion & de tout ce qu’elle lui a fait fouf-
frir d’inquiétudes & de tourmens. Dans là fuite,
comme pour fe dédommager de cette longue
abfence, il fixa fon fejour, non plus dans Avignon,
mais à Vauclufe même ; il y transporta fes livre s,
& ce fut dans cette retraite, où il paffa dix
années à différentes fois , qu’il compofa la plupart
de fes ouvrages. Cependant fà réputation augmentait,
tous, les jours , & du fond de cette
retraite amoureufe & littéraire, il commençoit
à remplir l’univers du bruit de fon nom. Il reçut
en un même jour des lettres du fénat de Rome
& du chancelier de l’univerfité de Paris, Robert
de Bardis, Florentin , qui l’invitaient à venir recevoir
la couronne poétique, l’un à Rome, l’autre
à Paris. Il confulta fes amis fur le choix, mais
pourquoi fàlloit-il faire un choix entre ces deux
couronnes ? Ne pouvoit-on les recevoir toutes les
deux ? Il femble même que l’une de ces deux
couronnes déjà reçue, était un titre de plus
pour obtenir l’autre. Quoi qu’il en foit, l’avis de
fes amis, conforme à fon inclination, lé détermina
pour Rome ; il partit & paffa d’abord à Naples,
pour faire hommage de fa gloire au roi Robert,
^qu’il regardoit comme fon fouverain , en qualité
de comte de Provence , & qui avoit des bontés
pour lui ; ce prince paffoit d’ailleurs pour le fou-
verain de l’europe le plus fage & le plus éclairé;
Pétrarque voulut fubir à fa cour une efpèce d’examen
, pour qu’il fût en quelque forte conftaté
juridiquement s’il étoit digne ou non de la couronne
qu’on lui offroit, & pour avoir à tout
événementl’aveu de fon fouverain.Robert, charmé
de tout ce qu’il lui connoiffoît, & de tout ce
qu’il vit alors en lu i , & de lumières & de
talens, lui offrit de prévenir Rome & de le
couronner dans fa cour. Pétrarque qui avoit
fans doute pris fes engagemens avec Rome , pria
Robert d’agréer fes exeufes, & .Robert à fo.n i.our
lui fit les Tiennes , fur ce que fon grand âge ne
lui, permettoit pas de le transporter à Rome pour
y faire luùmême la cérémonie en Tabfence des
papes, dont le fiégeétoit.transféréalors à Avignon ;
il envoya du môins un de fes gentils - hommes
pour le repréfèneer:, & fit, expédier k Pétrarque
les certificats lés plus honorables, ils.Turent pré-
fentts folemnellemént au fénat de Rome , & le
fénat y eut égard en déclarant expreffément dans
fon diplôme £ q'ue le couronnement fe faifoit tant
au iiom du roi de Naples qu’au nom du fénat
& du peuple Romain. Le jour de la ceremonie
avoit été fixé au dimanche de Pâques 8 avril 17 4 1.
Ce jour le fsnat s’alfembla jau Capiiol.e, où le
peuple averti par ie bruit de trompettes , fe rendit
en foule. Pétrarque en habit de triomphateur, habit
que le roi de Naples lui avoit donné pour cette cérémonie,
demanda la couronne poétique:, : par une
courte harangue , dont Virgile lui avo.it fourni le
texte. Orfo, comte d’Anguillara, fénateur de Rome,
parla enfuite au nom du fénat, & en finiffant
Ion difeours, mit fur la tête f i s Pétrarque une
couronne de laurier au bruit des applaudiffemens ,
des battemens de mains & des tranfports de joie
univerfels. Etienne Colonne , chef de cette illuftre
maifon Colonne , à laquelle Pétrarque, avoit toujours
été attaché, prit erifuite la parole, & fit
l’éloge du poète couronné. Pétrarque defeendit du
Capitole avec une nombreufe fuite , & fe rendit
dans l’églifë de Saint-Pierre, où après avoir rendu
grâces à D ieu , il déppfa fa couronne &. la plaça
parmi les dons appendus dans ce temple. Les lettres- ‘
patentes ou diplôme de fon couronnement ,• dé-
claren^que François Pétrarque a mérité le titre de
grand poète & de grand hifiorien ; en conféquence
elles l’autorifent à porter dans toys lgs ades publics
où il affifiera, la couronné de laurier, de hêtre
ou de myrthe à fon choix & l’habit poétique ;
enfin Pétrarque y efi déclaré citoyen Romain.
Ces particularités & beaucoup d’autres font
tirées des lettres mêmes de Pétrarque.
Les feigneuis de Coreggio lui donnèrent l’ar-
chidiaccné de la cathédrale de Parme ; les Carrares
un canonicat de Padoue; alcrs partagé entre
la France & l’Italie, tantôt l’amour & le fou-
venir de fes belles années le rappeîloient vers
Vauclufe ; tantôt le devoir & la reconrioiffanbe
Je Tamerioieht en Italie, & comme il falloir toujours
que par-tout il vécut à la campagne,
comme c’efi là le véritable féjour d’un homme de
lettres, d’un philofophe & d’un écrivain ï
Scriptorum chorus omnis amat nemus &\,fiigit urbes.
il prit aux environs de Parme une maifon de cam* j
pagne fur les bords de la Lenza ; il Véto it Icrf-
qu’il eut un rê\e que le Baron de là Baftie, qui
a écrie fa vie ayec beaucoup de détail & affez j
; de critique, rapporte en ces ferrites, d’après Pc-
; trarque luiTmême :
“ Il crut voir Pévêque de Lombez, feul, tra-
» verfant un ruiffeau qui arrofoit fon jardin ( à lui
» Pétrarque: ) il s’avança avec empreffement pour
n demander à l’évêque d’où il venoit & pourquoi
» il marchoit ainfi fans fuite & avec tant d^
» hâte. Vousfouvenez-.vous, lui répondit l’évêque
» en fouriant, de l’été que vous paffâres avec
n moi au-delà de la,Garonne? Le* climat vous
.» parut insupportable : j’en fuis ennuyé à mon
jj tour, & je vais à Rome pour n’en plus revenir.
» L’évêque avançoit toujours en difant ces mots :
» & il étoit prefqu’à l’extrémité du jardin , lorfque
v Pétrarque fe mit en devoir de le retenir, &
» le conjura de vouloir bien#fouffrir qu’il eût
» du moins l’honneur de l’accompagner ; mais
» le prélat le repouffant doucement avec la main*
» & changeant de v i f ge & de ton ; il n’efi pas
» néceffaire , dit-il, que vous veniez avec moi
» a prefent. A ces mots Pétrarque le regarde ,
n 8c lui trouve le vifage fi pâle & fi défait, qu’il
» ne peut douter qu’il ne loit mort. Le faififfe-
» ment lui fait jetter un cri qui l’é v e ille ; fiappé
v de ce rê v e , il en marque auffitôt l’heure & le
n jo u r , il le raconte à ceux de fes amis qui vien-
». nent le v o ir , & l’écrit aux autres. Enfin, au
» bout de vingt-cinq jours , des lettres venues de
» France, lui annoncent la mort de l’évêque de
» Lombez , arrivée le même jour où ce Prélat
» lui avoit apparu en fonge».
Il faut obferver qu’avant ce rêve, Pétrarque avoit
reçu la nouvelle que l’évêque de Lombez étoit
dangereufement malade; le rê v e , d’après cela,
prouve fon inquiétude & fa tendrefie pour fon
ami & fait Ton éloge. Il ne refte plus de merveilleux
que la mort de l’évêque de Lombez , arrivée pré-
cifément le mêmé--jbur que le rêve : la chofe eft
■ poffible , mais elle fient du merveilleux , & ce
qui n’en tient point du;iout, c’eft qu’un auteur
du Tlécle ri’ait pu réfiffer à la tentaj
tion d’ajouter à la vérité cette petite circonftance
merveJleufe. Le fait efi que les nouvelles qui
provoquèrent le rêve préparoient à la mort de
1 évêque de Lombez , & que les premières nou-
, velles arrivées depuis ce même rêve furent celles
de cette mort ; d’après cela il étoit bien difficile de
fe refufer la petite merveille du concours de la
mort av|C le rê v e , & aujourd’hui même ce ne
fefoit qu’à force de philofophie qu’on fe la refu-
feroit.
Le refie de la vie de Pétrarque efi l*hifioïre de
fes liaifons avec les papes , les rois & les per-
fonnages les plus célébrés de fon temps, foit dans
la politique , foit dans les lettres , des honneurs ,
des hommages de toùt genre qnil reçut. Tantôt
c’efi un fouverain qui le confulte fur des affaires
délicates, ou qui l’emploie dans des affaires diff-
ciIesA- & qui reçoit fes-avis avec déférence *
tantôt c’efi un vieillard aveugle qui court après