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portugais, qui eux-mêmes en subdivisèrent ia propriété entre d’autres
personnes. Ces concessions, à diverses époques , revinrent à ia couronne,
soit par confiscation, soit à la suite d’arrangemens particuliers, dont le
détail doit être supprimé ici. C ’est par cette dernière cause qu’en 1752
le district de Goytacazes , formant la partie la plus orientale de la province
de Rio de Janeiro (voyez pl. 1 ) et appartenant au vicomte d’Asseca
Salvador Correa de Sa, rentra dans le domaine royal.
L’année 1753 fut remarquable par l’arrivée au ministère portugais,
du célèbre marquis de Pombal (1), dont la politique vigoureuse et souvent
cruelle eut une influence si grande sur les destinées du Brésil.
Quelque désir que j’aie d’éviter en général ici toute discussion approfondie
, il est impossible que je n’entre pas dans quelques détails sur un
des résultats de son administration les plus importans, et qui se rattache
d’une manière si immédiate à l’histoire de la province de Rio de Janeiro :
je veux parler de l’expulsion des jésuites.
Déjà j ’ai dit un mot de l’avidité avec laquelle les colons cherchoient
par tous les moyens à se procurer des esclaves parmi les Indiens brésiliens,
et de la résistance courageuse que les jésuites missionnaires firent sans
cesse pour s’y opposer. Cette opiniâtreté d’efforts dégénéra enfin en une
lutte envenimée, dont nous allons rapporter (2) les effets principaux et
les déplorables conséquences. . v .
A leur arrivée au Brésil, les jésuites s’étoient empressés de catéchiser,
et successivement de réunir, dans de petits villages sous le nom d’alde'es,
les tribus errantes et sauvages dont la férocité avoit été d’abord si funeste
aux Européens. En répandant chez eux les principes du christianisme et
de la civilisation , en détruisant l’anthropophagie, vice si horriblement
enraciné, ils s’occupèrent aussi de rendre les Indiens utiles aux colons.
(1) SebastiaÔ José de Carvalho e Mello, plus connu sous le nom de marquis de Pombal.
« Aucun autre homme d’état de son siècle, dit Southey ( Hist. o f B r a t. I I I , p. 505), n’oc-
» cupera une place plus éminente dans I’hiétoire;... mais cette célébrité ne doit pas lui être
« enviée;... on sè rappellera plus le mal qu’il fit que le bien que sans doute il avoit le dessein de
» faire.»
(2) Southey, dans son Historia o f Brazil, m’a fourni les détails que je donne sur l’expulsion
des jésuites. Cet auteur m’a paru, à cet égard, d’autant plus impartial, qu’on sait fort bien à quel
point il a en horreur la religion catholique, qu’il appelle, en plusieurs endroits de ses ouvrages,
une religion d’idolâtres.
LIVRE I.er — D e F r a n c e a u B r é s i l in c l u s iv e m e n t . 5 5
«Le système des jésuites au Brésil, dit Southey, différoit essentiellement Rio de Janeiro.
» de celui de leurs confrères du Paraguay : des registres de leurs aidées, s<îuisse I5tor-
» gardés par les gouverneurs, contenoient les noms de tous ceux qui
» étoient capables de servir, depuis l’âge de treize ans jusqu’à cinquante.
« Ces registres étoient renouvelés tous les deux ans, et attestés véritables ,
» sous le sceau du serment, par chaque missionnaire respectif. Sur ces
» listes, le gouverneur distribuoit les pauvres Indiens qu’avec une impuni
dente hypocrisie on appeloit libres, pendant une période de six mois , et
» envoyoit des ordres écrits à chaque missionnaire pour qu’on remît aux
» colons portugais le nombre d’indiens indiqué sur la note. Pendant le
» reste de l’année, les Indiens pouvoient continuer de servir s’ils le vou-
jj loient, et il y en avoit plusieurs qui préféroient ce service au genre de
» vie des aidées, où, à la vérité, ils étoient moins surchargés de travail,
» mais plus surveillés et plus retenus (1). »
On voit ainsi que les naturels ne pouvoient disposer que de la moitié
de l’année; pendant l’autre moitié, les colons chez lesquels ils travail-
loient étoient obligés de leur payer des gages, de les nourrir, &c. ; et
quoique ces obligations elles-mêmes fussent réduites au taux le plus modique
, 1a cupidité européenne en fut offusquée, et chercha constamment,
soit à les éluder, soit à s’en affranchir.
Les planteurs accusôient les missionnaires de se montrer, sans nécessité
, plus jaloux de la liberté et du bien-être des indigènes que des intérêts
des Portugais. « Il ne partoit pas une flotte pour Lisbonne, sans
» qu’elle portât des plaintes de ce genre, adressées par les deux senados (2)
» et par les habitans, assurant que la colonie étoit ruinée par le manque
» d’esclaves, et que la conséquence des scrupules des jésuites étoit de
» priver le peuple de pain Mais ni la crainte du blâme, ni celle de
» devenir odieux, ne purent détourner ces religieux de remplir leurs de-
» voirs avec fidélité. Ils représentèrent avec persévérance, à la cour, que
» le seul remède pour les maux de la colonie étoit d’abolir entièrement
» l’esclavage des Indiens. Par suite de la tyrannie des Portugais, ajou-
» toient-ils, les Indiens émigroient vers les possessions espagnoles; ils
(1) Hist. ofBraç. t. I I I , p. 368.
(2) Sorte de chambre municipale.