
De l’homme
comme
individu.
Observation d'une dysenterie suivie d'entente, augmentée par des causes
locales, et terminée par la mort.— » Lenok, matelot, âgé de 30 ans,
éprouva une diarrhée qui lui fit rendre, plusieurs fois en vingt-quatre
heures, des matières jaunâtres sans apparence de sang : il fut plusieurs*
jours dans cet état, sans se plaindre, et même, lorsqu’il vint au poste des
malades, ses souffrances étoient modérées ; cependant il ressentoit des
épreintes au fondement. Quinze jours se passèrent sans que le mal augmentât
; mais il ne diminua pas non plus par l’administration de l’opium
a 1 intérieur et en frictions sur le bas - ventre. Ce jeune homme n’étoit pas
trop abattu, et il se levoit dans le jour. On ajouta de la décoction de
quinquina à sa tisane de riz, sans que ce moyen produisît quelque effet :
le mal augmenta peu après notre sortie du détroit d’Ombai. Les douleurs
abdominales sur-tout se firent fréquemment sentir; elles se calmèrent
un peu d abord par 1 effet des lavemens opiacés,- mais pour
revenir plus fortes ensuite.
” Le trente-deuxieme jour de la maladie,' la foibiesse étoit extrême,
accompagnée de fièvre et de vomissemens de matières vertes et amères,
qui durèrent jusqu’au lendemain. La douleur occupoit tout le bas-ventre
et s etendoit jusqu a la région hépatique. Les selles étoient dévenues
sanguinolentes, pourries et fétides.
» L e trente - cinquième jour, le pouls etoit petit et vif; les douleurs
cessèrent ; une sueur froide couvrit la face et la poitrine. Le malade avoit
la parole brève, et disoit ne plus souffrir. Les selles étoient toujours
nombreuses, et c est en sortant de dessus le siege pour rentrer dans son
lit, que ce pauvre jeune homme expira.
» Lautopsie, faite le lendemain, montra le colon traverse enflammé à
1 extérieur, et adhèrent aux parois de 1 ahdomen, qui avoit aussi participé
à la phlogose de l’intestin : celui-ci, beaucoup augmenté de volume , .
étoit sphacélé et rempli de matières noires et pourries. L’iléum, qui
paroissoit sain, contenoit cependant un mucus noirâtre. On n’a pu
étendre les recherches jusqu’au rectum , qu’on a aussi supposé être affecté.
» Le scalpel qui servoit à faire l’ouverture, changea de couleur et
pays qu’ailleurs; on a reconnu, par exemple, qu’à l’Ile-de-France il ne se rencontre quelquefois
pas, sur le même manguier, deux fruits qui se ressemblent pour le goût et pour l’odeur.
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r in c l u s iv e m e n t . 605
devint noirâtre, ce qui tient probablement au dégagement d’un gaz
hydrogéné.
Dysenterie chronique, compliquée ddnasarque et d’ascite, guérie. — » Bour-
dier, matelot, âgé de 25 ans, d’une constitution assez forte, quoique
pâle de figure, demeura plusieurs jours à terre à Timor, et se livra
avec excès aux plaisirs vénériens. Il revint à bord avec une dysenterie
qui se manifestoit par des symptômes assez graves ; les selles étoient nombreuses
et contenoient beaucoup de sang. D’abord on employa, pendant
quelques jours , l’opium uni aux antiphiogistiques, qui n’apportèrent
presque point de soulagement, ce qui nécessita la cessation du premier
moyen et la continuation du second.
» Après un mois de cet état, la maladie devint chronique : il fallut
alors revenir à l’emploi de l’opium, de la thériaque, du diascor-
dium, ou bien de la décoction de quinquina, selon l’occurrence.
C’est à-peu-près à cette époque que le malade commença à commettre
des- intempérances, souvent réitérées, dans le manger. De là les variations
en bien ou en mal qui eurent lieu dans son état, depuis l’invasion
de la maladie jusqu’à l’instant où, regardé comme guéri, il sortit du
poste (1), après y être resté iop jours. Mais'peu de temps après il y
rentra de nouveau, en rendant du sang par les selles.
Il suffit de dire enfin que, par suite de sa voracité, les pieds lui enflèrent,
ainsi que la figure et successivement tout le corps. Le bas-ventre contenoit
plusieurs pintes d’eau lorsque nous arrivâmes aux îles Mariannes.
Il souffroit horriblement, et plusieurs fois je crus qu’il n’avoit que peu
de jours à vivre : malgré cela, lorsque ses douleurs lui donnoient quelque
trêve, il ne s’occupoit qu’à se procurer des alimens, disant lui-même
que, puisqu’il n’avoit aucun espoir d’en réchapper, il ne devoit rien se
refuser. Son caractère irascible n’écoutoit aucun avis salutaire. Durant
les premiers jours de notre relâche aux Mariannes, il eut de fréquentes
indigestions, ce qui ne l’empêcha pas de supporter assez bien les divers
changemens de place qu’il fallut lui faire subir. Malgré son état misérable,
malgré tout ce qu’il faisoit constamment pour en augmenter la
gravité, les eaux du bas-ventre s’écoulèrent peu à peu; l’anasarque dis-
( 1 ) On appelle ainsi l’hôpital provisoire établi sur un vaisseau.
De l’homme
comme
individu.