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Octobre.
n’ont pas la blancheur qu'offrent ordinairement celles qui sont dans une
exposition différente.
La population de Gibraltar est un mélange de gens de tous les pays et
de toutes les religions, parmi lesquels les Juifs dominent à tel point, que
l’on pourrait à juste titre nommer cette ville la Jérusalem moderne. Le
nombre des habitansne s’élève pas, dit-on, à moins de quinze mille ames.
Quelques jolies Espagnoles, dont les attraits étoient relevés par un
costume noir fort élégant, se faisoient remarquer parmi les autres personnes
de leur sexe, dont la figure est en général peu agréable; celles
dont les parens sont originaires de cette ville, conservent leur ancien
costume espagnol, la mantille et les robes noires bordées de rouge.
La garnison varie en raison des craintes du cabinet de Saint-James :
elle consistait alors en deux régimens anglais, un allemand, un de nègres
des Indes occidentales, parfaitement dressé aux exercices européens, et
six cents hommes d’artillerie à cheval, ce qui forme en tout à-peu-près
cinq mille hommes, nombre que l’on double ordinairement en temps
de guerre.
Je ne dirai rien du commerce, sur lequel il nous a été impossible de
prendre des renseignemens précis. Il paraît extrêmement développé à
Gibraltar , et beaucoup plus que l’importance de la place ne semblerait le
comporter ; le voisinage où l’on est de l’Espagne, la présence d’un nombre
considérable de Juifs, doivent faire penser que la plus grande partie des
marchandises introduites dans ce royaume y pénètrent par cette voie, et
peut-être même sous le manteau de la contrebande. Les fortunes colossales
de quelques individus prouvent au moins que les bénéfices y sont
énormes. Parlerai-je d’un palais en marbre blanc qu’un Ju if extrêmement
riche, M. Aaron Cardozo, venoit de faire bâtir ? Il étoit vaste ,
commodément distribué, et d’une belle architecture. Le marbre n’existant
pas à Gibraltar, il avoit poussé la recherche et le luxe jusqu’à
faire venir d’Italie la quantité énorme de cette matière qui était entrée
dans la construction de ce magnifique édifice. Au reste , son propriétaire
n’avoit pas moins de courtoisie que de richesses : ayant appris
que je cherchois un emplacement convenable à l’établissement d’un observatoire
, il m’avoit fait offrir sa demeure, qui, terminée par un immense
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argamasse (1), convenoit à merveille aux observations magnétiques que ^ ‘ 827-
je voulois exécuter.
Mais ce sont les marins sur-tout qui doivent faire des projets avec
réserve. Le vent, en tournant subitement à l’Est, vint me forcer à
changer ceux que j’avois formés, et rendre tout-à-fa it inutile le débarquement
de nos instrumens de physique. J ’avois même invité à dîner
M. Vialé et l’ingénieur anglais qui nous avoit accompagnés dans notre
course de la veille : au lieu de les recevoir, je fus obligé de leur écrire
des lettres d’excuse, et de prier notre consul de venir prendre mes paquets
pour le Ministre de la marine, et recevoir nos adieux.
Nous laissâmes à terre un de nos canonniers, atteint de la maladie du
pays ; c’est la seule personne de l’équipage qui ait eu cette affection pendant
le voyage, encore n’étoit-il pas Provençal : cette circonstance surprendra
sans doute ceux qui pensent que les matelots provençaux, par
leur disposition à la nostalgie, ne sont point propres aux voyages de long
cours.
Tout étant préparé pour l’appareillage, et rien ne nous retenant plus
en rade, nous nous hâtâmes de reprendre le cours de notre navigation,
le 14 octobre, à deux heures après midi.
(1) Terrasse sur le sommet de l’édifice, qui remplace en quelques contrées les toitures employées
, sur-tout dans les parties froides de la France.