
1818. occasions d’ajouter quelques notes, même imparfaites, aux pages si long-
Novembre. . . T . , £ ° ° temps arides de notre journal.
Le i 5 , plusieurs requins pris pas nos matelots nous donnèrent lieu
de faire de curieuses remarques sur la force musculaire dont sont doués
ces animaux. « J ’avois bien remarqué, dit M. Gaudichaud, que, longtemps
après sa mort, le requin conserve une contractiiité machinale
très-considérable; mais jamais je n’aurois pensé qu’un de ces poissons ,
presque .entièrement suffoqué, hissé à bord, fendu de la tête à la queue,
vidé de tous ses viscères, et ayant perdu tout son sang, eût encore, étant
jeté à la mer une demi-heure après , assez de vigueur pour nager de nouveau
avec une vitesse capable d’entraîner deux hommes qui tenoient la
corde à laquelle on l’avoit amarré par la gueule et les ouïes, et pour
bondir hors de leau ainsi que le font ordinairement les marsouins :
c’est cependant ce qui arriva.
» Peu après cette première expérience, l’haçieçon, qui avoit été remis
a la mer, prit encore un de ces mêmes p®issons : quoique beaucoup
plus petit, on le soumit aux mêmes épreuves, avec cette différence pourtant
qu’on lui coupa les deux nageoires abdominales au ras du corps.
Les phénomènes observés dans le premier se renouvelèrent avec peut-
être encore plus de force dans celui-ci.
» A ces remarques s’en rattache une autre non moins intéressante,
et qui doit dépendre de la même cause ; c’est que cette force contractile
qui fait que le requin nage et saute long-temps après qu’il a été privé de
toutes ses parties vitales, exerce aussi son action avec la même énergie
sur les muscles de la mâchoire, et qu’en cet état. sa morsure n’est pas
moins formidable que s’il possédoit encore ses facultés naturelles. Nous
en avons v u , mutilés de manière qu’on ne pouvoit leur supposer aucun
principe d’existence, saisir des paquets de cordages, et ne les lâcher
qu’après les avoir fortement endommagés. »
II y avoit déjà vingt - quatre jours que nous étions dans le canal
d’Ombai, moins occupés à faire route qua lutter contre des difficultés
de toute espèce, dans l’attente qu’une saute de vent favorable ou un
orage viendroit enfin faire cesser notre perplexité. Cet événement heureux
arriva le 1 6 novembre : une forte brise d’Ouest s’étant établie à
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r in c l u s iv e m e n t . 5 0 9
la -suite d’un grain, le capitaine du navire l’Océan et moi nous en profitâmes
pour sortir des parages diaboliques dans lesquels nous étions
comme enfournés. Bientôt nous eûmes doublé le cap Mobéra sur lîle
Timor, et la partie-Sud de Cambi ; après quoi les courans, venant à
se bifurquer , nous devinrent favorables. Mais ce qui montre à quel
point sont bizarfes et variables les chances de la navigation, c’est qu’un
navire anglo-américain, le Thomas Scattergood, de Philadelphie, entré
la veille seulement dans le canal d’Ombai, en sortit en même temps
que nous.
Or entra neiio stretto, e passa il corto
Vàrco. . . . . (i}.‘
Gerusalemme liberata, c an t. X V .
Ce navire se rendoit à Canton et faisoit momentanément ainsi la route
que nous suivions nous-mêmes.
Libres désormais dans nos manoeuvres, et débarrassés de tous les obstacles
qui nous avoient si long-temps arrêtés, nous eussions bien voulu
forcer de voiles, et réparer, autant qu’il étoit en notre pouvoir, le temps
que nous avions si malheureusement perdu ; mais-une considération importante
vint nous condamner encore, quoique volontairement ici, à
un nouveau délai. Nous n’avions eu à Coupang que peu de rafraîchis-
semens pour nos malades; et le nombre de ces derniers ayant, malgré
tous nos soins, beaucoup augmenté, une relâche étoit nécessaire pour
nous procurer de nouvelles provisions : je choisis celle de Dillé, qui
étoit le plus dans notre voisinage, et qui pouvoit nous ofifir d’ailleurs
plusieurs genres d’intérêt.
Le 17 , à midi, nous arrivâmes devant ce chef-lieu des étabiissemens
portugais à Timor : je fis tirer un coup de canon pour appeler un pilote;
il vint assêz promptement, et nous mit en mesure d’atteindre, à quatre
heures trois quarts, le mouillage désiré.
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(1) Alors le vaisseau entre dans le détroit, et en franchit le court intervalle.