
1818.
Mai.
C H A P I T R E XI.
T> 'aversée du Cap de Bonne - Espérance à l ’Ile-de-France ;
Séjour dans cette colonie.
Nous arrivâmes en vue de l’IIe-de-France un mois exactement après
avoir quitté l’extrémité australe de l’Afrique, et parvînmes , le soir du
même jour, au mouillage devant le Port-Louis.
Quelques instans avant de jeter l’ancre, le pilote étoit monté à bord,
et nous avoit prévenus de ne pas communiquer avec fa terre sans avoir
préalablement reçu la visite du commissaire de santé, que nous ne devions
point, au reste, attendre avant le lendemain. Poursuivi déjà plusieurs fois
par cette fatale formalité de quarantaine, allois-je éprouver encore ici
quelque retard du même genre! Cette pensée me contrarioit d’autant plus,
que j’étois très-impatient d’embrasser un frère dont j’étois-séparé depuis
vingt ans, et qui, venoit-on de m’apprendre, étoit à la veille de se rendre
au Bengale, où i’appeloient des affaires d’intérêt. Ce devoir être, hélas!
pour ne plus le revoir!.....
Cependant le 6 , de très-grand matin, le canot de la santé arriva. Mon
frère accompagnoit le vieux médecin, M. Lavergne. Je leur sus gré à
l’un et à l’autre de leur empressement, quoique je ne pusse pas nre méprendre
sur celui des deux qui en avoit tout le mérite. La communication
avec la terre m’ayant été accordée sur ma déclaration, j’envdyai sur-le-
champ un officier saluer le gouverneur, l’instruire de la nature de ma
mission, et traiter du salut.
Je priois mon frère de me faciliter les moyens de trouver, sans délai,
un local convenable à l’établissement de mon observatoire, lorsqu’il m’apprit
que mes désirs à cet égard avoient été prévenus ; que le grand-juge
commissaire de justice, M. George Smith, informé déjà de la relâche de
/'Uranie, me faisoit offrir sa maison, qu’il n’habitoit point maintenant,
parce qu’il vivoit à la campagne. Quelque touché que je fusse d’une
prévenance aussi aimable, due en entier d’ailleurs au bienveillant intérêt
que M. Smith accordoit à mon frère, je ne voulus néanmoins pas accepter
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r in c l u s iv e m e n t . 357
avant de m’être assuré par moi-même si l’emplacement convenoit aux
diverses observations' que nous avions à exécuter, Le reste de cette
journée-là fut consumé en formalités d’étiquette,.,
A onze heures et demie, nous saluâmes le pavillon anglais de dix-
neuf coups de canon, qui nous furent exactement rendus; après quoi
l’état-major de l’Uranie et moi nous allâmes faire visite à M. le général
Ha ll, gouverneur par intérim de la colonie ; nous en reçûmes les politesses
d’usage, et nous revînmes à bord.
Le 7, je descendis à terre pour voir M. Smith. Ce magistrat aimable
m attendoit chez lui : son accueil fut gracieux, et plein de cette politesse
exquise qui dénoté a-la-fois un coeur affectueux et un parfait usage du
monde.
Apres m avoir fait parcourir celles des parties de sa maison qu’il jugeoit
pouvoir être utiles, soit à l’établissement de nos instrumens, soit à mon
logement et à celui des officiers qui devoient prendre part aux travaux
de l’observatoire, il me renouvela l’assurance que je ne le gênerois point,
même dans la supposition où j’occuperois sa maison toute entière, parce
qu’il lui suffirait d’y conserver un simple pied à terre pour se reposer
lorsqùil voudroit passer quelques instans à la ville.
Convaincu que.je ne commettois aucune indiscrétion, et voyant
d ailleurs que tout, etoit a souhait pour 1 objet principal que nous avions
en vue, j’acceptai l’offre de M. Smith, et donnai aussitôt l’ordre d’apporter
du bord les instrumens nécessaires à nos travaux scientifiques.
Mais lorsque je voulus y faire venir aussi mon cuisinier et mes domestiques,
M- Smith s y opposa. «Vous avez accepté ma maison, dit-il,
», et en homme d’honneur vous ne pouvez rétracter votre parole. Dans
» cefmarché tout l’avantage est de mon côté. Cependant si vous croyez
» qu’il m’est du quelque reconnoissance, je vous prie de me la témoigner
» en permettant que je sois votre premier maître d’hôtel, a J ’ai un cuisi-
» nier passable et un assez nombreux domestique. Vous, serez toujours,
». au reste, le maître d’appeler plus tqrd votre cuisinier, si vous; ne
» trouvez pas le mien à votre gré. »
Ici s engagea une lutte de générosité et de délicatesse ; je.résistar longtemps
: mais mon frère m’ayant assuré que je désobligerais beaucoup le
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Mai.