
i’an , à l’ouverture des travaux d’une coupe de cannes, à l’époque où
cessent ces mêmes travaux, et lors des noces ou du baptême de quelqu’un
des membres de la famille de leur maître. Celui-ci ne manque jamais
de contribuer aux frais de la fête en fournissant les rafraîchissemens et
les vivres nécessaires.
>> Des noirs libres des environs, les commandeurs de l’habitation,
les ouvriers et les domestiques de case, figurent seuls dans ces réunions,
dont sont repoussés avec dédain les noirs de pioche ; la toilette de ces
pauvres diables formerait un contraste choquant avec celle, toujours très-
soignée, des danseuses. Il n’est pas rare de voir ces négresses , vêtues de
satin et de belles mousselijjes, étaler avec orgueil aux yeux de l’assemblée
le tulle, la gaze, les rubans, les anneaux d’or, quelquefois même
la dentelle et le schail de cachemire, dont l’achat a souvent absorbé
l’entier produit des travaux ou du libertinage de l’année.
» Les amateurs du beau sexe noir vont souvent, dans ces sortes de
réunions, faire le choix d’une maîtresse, et, nouveaux sultans, jeter un
mouchoir qui n’est presque jamais refusé. »
Indépendamment du français, qui forme la base du langage à l’Ile-
de-France, une sorte de patois a été inventé par les noirs, qui, ne pouvant
se plier à notre syntaxe, prononcer nos mots difficiles, et saisir la
yaleur propre de quelques-unes de nos expressions, les ont travestis
à leur manière. Peu à peu l’usage a fait loi ; et peut-être ne seroit-ii
pas sans intérêt aujourd’hui d’examiner les règles de cette langue créole ,
qui n’est pas dénuée de charmes.
Dans l’espoir de me livrer un jour à cette étude, j’avois réuni une
quantité assez considérable de matériaux que je destinois à être mis en
oeuvre dans la partie de ce Voyage qui a les langues pour objet; mais
cette partie, qui n’a pas été la moins pénible de notre travail, se trouvant
déjà abondamment remplie, j’ai été forcé d’abandonner mon premier
dessein. Je n’ai pas cru toutefois devoir priver le lécteur d’un petit
nombre au moins d’échantillons de ce curieux et singulier idiome, dont
il existe plusieurs variétés.
On conçoit en effet que chacune des races de noirs qui existent dans
la colonie a du altérer le français d’une façon particulière, et que ce
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r i n c l u s i v e m e n t . 4 ° 7
nouveau langage a dû se régulariser ou conserver sa rudesse originelle,
selon les idées et le degré de culture d’esprit de ceux qui le parlent. On
distingue donc le créole mozambique de celui des noirs indiens, malais
et malgaches | et plus encore du créole usité, par goût et par habitude,
parmi les mulâtres et les personnes riches de l’île. Je donnerai un
exemple de ceux de ces dialectes qui différent le plus entre eux . tels sont
le créole malgache et le créole des Européens, si je puis m’exprimer ainsi.
Le premier morceau m’a été communiqué par M. Benoni Michel :
j’ai cherché à le rendre intelligible au lecteur par une traduction très-
littérale , à laquelle yai joint quelques notes explicatives ; je regrette de
n’avoir pu en faire disparoître certaines expressions choquantes; mais
elles, tiennent absolument au genre,
L E 'CHASSEUR,
CONTE EN LANGAGE C R EO LE D E L’ iL E -D E -F R A N C E .
Acoute WÊÊ&. (0 mo parlé ! Enne "tour ça Écoutez, vous autres, moi va parler!
nous té (2) la sasse cerf Grand-Rivière. Un jour, comme cela, nous sommes, allés
L ’her so-lé lève , 7no pour aile prend jnon à la chasse du cerf* à la Grande-Riviere.
poste au pavé j mo passe dréte cote ça A i heure du soleil levant, moi aile pour
grand pié di-bois piant Aughiste comte là ; prendre mon poste au pjvé ( au chemin) ;
à v’/a mo sivr-e la rivière pour saute moi passé juste à côté d l ce grand pied
Vaut1 coté : mo ramasse enne tondre, mo de bois puant (sorte d arbre) qu Auguste
guette lit H en cor jimé. Ah ah ! qui connaît là. ; et voilà moi suivre la riviere
dou-monde qui té pass} là ! N’a pas nous pour passer de i’autre côté ; moi ramasse
yence-ça, faut’ fait que lévé. un tondre ( 3 ) ; moi regarde lui; lui encore
fumer. Ah ah ! quelle personne a passé là î
Ce ne sont pas de nos gens cela, eux
autres ne font que de se lever.
Aster (4) mo baisse en bas pié (5) frarti- Alors moi baisse sous un framboisier;
bouése; comm ’ça mo trouve la tarace. Comment de cette manière moi trouve la trace ( em-
dou-monde entré dans di-bois (6) en montant preinte des pieds ). Comment quelqu’un
( 1 ) Zaut’ , pour vous autres, ou les autres. Zaut* signifie aussi parfois eux.
(2) T é , pour été, ou plutôt avons été.
(3 ) Tondre, morceau de bois creusé, rempli de coton charbonné, qui sert d’amadou aux noirs.
(4) Aster, à cette heure, alors, maintenant.
(5) En bas pié, en bas du pied, dessous, sous.
(6) Di-bois pour du bois. Ordinairement les hoirs joignent notre article au substantif, et
Voyage de Y Uranie. — Historique. F f f