
-» Voyant que nous étions complètement égarés, nous prîmes la résolution
de contourner l’étang, eut-il vingt lieues de circuit, et de retrouver
de cette manière le lieu de notre première halte. Nous exécutions ce projet
avec ardeur, lorsque, à cinq heures du soir, nous vîmes tout-à-coup, après
avoir franchi une dune, que ce faux étang communiquoit avec la mer, et
qui! formoit, par conséquent, un havre-qui se projetoit fort avant dans
les terres. La vue de la Gorgone n’eût pas produit un effet plus rapide...
Obstupui, steteruntque comæ, et vox faucibus hæsit.
ViRG. Æneid.
» Notre position devenoit de plus en plus difficile et inquiétante. Nous
n’avions ni bu ni mangé de la journée ; pas une goutte d’eau n’avoit rafraîchi
notre bouche brûlante, et constamment nous avions marché à l’ardeur
du soleil, parmi des broussailles ou sur le sable ; nos jambes étoient
ensanglantées, nos forces affaiblies ; une terre aride, inhospitalière, objet
du courroux céleste, ne nous laissoit envisager de toute part que les horreurs
de la soif!... M. Gabert, éclairé par une de ces illuminations soudaines
dont parle Bossuet, se souvient qu’il a vu le soleil se coucher sur l’île
Dirck-Hatichs; il a noté cette circonstance sur le journal météorologique....
Il fut dès-lors résolu que nous nous dirigerions vers l’Ouest, et
que, pour arriver plus promptement à la rade de Dampier, nous traverserions
le havre que nous venions de découvrir, et qui n’.est que le prolongement
des étangs Montbazin.
» Mais nous étions trop rapprochés maintenant du point où ce havre
communique avec la mer; sa largeur n’eût pu permettre à nos forces,
épuisées d’entreprendre un pareil trajet ; il falloit donc commencer par
chercher un lieu plus convenable à nos desseins. La nuit vint bientôt
nous surprendre ; nous nous reposâmes alors sous quelques arbrisseaux
qui pouvoient, au besoin, nous garantir de la pluie. Un froid assez vif
se faisoit sentir. M. Gabert étoit pourvu d’une bonne capote et d’un fort
vêtement de drap: quant à moi, mon pantalon, mis en pièces par les
broussailles, m avoit abandonné dans le joui- ; j’étois eu caleçon et en veste
deté. A dix heures du soir, le froid étoit insupportable, ce qui nous
obligea a nous remettre en route. Nous dirigeâmesnos pas vers le sommet
dune dune de sable qui dominoit toutes les autres; là, nous allumâmes
LIVRE I I . — Du B r é s i l à T im o r in c l u s i v e m e n t . 4 6 5
un grand feu, dans le double but de réchauffer nos membres engourdis
et d’avoir un signal propre à faire reconnoître le point où nous nous
trouvions, si l’on venoit à notre recherche. Nous fîmes cuire 1 oiseau que
j’avois tué; mais il nous fut impossible d’en mangér un morceau, tant nous
étions accablés par la soif et par la fatigue. Je fis aussi, sans en éprouver
du soulagement, bouillir de l’eau de mer dans une cafetiere pour en
recevoir la vapeur, et diminuer la sécheresse de notre palais. Voyant
enfin que notre feu alloit s’éteindre, et que nous nous trouvions fort exposés
au vent sur le sommet de la dune, nous en descendîmes et cherchâmes
un abri, en attendant le jour, Sous quelques arbrisseaux touffus.
' » Le 20, à.5 heures et demie du matin, M. Gabert, plus màtinal que
moi, m’éveilla, et nous nous disposâmes aussitôt à traverser à gué le
havre Montbazin, qui, en face du point où nous nous trouvions , n’avoit
guère qu’une demi-lieue de largeur. Parvenus à-peu-près au milieu de cet
espace, nous fûmes contraints , par la grande profondeur de l’eau, de
revenir sur nos pas; deux fois, sur d’autres parties, nous essayâmes le
passage, et deux fois nos tentatives furent vaines. Charges du poids de
nos armes et de nos habits, vu notre état de foiblesse, nous n’eussions
pu entreprendre de faire à la nage un aussi long trajet.
» J ’avois eu la précaution de mettre ma poire à poudre dans mon
chapeau, et j’eus lieu de m’en féliciter; car M. Gabert, qui avoit négligé
d’en faire autant, eut la sienne tellement mouillée, qu’il fut obligé
de la jeter.’ Cependant, le bain prolongé que nous prîmes dans cette circonstance
nous rafraîchit et nous désaltéra sensiblement ; nous fîmes
sécher u n instant nos habits , et je mis à profit cet intervalle pour
prendre un bain nouveau, qui me rendit presque toute ma vigueur.
' » Il ne nous restoit plus d’autre parti à prendre que de suivre les bords
du havre Montbazin jusqu’à son extrémité septentrionale, et de nous
diriger ensuite à l’Ouest pour atteindre la baie de Dampier et notre camp
avant la fin du jour : tel fut le plan que nous adoptâmes. Nous eûmes
soin de marcher souvent dans l’eau pour calmer la soif ardente qui nous
dévoroit.
» Lorsque l’espoir de revoir notre vaisseau s’affoiblissoit de plus en
plus, M. Gabert s’écrioit de temps à autre : « Pourquoi vous ai-je suivi !....
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