
l'étang près duquel nous étions, pour revenir ensuite au point de départ.
Nous marchâmes d’un pas rapide et reconnûmes bientôt que ies apparences'avoient
été trompeuses : en effet, cet amas d’eau qui nous avoit
paru être d’une étendue peu considérable, se prolongeoit indéfiniment
devant nous en conservant l’aspect le plus monotone. A 8 heures du
soir, fatigués et craignant de nous égarer, nous montâmes sur une dune
dont le revers nous offrait un abri salutaire contre un vent froid fort
incommode. L à, nous allumâmes un grand feu; et après avoir épuisé
les dernières provisions qui nous restoient, nous nous livrâmes au repos:
l’un de nous toutefois veilloit à tour de rôle pour éviter Ifts surprises et
entretenir notre feu.
' » Le ip , à 5 heures du matin, tous, d’un commun accord, nous nous
disposâmes à rejoindre la corvette. MM. Railliard et Bonnet gravirent
sur une des dunes voisines, et après avoir jeté un coup d’oeil autour
d’eux, ils jugèrent que nous étions beaucoup plus loin de notre camp
que nous ne l’avions cru d’abord, et décidèrent que nous devions faire
route au Nord - Est pour y arriver par le plus court chemin; ils se dirigèrent
en conséquence de ce côté, en nous engageant à les suivre. C’étoit
bien mon intention ; mais je voulois m’assürer , avant de quitter ce lieu,
s’il ne seroit pas possible d’apercevoir les limites de l’étang dont nous
avions fort long-temps prolongé les rives. Parvenu au sommet le plus
élevé de fa dune, je crus reconnoître l’endroit de notre première halte.
MM. Railliard et Bonnet étoient déjà à quelque distance de nous : je
leur fis part à haute voix de mon opinion ; mais je n’entendis pas leur
réponse. Je m’approchai alors des bords de l’étang, et me confirmai de
plus en plus dans ma première idée. Voici l’endroit où nous étions hier,
dis-je à M. Gabert, qui le crut comme moi : et dès-lors il nous parut
essentiel de constater la réalité du fait ; car si nos conjectures eussent
été fondées, deux heures nous auraient suffi pour rejoindre le camp.
Nous n’avions plus rien à boire , et à peine nous restoit-il encore le tiers
d’un biscuit et une demi-once de sucre, pour notre nourriture commune,
Nous . regardâmes encore quelque temps autour de nous , tout
en cheminant dans la direction qui nous paroissoit être la meilleure;
mais, comme si tout devoit compléter notre illusion , un étang desséché,
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r i n c l u s i v e m e n t . 46 3
de forme circulaire, et parfaitement semblable a lun de ceux que nous
avions -traversés, vint s’offrir à nos regards. Persuadés dès-lors que nous
étions dans la voie, et que nos compagnons de voyage s’égaroient, nous
tirâmes un coup de fusil, signal convenu pour le cas de séparation. J ai
su depuis que MM. Railliard et Bonnet entendirent I explosion , et qu ils
y répondirent; mais aucun son ne frappa nos oreilles. Le meme signal
fut répété par nous à diverses reprises, et toujours inutilement. Ce fut
en vain aussi que nous suivîmes une route oblique, dans I espoir de rejoindre
plutôt nos compagnons : hélas ! après une heure d’une marche
précipitée et pénible , nous vîmes qu’il falloit renoncer tout-à-fait à 1 espoir
de nous réunir à eux. Obligés, par l’épaisseur des broussailles, de
faire un grand circuit, nous fûmes bientôt incertains.sur la direction qu’il
falloit suivre. Quant à moi, j’ignorois entièrement le gisement, par rapport
à nous/de la baie de Dampier, où notre corvette se trôuvoit au
mouillage; M. Gabert navoit non plus, à cet égard , aucune donnée positive.
Avant notre séparation, M. Railliard nous avoit indique-le Nord-
Est comme étant le côté vers lequel nous devions tendre; la difficulté
fut de nous conformer à ce conseil. Les obstacles insurmontables qui
se succédoient à chaque instant, nous obligeoient à faire mille détours
et à revenir sans cesse sur nos pas. Enfin, après avoir marché jusquà
deux heures et demie du soir, nous aperçûmes une vaste étendue d’eau
que nous primés d’abord pour la mer : c’étoit une erreur qui ne fut pas
de longue durée, car nous eûmes bientôt la douleur de reconnoître le
même étang que nous avions déjà vu et longé en partie.
» La chaleur étoit forte, et la soif nous tourmentoit beaucoup : j’avois
eu la précaution de me munir de quelques morceaux d’acide citrique ; cet
acide, ' mis dans la bouche, nous rafraîchit un instant, et détermina
l’afflux de la salive ; mais bientôt il occasionna sur notre langue une impression
brûlante fort pénible. Vers les quatre heures , je tuai une mauve
blanche, que j’ouvris aussitôt: son sang parut tromper un instant notre
soif ; mais nous n’eûmès pas le bonheur qu’avoit eu M. Riche, naturaliste
du voyage de d’Entrecasteaux, qui, égaré à la terre de Nuyts; en 1 7512,
sur le même continent, rencontra unë source d’eau douce, sans laquelle
ij. eût probablement succombé.