
plus que des idées tristes et fatigantes : la pensée se porte avec effroi sur
le sort des navigateurs qu’un pilote inhabile ou la tempête pourrait faire
naufrager sur cet affreux rivage; on semble partager les angoisses du
malheureux qui, échappé à la fureur des vagues, périt sous la dent venimeuse
des serpens ou du féroce crocodile. Tout-à-coup le vent, qui a
fraîchi, vous fait doubler un cap ; et de même qu’au théâtre le jeu des
machines transforme en un clin d’oeil le désert le plus aride en un jardin
fleuri, presque aussi rapidement la nature fait ici apparoître successivement
à vos yeux ses plus hideuses horreurs et ses beautés les plus magnifiques
et les plus suaves. » ( M . Gaudichaud. )
De forts courans, portant à l’Ouest, nuisirent notablement à notre
route ; en sorte qu’il ne nous fut permis de doubler Gouia-Batou que le
2 6. Naviguant entre cet îlot et Timor, nous pûmes apercevoir, par conséquent,
au fond d’une baie agréable et peu profonde, la petite ville
de Sétérana, bâtie sur la limite des possessions hollandaises'et portugaises.
Le 2 7 , nous passâmes devant la rade de Léfao. En cet endroit, le
rivage a un aspect enchanteur : là ce sont des touffes de verdure qui contrastent
fortement avec la couleur jaunâtre du sol ; ailleurs, des bois de
mélaieuca qui projettent autour d’eux, par la teinte blanchâtre de leurs
troncs, des nuances modifiées elles-mêmes par Jes reflets du soleij couchant.
Tous ces objets, dessinés en quelque sorte sur un fond sombre formé
par le massif des montagnes, composoient un admirable tableau, que la
marche du navire et la nuit vinrent bientôt soustraire à nos regards..
Nous distinguâmes, le 28 , l’établissement portugais d’Atapoupou,
voisin de-Batouguédé, et fûmes fort surpris d’y voir flotter le pavillon
hollandais ; .particularité dont nous n’eûmes l’explication que pendant
notre séjour à Dilié.
Le 29 vit cpmmencer pour nous une des plus longues et des plus
déplorables séries de difficultés que nous ayons éprouvées pendant le
voyage. Lorsque nous fûmes parvenus à la partie la plus étroite du canal
d Ombai, les courans redoublèrent de violence, et les brises devinrent si
foibles ou si contraires, qu’on peut dire avec justesse qu’à peine suffi-
soient-elies pour nous faire regagner le chemin perdu pendant le calme.
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r in c l u s iv e m e n t . 5 0 x
A la vérité, nous étions soumis à l’influence des marées; mais le jusant,
qui portoit à l’Ouest, étant beaucoup plus fort et de plus longue durée
que le flot, nous n’en pouvions tirer aucun avantage, puisqu’il nous étoit
impossible de mettre à l’ancre : si à cet état de choses on ajoute que le
calme s’établissoit généralement lorsque le courant renversoit du côté
de l’Ouest, on concevra fort bien le peu de succès de nos efforts pour
nous avancer dans le sens de la route que nous voulions faire. Ces contrariétés
furent pour nous d’autant plus insupportables, que la chaleur
étoit extrême, et que la dysenterie , maladie cruelle contractée à .Coupang
, faisoit à bord de plus rapides progrès. Nous restâmes dans cette
situation pénible pendant dix-neuf jours !
Le défaut de vent nous retenant, le 2 novembre, près des rivages
d’Ombai, je ne pus résister au désir de faire visiter la partie la plus voisine
de cette île, dont l’aspect étoit d’ailleurs fort gracieux. MM. Bérard,
Gaudichaud , Gaimard et Arago , chargés de cette mission, partirent dans
le grand canot, abordèrent heureusement au village de Bitouka ( voye¿
pl. 1 5 ) , et furent de retour à bord vers les onze heures du soir. Cette
petite excursion, dont je rendrai compte dans le prochain paragraphe,
eut tout le succès que nous pouvions en attendre, et fut pour nous un
motif de distraction agréable.
Le 3 , le navire baleinier l’Océan, de Londres, quittant le mouillage
de Batouguédé, d’où il nous avoit aperçus le 28 octobre, manoeuvra
pour se rapprocher de nous : son capitaine, M. Benjamin Hammat, vint
bientôt à bord de ïUranie. Occupé à faire la pêche de la baleine dans
ces parages, il en connoît fort bien les principales localités : aussi obtins
- je de sa complaisance un assez grand nombre de renseignemens,
tant sur les opérations qui faisoient l’objet spécial de son voyage, que sur
le littoral de Timcr et d’Ombai. Nous profitâmes de l’inaction forcée à laquelle
nos navires furènt souvent réduits, pour nous visiter mutuellement
plusieurs fois ; notre navigation eut lieu de conserve jusque devant Dillé.
Dans les mers qui environnentles îles à épices, Timor, et cette portion
de l’Océan qui gît entre l’archipel d’Asie et les côtes de la Nouvelle-
Hollande, dit Crawfurd ( 1 ) , abonde le cachalot nommé improprement
(1) History o f the Iridian archipiélago, by John Crawfurd, tom. III.
Novembre.
Peche
de la baleine.