
l’établissement de l’appareil, ainsi que les tentes destinées aux personnes
préposées a ce service, comme à celui de l’observatoire, que nous avions
également tant de hâte de voir établi.
M. Labiche , auquel le commandement de cette embarcation fut
dévolu, éprouva de grandes difficultes pour descendre à terre, par suite
du peu de profondeur de la mer : il fallut se mettre à l’eau ; en sorte que
lui et ceux qui l’accompagnoient eurent beaucoup à souffrir du froid
tres-vif qui se fit sentir après le coucher du soleil. Onze heures et demie
du soir étoient sonnées, quand la chaloupe put accoster le rivage et y
déposer les divers objets dont elle étoit chargée.
Le 1 5 , dès la pointe du jour, les ouvriers allèrent à la recherche des
matériaux nécessaires à l’établissement projeté, tandis que M. Labiche
parcouroit les environs pour découvrir l’emplacement qui lui seroit le
plus favorable. Ce devoir accompli, il revint à bord, laissant la direction
du camp à M. Pellion. Mais, au milieu du jour, lorsque ce dernier ,
retiré dans sa tente, cherchoit à prendre quelque repos, il fut tout-à-
coup réveillé par la sentinelle, qui vint le prévenir qu’üne troupe de
sauvages se montroit sur la crête de la falaise adossée à notre camp. « Je
me rappelai en ce moment, raconte M. Pellion, ce que de modernes
voyageurs ont écrit sur les habitans de cette terre inhospifaiière, et j’étois
loin de penser que j’aurois affaire à des êtres timides, n’exerçant leurs
armes que sur les foibles animaux dont ils font leur nourriture. Je me
figurois des hommes audacieux et cruels, dans des attitudes fières,
accompagnées de gestes menaçans.
» Plein de ces idées , je sortis de la tente avec M. Gaudichaud ; et
nous préparâmes nos armes pour nous défendre vigoureusement, dans le
cas où nous y serions forcés, après être convenus toutefois de ne faire
feu quà la dernière extrémité : j’intimai mes ordres en conséquence aux
hommes de notre escorte. Ces dispositions prises, nous considérâmes attentivement
les gens auxquels nous avions à faire face : ils étoient au nombre
de neuf, absolument nus, armés de sagaies et de casse-têtes: ils crioient
tous a-la-fois dans un langage que nous ne pouvions comprendre ; et
en nous montrant la corvette, leurs gestes assez expressifs et les mots
iou... cana.... cana.'... anana assez uniformément articulés par eux ,
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r in c l u s iv e m e n t . 4 5 1
nous intimoient évidemment l’ordre de nous y retirer. Aux signes d’amitié
que nous leur faisions, les cris recommençoient de plus belle. Ne sachant
comment les calmer, nous imaginâmes de danser en rond; ce témoignage
de gaieté, non équivoque chez tous les peuples, nous réussit à
merveille; car nos sauvages se prirent aussitôt à rire et deux dentre
eux à danser comme nous.
» Nous jugeâmes dès-lors qu’ils n’avoient pas d’intentions hostiles , et
leur offrîmes une bouteille pleine d’eau et de vin , a laquelle nous
joignîmes du lard et un morceau de fer-blanc. Le tout fut déposé, suivant
leur indication, au milieu de l’espace qui nous séparait ; ils nous
engagèrent ensuite à nous retirer, pendant qu un des leurs iroit prendre
nos présens.; ce que nous fîmes, mais pas à une aussi grande distance
qu’ils paroissoient le desirer : en cela, je ne crus pas devoir les satisfaire
, et persistai à me tenir assez près du camp pour que je pusse, en
cas de surprise, y arriver plutôt qu’eux. Vainement, afin de mieux détruire
leurs craintes, affectâmes - nous de quitter nos armes, de nous
coucher par terre, rien ne put les engager à se rapprocher davantage.
Nous fîmes flotter aussi des mouchoirs blancs en signe de paix, ce qui
les fit rire. Enfin, las de ces tentatives infructueuses, chacun de nous
reprit ses occupations, sans'négliger néanmoins de surveiller nos méfîans
spectateurs : peu à peu ils cessèrent leurs cris et s’assirent presque tous
en silence, mais enrienant toujours leurs regards fixés de notre côté.
» Pendant ce temps de repos , l’un d’eux frappoit sur une de ses sagaies
avec un bâton : les coups étoient cadences, comme le seraient ceux dune
de nos marches de tambour; un autre siffloit bien distinctemènt un air
analogue à ceux de nos palfreniers; d’où nous avons conclu que ce peuple
a naturellement l’oreille musicienne.
» Ce ne sont pas les seules remarques avantageuses que j aie faites
sur ces misérables habitans. Leurs gestes sont très-expressifs et accompagnent
parfaitement le son de leur voix. La bonne intelligence m’a paru
régner parmi eux; et lorsque leur nombre se fut augmenté d’une femme
avec son nourrisson , je crus m’apercevoir que ces deux êtres plus foibles
étoient traités aussi avec plus d’égards. La mère portoit son enfant derrière
le dos; il nous sembla même qu’il étoit caressé par les hommes.