
portions et sa belle prestance, et qui, comme ses jeunes compagnes,
cherchoit à éviter nos regards, attira mon attention particulière : je voulus
être le premier à lui offrir des perles fausses, des bagues, et autres bijoux
de la même nature, que ses grands yeux noirs sembloient convoiter. Sur
ces entrefaites, M. Fabré, qui l’avoit distinguée aussi, se débarrassant
de la foule où des opérations mercantiles favoient engagé, s’empressa
d’accourir et de lutter avec moi de générosité pour plaire à cette
Vénus timorienne: les perles les plus riches en couleurs, tout ce qu’il
avoit de plus joli parmi ses articles d’éçhange, rien n’étoit assez beau
pour parer le cou, les bras et les doigts de 1 objet de notre commun
hommage...
" Le père, ou peut-être le maître de cette charmante fille, lui dit
quelque chose à l’oreille que nous ne comprîmes pas d’abord, mais qui
lui fit prendre un petit air boudeur qui i’embellissoit encore à nos yeux ;
peu après les mêmes mots lui furent de nouveau adressés avec un ton
plus sec et plus impératif, que répétèrent à l’envi divers autres individus
des derfx sexes : nous vîmes alors la jeune fille abaisser un peu
sa pagne, et se découvrir ainsi davantage le sein. Elle ne rougissoit pas,
sa couleur naturelle s’y opposoit; mais sa physionomie exprimoit d’une
manière touchante le trouble de la pudeur offensée. Il étoit évident-dès-
lors que l’ordre réitéré avec tant d’insistance , n’avoit eu d’autre but
que d’exiger d’elle cette complaisance indécente : une nouvelle-particularité
vint, peu de temps après, achever de nous en convaincre.
» Quelques vieilles femmes ayant remarqué l’impression agréable que
les charmes de cette jeune fille avoient produite sur nous, ne tardèrent pas
a en amener d autres ayant la gorge presque entièrement découverte, et
elles esperoient sans doute qu éblouis a 1 aspect de tant de charmes étalés
a nos regards, nous donnerions a notre générosité un nouvel essor, et
que celles-ci obtiendraient d’aussi riches cadeaux que ceux dont nous
avions comblé leur belle compagne. Mais ce groupe de jeunes nymphes,
d ailleurs fort gentilles, nous parut tout au plus digne de composer la
cour de la déesse qui venoit de recevoir nos offrandes. Quoi qu’il en soit,
il étoit aisé de reconnoître, à tout ce manège, qu’il ne tenoit qu’à nous
d acquérir a juste prix le droit de jeter le mouchoir; et en effet, dès que
LIVRE II. — Du B r é s i l a T im o r i n c lu s i v e m e n t . 4 ? 5
nous eûmes pris congé de cette population officieuse, le père de.notre
adorable Timorienne vint nous accoster, e t, par des signes non équivoques
, fit comprendre qu’il nous la livrerait si nous lui donnions un
fusil. »
La guerre que soutenoient les Hollandais contre le souverain d’Ama-
noubang, avoit nécessité, près de Coupang, l’établissement d’un camp
assez considérable, auquel chacun des rois alliés de la Compagnie avoit
été obligé d’envoyer son contingent et de venir lui-même à la tête de ses
troupes. L’un d’eux, chef du royaume de Denka, sur l’île Rottie, étoit
de ce nombre; mais forcé de quitter l’armée par raison de santé, il étoit
revenu à Coupang , accompagné du raja de la petite île Dao (i) et de
quelques-uns.de leurs officiers. Le 1 6 , M. Tielman nous engagea à
venir faire visite à ces deux princes. : nous les trouvâmes réunis dans une
même maison fort modeste, construite selon l’usage du-pays.
Le raja de Denka, qui se nommoit Bao, étoit vêtu d’une grande robe
d’indienne, et avoit pour marque distinctive de sa dignité, une .canne
de jonc à pomme d’or ; il étoit âgé de cinquante ans , bien fait, d’une
physionomie douce et prévenante, et paroissoit doué d’une très-robuste
constitution.
Kotté, son fils aîné, en costume de guerrier, portoit deux bracelets en
cuivre, un gilet rouge, deux gros colliers en or, un sabre élégant, et un
fusil double dont les canons se vissoient sur la culasse. Son second fils
Mano l’accompagnoit aussi, et étoit un de ses ministres. Ce dernier,
d’une physionomie spirituelle, répondoit avec précision aux diverses
questions que noua lui adressions par l’organe de M. Tielman; car le
malais que l’on parle à Coupang ne lui étoit pas familier. Nous obtînmes,
dans cette conversation, divers renseignemens intéressans qui trouveront
leur place plus tard dans d’autres divisions de cette histoire.
Bao, dit-on, étoit dans sa jeunesse d’un caractère violent, emporté,
cruel; mais craignant que de pareils défauts ne lui fissent commettre des
injustices, il abdiqua le souverain pouvoir en faveur d’un de ses frères.
Cependant, par la suite , les Hollandais ayant été mécontens du prince
régnant, forcèrent Bao à reprendre la couronne ; et depuis lors, le peuple
( i ) Voye%pl. i 5, par io° 34* de latitude.