
l8l8.
Novembre.
§. IV .
Séjour à Dtllé.
A peine eûmes-nous mis à l’ancre, Je 1 7 novembre, que j’envoyai un
de mes officiers saluer le chef de la colonie, et lui faire connoïtre, avec
l’objet de la mission de I Uranie, la nature des besoins qui motivoient
notre relâche. Les salves d’usage eurent lieu, le lendemain, en l’honneur
des pavillons de nos nations respectives ; et après avoir reçu nous-mêmes
un officier d’ordonnance portugais, chargé de nous complimenter sur
notre arrivée, nous allâmes tous en corps faire visite au gouverneur,
D. José Pinto Aicoforado d’Azevedo e Souza, qui nous accueillit avec un<i
extrême politesse, et me promit de fkire réunir, avec toute la célérité
possible , les objets de ravitaillement dont nous avions besoin.
Le ip , de bonne heure, quelques observations magnétiques eurent
lieu à terre; plus tard je me rendis chez le gouverneur avec ceux de
mes compagnons de voyage qui, comme moi , avoient été invités à y
dîner. Lorsque nous mîmes le pied sur le rivage, notre courtois gouverneur
nous fit saluer de six coups de canon; lui-même, avec une
partie dé ses officiers, vint au-devant de nous, accompagné d’énormes
parasols que portoient des esclaves, afin quehous pussions arriver jusqu’à
sa demeure sans être trop incommodés par un soleil brûlant.. ( VoyeZ.
planche 30.)
Les avenues du palais étoient élégamment ornées de feuillages et de
fleurs. Nous traversâmes d’abord, au bruit de la musique, une grande
cour plantée d’arbres et toute entourée de jardins. La troupe étoit sous
les armes et formoit la haie; le costume des soldats, dont on peut
prendre une idée sur la planche qui vient d’être citée, ne fût pas ce qui
nous parut le moins remarquable. Arrivés dans le salon, nous vîmes
réunies les dames les plus notables de la colonie : c’étoient les femmes
d’officiers portugais, toutes filles de rajas ou issues des grandes familles
de race pure ou mélangée, et dont le teint basané l’étoit par conséquent
plus ou moins. La plus jolie et la plus jeune d’entre elles, Dona Joanna,
LIVRE II. — Du Bré sil 1 Timor inclusivëment. 5 17
dont on peut voir le portrait, planche 1 7 , étoit l’épouse du capitaS
mor D. Francisco de Assis. Monteiro Terras DuraS, second de la colonie,
et commandant de la province de Bellos; elle étoit née à Timor. Toutes
ces dames étoient richement vêtues à: la mode portugaise, c’est-à-dire ,
à-peu-près comme on s’habilloit en France il y a quarante du cinquante
ans : leurs cheveux, descendant à plat sur le front, étoient retroussés par
derrière en chignon flottant, et. attachés! *sur la tête avec de grandes
épingles d’or ; elles portoient aussi au cou des chaînes du même métal.
Auprès de chacune d’elles, une esclave accroupie tenoit. un mouchoir
et le sac à bétel obligé. La plupart de ces suivantes Choient jolies, richement
vêtues à la timorienne, et parées de chaînes et. de bijoux,d’or.
Toutes étoient pieds, nus : mais leurs maîtresses, qui probablement
suivoient le même usage, les jours ordinaires,, s’étoient chaussées ce jour-
là; et elles en paroissoient fort embarrassées. Indépendamment des bas,
elles avoient des mules brodées en paillettes ou en soie de couleur.
Présumant sans doute que leur toilette ne devoit avoir à nos yeux rien de
ravissant, ces dames nous dirent qu’elles avoient fait de grandes demandes
d’objets de mode à Macao, et qu’elles les attendoient d’un instant à l’autre
avec tant d’impatience, que la vue de ïUranie leur avoit fait battre le
coeur, pensant que ce pouvoit être; le vaisseau désiré.
Un dîner splendide, d’environ quarante couverts, nous fut servi,
partie à la portugaise et partie à la manière anglaise., Une grande profusion
de viandes et de ragoûts composa les deux premiers services ; on
y fit succéder un très-beau dessert, qui consistait en pâtisseries variées, en
confitures de Chine, en fruits superbes et excellens , entre autres les
mangues et les ananas, supérieurs, pour la saveur et le parfum, à aucun
de ceux que j’eusse déjà mangés, même à. l’Ile-de-France et au Brésil.
La vaisselle Ut les cristaux qui décoraient la table étoient dignes du reste :
un air de grandeur régnoit par-tout ; les esclaves des deux sexes étoient
nombreux et servoient bien. On porta avec du vin de Madère les santés
des rois de France et de Portugal ; le canon fut tiré à chacun de ces
toasts , et des musiciens jouèrent pendant tout le. repas.
Lorsqu’on eut dîné, le gouverneur, qui est aimable et fort gai, proposa
de danser ; tout le monde paraissant goûter la proposition, nous