
souffrir, et nous n’y pensions déjà plus une demi-heure après notre retour
à bord. »
J ’ai dit que, depuis le 1 6 septembre, les sauvages ne s’étoient plus
montrés à nous, ce qui s’accordoit bien mal avec l’envie que nous
avions tous d’étudier leurs moeurs et leurs usages. L ’ardeur de M. Gai-
mard ne put s’accommoder plus long-temps de cette absen.ce, et il résolut
d aller chercher lui-même les indigènes en s’avançant vers l’intérieur de
la presqu’île. Son but principal étoit d’examiner avec attention leurs
divers moyens de subsistance, et de constater sur-tout s i, comme nous le
présumions, 1 eau de mer étoit leur boisson habituelle..«En conséquence,
il descendit à terre le 18 , armé d’un fusil de chasse, d’un sabre et de
deux pistolets de poche. MM. Gabert , Railliard, et Bonnet, maître
d’équipage, tous également bien armés, se joignirent à lui; et au milieu
du jour , ces messieurs s’éloignèrent de nous : ayant projeté d’effectuer
leur retour le lendemain matin de bonne heure, ils crurent ne devoir
emporter avec eux qu’une très-petite quantité de vivres.
Le ip , MM. Railliard et Bonnet revinrent seuls de leur course aventureuse
, et nous apprirent que leurs compagnons s’étant séparés d’eux
au milieu des dunes, ils ne pouvoient fixer précisément l’instant de leur
retour. Nous les attendîmes vainement pendant la journée entière; mais
le 20, de grand matin, ne les voyant point paraître encore, et concevant
sur leur compte les plus justes inquiétudes, je fis partir quelques
personnes pour aller à leur recherche. M. Ferrand fut le chef de ce petit
détachement, auquel voulut bien aussi se joindre notre dessinateur,
M. Arago, et maître Bonnet eut ordre de les diriger sur les traces qu’a-
voient suivies d’abord nos voyageurs égarés. Deux matelots, chargés d’une
ample provision de vivres, emportèrent aussi les vétemens et tous les
autres objets qu’ôn présuma devoir être de quelque utilité.
Le jour se passa dans une perplexité extrême; et à la nuit, aucune
nouvelle ne nous étant encore parvenue, nous nous attendions aux plus
affreuses révélations, quand tout-à-coup l’explosion d’une arme à feu,
partie du sommet de la dune, attira de ce côté nos regards. Nous aperçûmes
alors nos malheureux amis ayant presque l’air de spectres, tant les
besoins et la fatigue avoient altéré-leurs traits. Chacun s’empressa
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r in c lu s i v e m e n t . 4 6 1
autour d’eux; et après leur avoir prodigué les soins suggérés par l’affection
la plus cordiale, on voulut connoître le détail de leurs aventures.
Us n’avoient point aperçu le détachement qui étoit allé le matin à leur
recherche, ce qui avoit malheureusement prolongé, pour eux, un état
de perplexité et de souffrances. Écoutons M. Gaimard.
« A notre départ, le ciel étoit couvert, dit-il, et nous promettoit une
course exempte des vives chaleurs que l’on éprouve si fréquemment sur
cette terre sablonneuse. Parvenus au sommet d’une dune qui se prolonge
parallèlement à la côte, nous aperçûmes au loin un des étangs Mont-
bazin, et r,As dirigeâmes nos pas de ce côté. D’épaisses broussailles
rendirent la trajet difficile et nous obligèrent à faire de nombreux
détours. Plusieurs étangs de formes et de dimensions, variées, dont
quelques-uns étoient à sec et avoient du sel sur leurs bords, se présentèrent
à nos regards : à 2 heures, nous nous arrêtâmes près d’une
de ces lagunes pour prendre quelque nourriture; puis nous nous remîmes
en marche. Chemin faisant, nous aperçûmes plusieurs cabanes , et les
empreintes récentes des pieds de leurs sauvages habitans : ces empreintes
avoient de o pouces 1 ligne à 10 pouces 1 ligne de longueur, sur une
largeur à-peu-près constante de 4 pouces. Un kanguroa grisâtre, de la
taille d’un gros lièvre, que nous reconnûmes facilement à l’inégalité de
ses jambes et à son mode de progression; de petits gobe-mouches, quelques
oiseaux de mer, les traces d’un quadrupède que nous jugeâmes être
un chien ; tels frirent les seuls indices d’animaux qui frappèrent nos
regOards.
» A 5 heures, le besoin de nourriture nous força à nous arrêter un
instant : un morceau de biscuit et un demi-verre d’eau et de vin composèrent
tout notre repas.
» Je proposai ensuite à mes compagnons de nous diriger vers l’isthme
Leschenault, et j’insistai, peut-être imprudemment, sur les avantages
que nous pourrions retirer de cette course, en fa prolongeant le plus
qu’il serait possible dans l’intérieur du pays. Le v if désir que j ’avois de
rencontrer les naturels, me fit perdre de vue que nos foibles provisions
de bouche étoient déjà presque entièrement épuisées. Je me rendis
néanmoins à l’avis plus prudent de nous borner à compléter le tour de
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