
C H A P I T R E X I V .
Traversée de Bourbon à la 'Nouvelle-Hollande ; séjour h la
baie des Chiens-Marins.
L U r anie , avons-nous dit, quitta ie 2 août la rade de Saint-Paui.
Apres avoir contourné i île Bourbon, elle s’avança jusqu’à ia hauteur des
vents variables, et fit route pour se rapprocher de ia baie des Chiens-
Marins, a fentree de laquelle elle jeta l’ancre le 12 septembre au soir.
L à , M. Gaudichaud prit note d’un fait vraiment digne d’attirer (attention.
Diverses troupes de jeunes baleines, jouant à la surface de l’eau,
s élançoient à 7 ou 8 pieds en l’a ir, et retomboient avec fracas ; ces
bondissemens vigoureux et réitérés faisoient écumer la mer à des distances
considérables.
Les réparations faites à, la corvette pendant son séjour à l’Ile-de-
France, nous ayant obligés à ia: démolition du fourneau de notre alambic,
on s’occupa de le reconstruire pendant la traversée. Privés des ouvriers
nécessaires à ia bonne exécution' de. ce travail , nous ne parvînmes
qu’avec beaucoup de peine à en installer d l nouveau toutes les parties.
Le travail toutefois se trouvoit terminé lorsque nous arrivâmes au mouillage;
mais la distillation navoit point encore été commencée, en sorte
que, par une singularité bien remarquable et peut-être unique dans les
fastes de la marine, nous venions aborder sur une terre aride et dépourvue
d eau douce, au moment où notre provision de cet indispensable
liquide éîoit entièrement épuisée. La sécurité cependant fut si grande
parmi l’équipage, que personne ne témoigna la moindre inquiétude;
on ne doutoit point que l’alambic ne pût abondamment suffire à notre
consommation, et cet espoir ne fut pas trompé : l’appareil, en effet,
allumé le soir même de notre mouillage, donna, pendant la nuit seulement,
au-delà de ce qui étoit nécessaire aux besoins de la journée.
Mon dessein étoit d’aller stationner à la rade de Dampier, au Nord
de la presquile Peron; mais avant de partir pour ce second mouillage,
je crus devoir envoyer une embarcation sur Dirck-Hatichs, et j’en donnai
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r 'i n c lu s i v e m e n t . 445?
le commandemant à M. Fabré. Cet officier, et M. Ferrand* qui le secon-
doit, eurent pour mission de fixer ia position géographique du cap Levii-
lain, et d’observer son gisement relativement a 1 île de Doore. Ils furent
chargés , en outre., de chercher et de,rapporter à bord la- plaque en étain
gravée que les Hollandais avoient laissée sur Dirck-Hatichs, à une
époque reculée : j’avois vu cette espèce de médaillé, en 1801 , lorsque
j’abordai sur cette île avec la corvette le Naturaliste.
Enterrée dans le sable, elle y fut, sans un hasard singulier , restee
éternellement ensevelie ; nous l’avions fait reclouer alors sur un poteau
neuf en bois de chêne; car notre commandant, M. Hamelin, auroit cru
commettre un sacrilège en la recevant à son bord pour la rapporter en
Europe (1). Je n’eus pas le même scrupule. Pensant qu’une plaque aussi
curieuse pouvoit être de nouveau engloutie dans les sables , ou bien
courir le risque d’être enlevée et détruite par quelque matelot- insouciant,
je jugeai que sa place naturelle étoit marquée dans un de ces
grands dépôts Scientifiques qui offrent a 1 historien de si riches et de si
précieux documens. Je la destinai en conséquence au cabinet de 1 Académie
royale des inscriptions et belies-Iettres de 1 Institut de France , et
j’ai eu l’honneur d’en faire la remise, ainsi que ie constate le procès-
verbal de cette illustre société, du 23 mars 1821 .
M. le docteur Quoy fit aussi partie de cette expédition sur Dirck-
Hatichs , dans le but d’explorer le pays sous le rapport de 1 histoire
naturelle. Je fixai à deux jours le terme de l’absence de ces messieurs,
et, le 1 3 , ils paîtirent dans la matinée. Peu de temps après , nous mîmes
à la voile nous-mêmes pour nous rendre au mouillage que j’avois désigné
pour le lieu de notre rendez-vous.
L’alambic du bord pouvoit, sans contredit, suffirë et au-delà à tous
nos besoins ; mais, ainsi que déjà j’en ai fait la remarque, il ne nous
restoit plus une seule goutte d’eau dansffa cale, et il me parut prudent
d’en distiller d’avance pour la traversée prochaine: à cet effet, j’engageai
notre pharmacien , M. Gaudichaud, à vouloir bien disposer à terre
un second alambic qui pût ajouter aux produits de celui du bord. .La
chaloupe, armée en conséquence, reçut tout ce qui étoit nécessaire à
(1) Voyez Péron, Voyage aux Terres australes, partie historique, t. I , chap. 10 (2? édition).
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