
avec une rudesse tout-à-fait incivile, nous annoncer son marché, et
nous prévenir qu'il falloit déménager promptement. Ce contre-temps
nous causa la plus grande perplexité; la difficulté de trouver un local
convenable à nos travaux nous fit faire un grand nombre de démarches
q u i , malheureusement, n’eurent aucun succès. MM.Taunay, fils du peintre
célèbre que l’Institut de France~compte dans son sein, ayant appris l’embarras
dans lequel nous nous trouvions, vinrent nous offrir, avec un
désintéressement et un empressement dignes des plus grands éloges , la
disposition d’une jolie petite maison de campagne qu’ils habitoient sur le
bord de la mer, au pied de ce même coteau de la Gloria sur lequel nous
nous étions d’abord établis. Quelque indiscret que cela dût paroître, il
nous étoit impossible de refuser cette offre obligeante; aussi, après
en avoir témoigné à MM. Taunay toute notre reconnoissance, nous nous
hâtâmes de faire transporter nos instrumens * à ce nouvel observatoire.
Dès le 28 , nous fûmes en mesure de reprendre nos travaux , et nous les
poursuivîmes avec constance jusqu’à la fin de notre séjour.
Pendant qu’à tour de rôle , les officiers de /’Uranie et moi, nous nous
livrions ainsi à nos .obligations, MM. Quoy, Gaimàrd et Gaudichaud,
chargés des recherches d’histoire naturelle, parcouroient le pays et fai.
soient de nombreuses et intéressantes collections. Une course d histoire
naturelle au Corcov.ado, montagne peu éloignée du point où nous nous
trouvions, ayant été résolue par ces messieurs, j’engageai M. Laborde
d’être de la partie et de prendre quelques hauteurs barométriques au sommet
de cette montagne, qui pussent, concurremment avec celles que
j’observerois moi-même au bord de la mer, servir à en déterminer l’élévation.
Cette petite expédition partit le 16 janvier, de bonne heure, dans la
matinée. M. de-Gestas, quoique un peu indisposé, eut la complaisance
d’accompagner ces messieurs et de leur servir de guide. « Quoique pe-
,, „ ¡b lé , dit M. Gaimard, cette course me satisfit extrêmement. En de
„ certains endroits de la montagne, nous trouvâmes un terrain glissant
„ que nous ne pûmes franchir qu’avec beaucoup de difficulté et en nous
„ tenant aux arbres et aux arbustes qui heureusement se rencontraient sur
,> notre chemin. Nous dominions sur le bel aqueduc de Rio de Janeiro,
» la source qui l’alimente, et les arbres majestueux qui l’entpurent; les
LIVRE I.er — D e F r a n c e a u B r é s i l in c l u s iv e m e n t . ' 3 3
» vallées et les collines étaloient de toutes parts cette végétation riche et -
» active, propre à ces' antiques forêts du Nouveau-Monde. Non, jamais,
» je l’avoue, un spectacle aussi imposant n’avoit frappé mes regards ,
» n’avoit rempli mon ame de sensations plus délicièuses ! »
On s’arrêta, pour déjeûner, sur le penchant de la montagne. « J ’ob-
» servailà, dit M. Gaudichaud, que le nègre qui accompagnoit M. de
». Gestas, mangeoit de la farine de manioc sans aucune préparation ni
» condiment. J ’en fis l’observation à M. le comte, qui me dit que ce genre
» de régal étoit très-recherché des nègres, mais qu’on le leur interdisoit
» autant qu’il étoit possible, parce qu’on avoit remarqué que l’usage de
» cette farine crue les faisoit dépérir. Il ajouta que les propriétaires étoient
» obligés d’exercer une surveillance active, très-sévère, pour empêcher
» leurs esclaves de satisfaire ce goût , nuisible à la santé. »
Les intervalles que nos opérations scientifiques nous iaissoient de libres
étoient employés à visiter la ville et les environs, à étudier les moeurs et
les usages des habitans, ou à recueillir les notes que des personnes dignes
de foi vouloient bien nous communiquer sur des objets que nous ne pouvions
pas observer nous-mêmes.
J ’assistai un jour à une fête religieuse qui eut lieu dans l’église de
Santa-Luzia (voyez pl. 3 ) , si toutefois on peut donner ce nom à une
réunion considérable de personnes qui ne paroissent s’être rassemblées
dans le lieu saint que pour voir, être vues et entendre de la bonne
musique. En général, les femmes ici ne sortent guère dé chez elles que
pour aller à l’église ï je ne dis pas que ce soit pour cela que les fêtes
y sont si fréquentes, mais elfes le sont extrêmement, et se célèbrent
presque toutes le soir. Ce qui paroît singulier , c’est que l’annonce
n’en est pas seulement faite par le son des cloches, mais par des feux
d’artifice qui se tirent en plein jour et à différentes fois. Je vis là beaucoup
de Portugaises qui me parurent médiocrement jolies; c’étoient néanmoins
pour la plupart des brunes piquantes : elles viennent à ces fêtes
d’église parées avec plus d’élégance que de modestie, et à-peu-près comme
elles le seraient pour le bal ou l’opéra ; ce qui rendrait croyable le parti
que les intrigues d’amour tirent, dit-on, de ces réunions. Mais ce qu’il y
a de plus frappant, à mon avis, pour une personne élevée en France, et
Voyage de VUranie. — Historique. £