
2 8 • VOYAGE AUTOUR DU MONDE.
géographique, sur iaqueile ii restoit encore d’assez grandes incertitudes.
Le lendemain , au coucher du soleil, nous aperçûmes, ainsi que je
m’y attendois, la terre en avant de la corvette. Nous nous en approchâmes
d’abord pour la bien reconnoître, et passâmes ensuite la nuit en
panne dans son voisinage, pour être mieux à portée le jour suivant de
fixer la longitude de ce point important. _
Le 6, nous prolongeâmes la côte comprise entre, le cap Frio et Rio de
Janeiro. L’aspect en fût pour nous d’autant plus agréable, que nous
étions privés de la vue de toutes terres, depuis plus d’un mois ; un ciel
pur et serein, un vent à souhait, des rivages offrant à chaque instant
des objets nouveaux, une végétation riche et brillante, des .paysages
magnifiques, tout, jusqu’à l’état même de notre ame, conspiro« à nous
faire éprouver des émotions aussi vives que profondes. Quelques-uns
d’entre nous voyoient pour la première fois le continent d’Amérique« les
noms des Christophe Colomb, des Pizarre, des Gatimozin et des Las-
Casas, présens à notre pensée, nous rappeloient à-ia-fois l’audace, la
cruauté, le courage stoïque et la charité admirable de ces hommes
fameux, dont les noms, recueillis par l’histoire, sont attaches a jamais
aux souvenirs de la découverte, de la conquête et des transactions européennes
avec le Nouveau-Monde. ■ _
Nous entrâmes enfin dans la baie de Rio de Janeiro, l’après-midi du
même jour, et l’on mouilla, à quatre heures, à peu de distance du fort
Villegagnon.
CH A P IT R E IV,
Séjour a Rio de Janeiro ( première relâche) .
A p r è s nous être occupés du salut (i),nous nous empressâmes de faire
les visites prescrites par l’usage ou par l’étiquette. M. Maier, notre consul
générai, me présenta particulièrement au Roi. S. M. daigna me recevoir
avec la plus touchante bonté; elle s’informa de l’objet du voyage de
l'Uranie, des pays que nous devions parcourir, des observations auxquelles
nous devions nous livrer, et ajouta qu’elle s’estimeroit heureuse
de pouvoir favoriser une entreprise aussi importante et qui devoit être si
profitable au progrès des connoissances humaines.
S’il est quelque chose qui, loin de son pays , soit propre à tempérer
l’amertume d’une longue séparation, c’est le charme d’un accueil rempli
d’afîàbilité et de grâce, tel que celui que nous firent ici M.me la
comtesse de Roquefeuil et M. le comte de Gestas , son neveu ¡(2). J ’avois
pour eux des lettres de leur famille, et ils me reçurent avec la parfaite
urbanité qui distingue par-tout les personnes bien nées. M. de Gestas
réunit à toutes les qualités solides et brillantes que peut procurer la meilleure
éducation, un caractère et des vertus plus rares que le savoir et
les talens. Sa société fut, pour moi, aussi aimable que précieuse.
Nous ne fûmes pas accueillis avec moins de bienveillance et d’intérêt
par une dame française dont le mari, M. Sumter, ambassadeur des États-
Unis au Brésil, nous combla lui-même des plus touchantes prévenances.
M. le comte d’Escragnole, et l’excellent abbé Boiret (3) sur-tout, sont au
nombre des Français que nous vîmes le plus souvent et avec le plus
de plaisir, pendant notre séjour à Rio de Janeiro. Je ne sais pas si les
( i ) En saluant la rade , nous eûmes le malheur de perdre un de nos canonniers. Le nommé
Merlino se trouva, on ne sait comment, à l’embouchure d’une caronade à l’instant où.Ie dernier
coup de canon ayant manqué à tribord, on ordonna de tirer au côté opposé. II tomba à
l’eau ayant la jambe cassée dans l’articulation du genou, et deux énormes brûlures aux cuisses.
Ce malheureux souffroit horriblement ; la pâleur de la mort étoit répandue sur sa figure : enfin
il expira six heures après l’accident et malgré tous les secours qui lui furent prodigués.
(2) Aujourd’hui ( 1825) chargé d’ affaires de la cour de-France au Brésü.
(3) Grand aumônier des armées de l’empire brésilien. _
1817»
Décembre.