
étrangers, lorsqu’ils se rencontrent sur une terre lointaine, ont autant
de satisfaction à se voir, entre compatriotes, que nous en éprouvions nous-
mêmes ; je ne le pense pas : mais les malheurs encore récens de notre
chère France entroient peut-être pour quelque chose dans cette fraternité
réciproque, qui, je n’en saurois douter, puisoit sur-tout sa source dans
des émotions analogues à celles que ressentoient les premiers chrétiens,
aux temps des persécutions, ou même après-ces époques déplorables,
lorsque, loin du sol natal, un heureux hasard les faisoit se retrouver.
Dès le lendemain de notre arrivée, j’avois fait des tentatives pour
découvrir un lieu convenable à l’établissement de 1 observatoire.- Je les
coùtinuai plusieurs jours de suite sans aucun succès ; circonstance d’autant
plus fâcheuse, que l’atmosphère, d’abord très-belle et favorable à nos
travaux, fut ensuite, jusqu’à la fin de la relâche, fréquemment pluvieuse.
Notre consul n’ayant pu, à cet égard, me donner aucune facilité, il dut
en résulter pour nous une perte de temps considérable et un prolongement
de séjour à Rio de Janeiro bien au-delà du terme que j’avpis fixé d avance.
Enfin, le 15 décembre, grâces à l’obligeante intercession de M. de
Gestas , nous obtînmes la jouissance d’une maison de campagne voisine
de la ville, que M.me la comtesse de Lignarès, veuve d’un ministre du
R oi, Voulut npus prêter.
Cette habitation, située sur le coteau de la Gloria, qui domine le faubourg
du Catete (1), a de grands appartemens et un jardin immense bien
convenables aux observations que nous avions a faire. On découvre de là
toute la baie , non moins admirable par son étendue toute parsemée dîles,
que par l’effet pittoresque des rivages et des montagnes qui l’entourent,
où la variété des sites est embellie par une riche et permanente-végétation.
Le transport de nos instrumens d’astronomie et de physique, et leur
installation, durent nécessairement employer plusieurs jours. Pendant
qu’on s’occupoit de , ces préparatifs nécessaires , M. de Gestas nous engagea
à aller visiter la belle propriété de Tijouca, qui! possède à une
lieue et demie de la ville (2). Le mauvais état des chemins , ordinaire-
(1) Situé vers la partie Sud de la ville de San-Sebastiao ou Rio de Janeiro. [Voyez pl. n.°2.)
(2) C’est, pris à vol d’oiseau, à 3 milles 1/2,et dans i’Ouest-Sud-Ouest environ du Gampo-
: Santa-Anna. ( Voyez pl. 2 et 3. )
LIVRE I .'r — De F r a n c e a u B r é s i l in c l u s iv e m e n t . 3 1
ment mal entretenus dans tout le Brésil, et, de plus, fort gâtés par les
pluies, rendirent notre marche un peu difficile; mais nous arrivâmes
bientôt dans une de ces belles forêts primitives où la hache n’a encore
été employée qu’afin d’y frayer un passage praticable pour un mulet
chargé. Des arbres majestueux, couverts de fleurs, entrelacés de lianes
épaisses, et dont la verdure est animée du chant de mille oiseaux tous
remarquables par l’éclat de leur plumage, me rappeloient parfaitement
ces scènes dé la nature, où, selon l’auteur d’Atala, la grâce' est toujours unie
à la magnificence. Ce n’étoient plus les difficultés du chemin , c’étoit l’admiration
qui retardoit mes pas; elle m’eut fait aisément oublier le but
de notre course si les/personnes avec lesquelles j’étois, plus familiarisées
que moi avec ce sublime spectacle; ne m’eussent entraîné vers une chute
d’eau voisine dont la beauté m’étonna.
La cascade de Tijouca est le produit d’une petite rivière et de quelques
ruisseaux qui entourent et arrosent la propriété de M. de Gestas, située
sur la hauteur. Nous allâmes parcourir les jardins, déjà agréablement dessinés,
et les parties du terrain que l’on a défrichées, où sont plantés du
café et d’autres végétaux utiles. Par la fraîcheur que procurent les- eaux
et l’élévation du sol, la qualité de l’air y diffère moins de celle des
pays tempérés que dans les plaines voisines; de sorte que l’on peut se
promettre d’y acclimater les productions de nos-provinces méridionales
de l’Europe. C’est à quoi travaillent, avec beaucoup de constance et de
succès, M. de Gestas et M.me de Roquefeuil, qui s’acquièrent, par-là,
des droits éternels et bien mérités à la reconnoîssance des Brésiliens.
Heureux les hommes, s’ils n’avoient d’autres vues, dans leurs établisser
mens lointains, que d’échanger ainsi mutuellement les bienfaits que le
Créateur a versés sur le globe !
Deux jours après cette promenade agréable, et tout étant disposé à l’observatoire
, nous commençâmes à nous livrer avec ardeur aux diverses
classes d’expériences qui faisoient l’objet principal de notre mission.
Mais nous n- étions pas au bout des, contrariétés dont nous avions déjà eu
tant à gémir. Un individu, jaloux sans doute de la tranquillité que nous
éprouvions, alla trouver l’intendant de M.me de Lignarès, et lui demanda
à louer la jolie habitation qui nous avoit été prêtée ; puis il vint lui-même,