
un grand nombre d’esclaves, avant même qu’ils puissent balbutier des
paroles de commandement, ils conservent en avançant en âge un caractère
entier et hautain , impatient de la plus légère contradiction : la
moindre résistance les irrite, la moindre offense excite en eux un ressentiment
implacable. Au reste, ces vices, qui sont ceux dé f’éducation et
de leur position sociale, n’excluent point les qualités du coeur : ils sont
bons, hospitaliers , généreux jusqu’à la prodigalité. On les dit un peu
trop enclins à 1 amour physique et aux infidélités conjugales. La danse,
la musique, lequitation sont les arts pour lesquels iis montrent le plus
dinclination. Us ont de 1 intelligence, de l’adresse, de l’esprit, et de la
facilité à s’instruire, mais peu d’aptitude aux travaux pénibles et à ceux
qui exigent de la constance ou une longue tension d’esprit. On fera d’un
créole un bon marin, mais rarement un bon charpentier; souvent même
l’état qu’il embrasserait par goût lui répugne, s’il y entrevoit quelque
obligation gênante.
Les femmes créoles sont douces, bonnes, aimantes, et nulle part on
ne trouverait de mères plus tendres, plus affectionnées, plus dévouées à
leurs enfans. Aux grâces du corps, elles joignent l’amabilité et la finesse
propres à leur sexe. Comme les hommes, elles cultivent avec prédilection
les arts d’agrément, et il en est plusieurs qui y excellent. Mais ic i ,
comme par-tout peut-être, les soins de la toilette tiennent à leurs yeux
le premier rang. Peu de dames se mettent avec plus de goût, aucune
avec plus de propreté, que les créoles. Elles adoptent avec empressement
les modes nouvelles ; 'mais elles ont le bon esprit de ne les point
suivre servilement et de les accommoder à leur figure. Il est vrai que
cet amour de la mode et de la parure va peut-être trop loin chez quelques
jeunes personnes : les fortunes ne sont pas égales à l’Ile-de-France , et
cependant on le croirait à l’uniformité qui y règne dans l’emploi de son
bien. Un père ne veut pas que sa fille soit moins élégamment habillée
que celle d’un voisin dix fois plus riche que lui; il se sacrifie pour soutenir
ce luxe, et l’accoutume de la sorte à ne rien avoir à desirer : aussi
murmure-t-elle ensuite, lorsqu’un époux économe refuse de tolérer à son
tour une dépense peu proportionnée à ses revenus.
Les mulâtres et les mulâtresses tiennent un peu, pour le caractère,
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r i n c l u s i v e m e n t . 395
des blancs créoles. Leur éducation.est fort négligée ; par suite , on compte
dans cette classe fort peu cH bons maris : aussi les blancs qui ont eu des
enfans avec des femmes libres , répugnent en général à marier leurs
filles avec de-pareils êtres. Fiers, paresseux, adonnés au jeu et aux
boissons spiritueuses, ils ont bientôt dissipé le peu d’argent que leurs
femmes apportent en dot. De tels, ménages sont rarement heureux, et
ceux qui font exception sont en petit nombre. Le blanc européen ou
créole est soutenu dans ses travaux par l’idée de retourner un jour dans
son pays originaire ou natal : le mulâtre, qui n’a point la même perspective;
cherche peu à amasser; il a des maîtresses, rend sa femme malheureuse,
et ne s’inquiète guère de l’avenir.
Bon, laborieux, propre aux travaux pénibles, quand il est bien nourri,
le Mozambique témoigne de l’attachement à sa femme et à ses enfans,
pour lesquels il se priverait de tout. Le Malgache, au contraire, s’imagine
que sa femme est obligée de travailler pour ju i. Les femmes de la première
caste^sont portées aux plaisirs de l’amour, mais beaucoup moins
que celles des Malgaches, qui s’y livrent avec une inconcevable fureur.
Les noirs, et même les-mulâtres libres, contractent facilement le vice
de l’ivrognerie; ceux qui boivent habituellement de l’arack (i), s ils ne
s’en privent pas de bonne heure, ne vivent guère au-delà de trente ans.
Les Indiens de la côte de Coromandel sont les seuls hommes de
couleur qui aient été introduits l ib r e s à l’Ile-de-France. Choisis en général
parmi- les gens de métier, tels que maçons, tailleurs, & c ., ce sont
eux qui ont peuplé la division de Port-Louis connue abusivement sous
le nom de Camp Malabar. La plupart ont pris les moeurs créoles ;
quelque familles seulement continuent de vivre et de s’habiller a 1 indienne.
Peu de femmes dans ce quartier vivent en concubinage avec
des blancs ou avec des mulâtres; elles se marient à-peu-près toutes :
aussi cette population augmente-t-elle beaucoup.
Nulle part peut-être la vanité de la mise n’exerce plus d’empire que
(i) Cette boisson, faite avec le jus de la canne à sucre distillé, est d un goût qui répugné dans
les commencemens : si l’on a le malheur de s’y habituer, on est perdu ; car il est ensuite très-
difficile d’y renoncer. On a vu des personnes mourir même, pour avoir voulu se sevrer de
cette boisson perfide.