
î» temps en proie à une forte oppression, à un râle déchirant, et s’é-
S teignit. »
M. Pràt-Bernon étoit fortement constitué; sur le point de partir, chacun
lui prédisoit une heureuse campagne et une longue vie. Mais qui peut
lire dans l’avenir, et qu’est-ce que la santé la mieux établie?... « une étincelle
qu’un souffle éteint, » nous dit le Racine de la chaire.
Nous eûmes le regret de ne pouvoir confier à la terre les dépouilles
mortelles de notre infortuné compagnon ; il fallut les abandonner à la
merci des flots : triste cérémonie qui eut lieu le soir du même jour, avec
les formes d’usage !
Cette mort inattendue, presque au début de la campagne, porta la
consternation dans tous les coeurs. Prat-Bernon étoit tendrement aimé de
tous ses camarades, à cause de ses bonnes qualités ; je regrettois de plus
en lui un officier d’une grande espérance, qui sans doute eût été l’un de
nos collaborateurs les plus précieux et les plus dévoués.
Pendant sept jours entiers, nous fîmes de vains efforts pour franchir le
détroit de Gibraltar, en louvoyant d’un bord à l’autre; les vents et les
courans contraires nous repoussèrent toujours, et rendirent nos manoeuvres
aussi inutiles qu’elles étoient multipliées et fatigantes. L’équipage, harassé
par des viremens de bord continuels, avoit besoin de repos ; je crus devoir
lui en procurer, et aller enfin attendre un temps plus propice , au
mouillage dans la baie que nous avions auprès de nous. Je me dirigeai
donc sur la rade de Gibraltar, où je laissai tomber l’ancre le 1 1 octobre,
à trois heures du soir.
En temps de paix, cette relâche est d’une grande ressource pour les navires
qui, de la Méditerranée, veulent passer dans l’Océan. Si les vents
sont contraires, ils peuvent y séjourner paisiblement jusqu’à l’arrivée d’une
brise favorable au trajet qu’ils ont à faire. Mais il est rare, à moins d’une
destination spéciale, que les vaisseaux qui suivent une direction opposée,
c’est-à-dire, qui vont de l’Océan dans la Méditerranée, veuillent s’y arrêter,
les vents et les courans qui les ont fait entrer dans cette dernière
mer, leur permettant toujours de continuer leur route.
Dès que ïUranie fut rendue au mouillage, e t , sur ma déclaration
qu’il n’existoit à bord aucun malade, on nous permit aussitôt la commu-
LIVRE I . er — De F r a n c e a u B r é s i l in c l u s iv e m e n t . i 5
nication avec la terre. Cette formalité remplie , nous ne tardâmes pas
à voir arriver le consul français, M. J . Yialé, qui vint s’informer de nos
besoins, et s’empressa ensuite d’y pourvoir avec autant d’obligeance que
de promptitude. Je ne lui demandai que quelques barriques d’eau (1) et
des rafraîchissemens pour l’équipage. M. Willam Sweetland, capitaine
de port, me fit faire aussi les offres de service les plus gracieuses H je fui
en témoignai ma gratitude, sans mettre toutefois sa complaisance à
l’épreuve.
J ’envoyai tout de suite un officier à terre pour complimenter le gouverneur
et traiter du salut : on ne put le voir, parce qu’il étoit à la promenade
; mais comme je fus informé qu’on avoit donné des ordres pour
que le salut nous fût exactement rendu, je fis faire j avant le coucher du
soleil, une salve de dix-sept coups de canon, à laquelle un des forts répondit
par un nombre égal de coups.
Le lendemain 12 , je descendis à la ville de bonne heure pour voir
M. Vialé, chez lequel j’acceptai un déjeuner offert avec une affabilité
parfaite. Sa femme, originaire de Toulon, d’où elle et les siens avoient
été obligés de se sauver à l’époque de la terreur, trois garçons et deux
filles charmantes, composoient son intéressante famille. Tout, autour
d’eux, respiroit la bonté et la candeur. Les courts instans que je passai
chez M. Vialé m’ont été trop agréables pour que je puisse les oublier
jamais.
On parloit français chez lui ; c’étoit la langue maternelle, dont l’attrait
est toujours si doux : mais l’anglais et l’espagnol y étoient également d’un
usage journalier; le premier de ces idiomes, à cause des relations continuelles
qu’on est obligé d’avoir avec les maîtres du pays; le second,
parce qu il est le plus répandu dans la ville, et celui que parlent communément
les domestiques, pour la plupart Castillans,
Sans être précisément consul de France en titre, M. Vialé en remplissoit
cependant toutes les fonctions depuis deux ans et demi ; et je puis ajouter
quil le faisoit avec autant d’habileté que de zèle, s’il est permis d’en juger
(1) Leau que nous avons embarquée à Gibraltar, quoique prise dans une citerne qui forme
la réserve des bâtimens de guerre anglais,.étoit d’assez mauvaise qualité. M. Gaudichaud en
a fait 1 analyse, qui sera présentée dans une autre division de ce Voyage.
1817.
Octobre.