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Juillet.
courses-(1), quoique l’intérêt de celles-ci fût encore augmenté par ¡’importance
exorbitante des paris.
Je navois pas encore aperçu ailleurs autant de mulâtresses : le luxe
quelles affichent passe toute mesure; il efface même souvent celui des
blanches. Ces mulâtresses, en général jolies , admirablement bien faites,
sont la plupart entretenues par des blancs jeunes ou vieux, et même ,
à la honte des moeurs, par des hommes mariés, qui portent chez ces
créatures une aisance dont parfois leur famille légitime est privée : les
exemples de ce désordre sont malheureusement trop multipliés. Les
blanches détestent les femmes de couleur; aussi la ligne qui les.sépare
dans toutes les cérémonies est-elle extrêmement tranchée : aux courses,
on appeloit la galerie brune, le côté où se tenoient ces dernières ; à l’église,
elles ont aussi des places distinctes; et les registres de l’état civil ne sont
pas les mêmes pour les blancs et pour ceux qui ne le sont pas. Ainsi, la
blancheur de la peau est ici une véritable noblesse, qui sépare plus que
ne le fait la noblesse d’extraction en Europe.
Par suite de l’enchaînement naturel des plaisirs , les courses furent
1 occasion dun bal auquel toutes les dames de Port-Louis se portèrent
avec empressement; et, malgré l’extrême chaleur, les salons se trouvèrent
de bonne heure encombrés de monde. Une quantité de fort belles
personnes, parées avec autant d’élégance que de goût, rendirent cette
réunion très-brillante.
Je ne parierai dune séance de fa Société d’émulation, à laquelle j’as-
sistai, qu’afin de rendre hommage au zèle des habitans pour le progrès
des connoissances utiles, et de manifester tout l’intérêt que cette réunion
d’hommes aimables et instruits m’a inspiré. On lui doit déjà d’importans
travaux; ceux qui ont pour objet le perfectionnement de l’agriculture
coloniale, ont mérité l’attention du gouvernement.
Vers les derniers temps de notre séjour dans cette île, nous adres-
(1) M. Peflion, en rendant compte, dans son journal, de ses propres impressions dans cette
circonstance, s exprime ainsi : « Les courses auxquelles nous assistâmes, sont bien, selon moi'p
la chose du nt.onde ia plus insipide et la plus mesquine. Trois ou quatre chevaux montés par
des hommes habilles comme polichinelle, sont les champions qui concourent au prix. J ’ignore
quel est ce prix ; mais j’ai jugé qu’il de voit être de peu de valeur, parce que les cavaliers ne
se pressoient guère de le remporter. »
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r i n c l u s i v e m e n t . 363
sâmes, sous le couvert du ministre de la marine , à MM. les professeurs
du Muséum d’histoire naturelle à Paris, plusieurs caisses contenant les
échantillons d’objets des trois règnes que l’expédition avoit recueillis
jusqu’alors.
J ’ai resserré le plus , qu’il m’a été possible le récit de particularités
dont le charme principal se rattache peut-être uniquement a nos sensations
personnelles ; mais pouvois-je me défendre de payer aux estimables
habitans de l’Ile-de-France ce léger tribut de la reconnoissance de mes
compagnons de voyage et de la mienne!
Enfin les réparations de lUranie venoient d’être achevées, le vaisseau
se rendoit en rade, et nous avions pris congé de nos amis, quand M. le
capitaine Purvis, commandant la frégate anglaise la Magicienne, nous
offrit un déjeûner à son bord, le 1 5 juillet, la veille meme du jour ou
nous devions appareiller : nous i’acceptames, avec le regret de n avoir
plus le temps de lui rendre la pareille. Ce prétendu déjeûner fut un
ambigu très-bien servi à trois heures après midi. Les officiers de ïUranie
étoient les seuls Français invités ; le reste des convives se composoit de
familles anglaises de la ville. Le repas fut gai, quoiqu’il y eût bien quatre-
vingts personnes; Mme Purvis, qui voyageoit avec son mari, en fit les
honneurs. La soirée se termina par un bal qui eut lieu sur le pont.
Je ne pourrois que difficilement peindre l’amertume de mes regrets,
lorsque le lendemain il me fallut quitter mon respectable ami, M. Smith :
il resta à bord jusqu’à ce que nous fussions sous voiles , et ce ne fut pas
sans verser des larmes que nous nous séparâmes. C’est une douceur
inappréciable que de rencontrer, dans un voyage tel que le nôtre, des
personnes de mérite; mais il faut s’en séparer : c’est le revers de la
médaille !
J ’avois été prévenu par M. le chef d’administration de l’île Bourbon,
que j’y trouverais dans les magasins du Gouvernement les vivres de campagne
nécessaires au ravitaillement de ïU ranie, sans qu’il fût nécessaire
de les acheter à grands frais à l’Ile-de-France ; nous dirigeâmes en conséquence
la route pour nous rendre dans cette colonie française.
1818.
Juillet.