
» qu aucuns de nous, en leur présence, abattoyent un oyseau de dessus
» un arbre, ou une beste sauvage au milieu des champs , parce princi-
» paiement qu’ils ne voyoyent pas sortir ny en aller la balle, cela
” esbahist bien fort les sauvages ; tant y a néantmoins qu’ayant cogneu
v. l’artifice, et disans ( comme il est vray) qu’avec leurs.arcs ils auront
» piustot delasche cinq ou six flèches , qu’on n’aura chargé et tiré un
« coup d’harquebuze, ils commençoyent de s’asseurer à l’encontre (1). »
» Des quil avoit lance une flèche, l’Ombayen se jetoit par terre, et
se couvroit de son bouclier, comme pour se mettre à l’abri des coups de
son adversaire : toutes ses fléchés étant épuisées, il quittoit son arc et
saisissoit son kris; alors, le bouclier d’une main, et cette arme redoutable
de 1 autre,, il selançoit avec rapidité sur son ennemi , en paroissant
lui porter dès coups térribles : tous ses mouvemens étoient impétueux et
assurés ; son oeil étinceloit ; on eût dit qu’il, ne respiroit que les combats
et le carnage.
» La cuirasse dont les guerriers se revêtent se nomme boou ; elle est
en peau de bufHe : percee, au milieu, d un trou pour le passage de la
tete, elle descend devant et derrière un peu au-dessous de la hauteur
des hanches, et offre ainsi l’image grossière d’une chasuble; sur l’une
et I autre face sont fixées horizontalement un assez grand nombre de
coquilles de l’espèce des petites porcelaines ; de plus grosses sont disposées
au bas en forme de bordure; quelquefois, au lieu de coquilles,
ce sont des morceaux d’os ou d’ivoire taillés en forme de dents. L ’Om bayen
dessiné par M. Arago, étant gaucher, portoit son bouclier à droite
et en arrière : ce bouclier, plus long que large-, avec une échancrure à
sa partie supérieure, étoit un morceau de peau de buffle desséchée et
dépouillée de tous, ses poils ; il se nommoit aussi boou.
» Les pointes des flèches'étoient ou en bois dur, ou en os, ou même
en fer. Ces flèches, étalées en éventail, étoient assujetties, au côté gauche
du guerrier, à la ceinture de son sabre ou de son kris.
» La plupart des habitans portoient fixées à la cuisse droite et à la
ceinture une multitude de feuilles de iatanier tailladées pour laisser passer
des bandes des memes feuilles, teintes, soit en rouge, soit en noir. Le
( 1 ) Voyage au Brésil, par Jean de Léry.
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r in c l u s iv e m e n t . 5 13
bruissement continuel produit par les mouvemens de ceux qui étoient
accoutrés de cette singulière parure, augmenté par le contact de la cuirasse
et du bouclier; le tintement des petits grelots qui sont aussi des
accessoires de leur toilette guerrière, tout cela faisoit un tel vacarme
que nous ne pouvions nous empêcher d’en rire : loin de s’en offenser,
nos Ombayens n’hésitoient pas à suivre notre exemple.
» M. Arago fit devant eux quelques tours d’escamotage qui les étonnèrent
beaucoup. Ils nous assurèrent quil n’y avoit aucun établissement
portugais ni hollandais dans leur île ( 1 ).
» Nous nous acheminâmes enfin directement vers le village de Bitouka,
situé sur une hauteur : deux routes y conduisent; les défians Ombayens
nous engagèrent à suivre la plus longue, tandis que, prenant eux-mêmes
la plus courte , ils arrivèrent avant nous à leurs habitations.
» Ayant aperçu, en passant devant une de leurs cases, une vingtaine
de mâchoires d’hommes suspendues à lavoûte, je témoignai le désir
d’en avoir quelques-unes , offrant en retour mes plus précieux objets
d’échange ; mais on me répondit : Pamali [cela est sacré]. Il paroîtroit
dès-lors que ces os étoient des trophées destinés à perpétuer le souvenir
de victoires remportées sur les ennemis.
» Les murailles, les voûtes et les planche^ des cabanes d’Ombai sont
Construits avec des feuilles de vacois, de Iatanier, de cocotier, supportées
par des tiges de bambou. L ’endroit où couchent leurs habitans est élevé
de plusieurs pieds au-dessus du sol, et l’on exhausse encore le lit au-
dessus de ce plancher ; dispositions que nous avions déjà remarquées
à Babao.
» Une poule, du miel, des mangues vertes et quelques cocos, furent
les seules provisions alimentaires qu’on nous offrit. Nous échangeâmes
nos couteaux, nos colliers et nos pendans d’oreilles contre des arcs et des
flèches ; mais il nous fut impossible de nous procurer des cuirasses et des
boucliers.
( 1.). II est possible que la question qui a amené cette réponse ait été mal comprise;, ou
peut-être Ies'habitans de Bitouka n’étoient-ils point parfaitement informés de l’état des chose*
sur tous les points de l’île qu’ils habitent. Ce qui est certain, c’est que les Portugais ont deux
râjâs d’Ombai sous leur dépendance, ainsi que nous le verrons plus particulièrement par la suite.
Ttt*