
d’après ce que j’ai été à portée de voir par moi-même. Dans cet intervalle,
quatre-vingts bâtimens français étoient venus mouiller à Gibraltar,
soit pour y décharger leurs marchandises , soit pour d’autres motifs. .
En réfléchissant sur l’importance de cette relâche, on trouvera sans doute
qu’il seroit fort à propos que la France y entretînt constamment un agent,
qui fût obligé, par devoir plus encore que par zèle, à veiller aux intérêts
de nos armateurs. Nous’ ne ferions que suivre en cela l’exemple des principaux
états de l’Europe. En effet, l’Espagne avoit à Gibraltar un consul
et un vice-consul; la Suède, la Russie, le Danemarck, la Hollande, la
Prusse, i’Autriche, les états de l’Église , les- Anglo-américains , Alger
lui-même, & c ., y avoient un consul : il y avoit aussi un agent des villes
Anséatiques.
Le gouvernement de Gibraltar est dévolu à un prince du sang d’Angleterre;
mais il n’y réside jamais. M. le général George Don en étoit le
lieutenant-gouverneur à l’époque de notre relâche, et le duc de Kent le
gouverneur titulaire.
Aussitôt que fut arrivé l’instant convenable pour faire visite à ce
lieutenant-gouverneur, l’état-major de ï Uranie se réunit à moi, et nous
partîmes tous, en corps, accompagnés du bon M. Vialé, pour nous
rendre au gouvernement.
Son Excellence habite dans un ancien cloître, vulgairement appelé le
Couvent. Nous fûmes reçus par elle dans un salon richement meuble a la
manière anglaise et décoré de quelques tableaux. La nature de notre voyâge,
dont je lui détaillai le but, fut naturellement d’abord le sujet de la conversation
, et fournit au général l’occasion de nous faire les offres de service
les plus obligeantes. II nous engagea à parcourir la montagne de Gibraltar,
qui, quoique d’une étendue assez restreinte, ne laisse pas d’offrir à
l’observateur de profonds et intéressans sujets de méditation.
Examiné dans ses rapports militaires, le point qui nous occupe est sans
contredit un des plus remarquables du monde. On y rencontre tout ce que
l’art le mieux entendu a pu imaginer pour augmenter -les dispositions nar
turelles de défense de ce fameux promontoire, et lui donner un aspect
formidable. Rien ne pouvoit nous être plus agréable que la permission
de visiter ces lignes de fortifications : le général l’ayant accordée,
LIVRE I.er — De F r a n c e a u B r é s i l in c l u s iv e m e n t . 1 7
voulut bien encore donner ordre à un officier du génie de nous accompagner
dans cette course, et de nous faciliter les moyens d’examiner tout ce qui
paroîtroit digne d’attirer nos regards.
' Lord Don nous parut être doué d’un esprit juste, de vues généreuses,
et s’occuper beaucoup des devoirs de sa place. Il nous parla des soins
qu’il apportoit à prévenir les rayages de la fièvre jaune, en faisant prendre
et traiter de suite, dans des lieux bien aérés, les individus attaqués de cette
maladie.
Sur un roc aussi stérile que Gibraltar, il ne pouvoft encourager l’agriculture;
mais, voyant que les Espagnols ses voisins laissoient en friche des
terrains susceptibles de devenir fertiles, il a obtenu d’en louer pour la
culture des pommes de terre, dont le rapport compense déjà les peines
qu’on s’est données. De même aussi, nous dit-il, avant lui on ne s’étoit pas
avisé que Gibraltar pût avoir de l’eau par le moyen des puits. II en a fait
creuser, et c’est de là qu’on retire la meilleure.
Vue de la rade, la ville, bâtie en amphithéâtre au pied d’une montagne
escarpée, offre un coup d’oeil ravissant : ses édifices ont un air de
fraîcheur et d’élégance qui fait oublier tout ce que le sol d’alentour a
d’aride et de sauvage. En parcourant son intérieur, on se confirme dans
l’idée que déjà l’on avoit pu s’en faire; et quoique ce soit une colonie où
les Espagnols forment la plus grande partie de la population, on remarque
presque par-tout une propreté que les Anglais ont soin et intérêt d’entretenir,
pour empêcher le développement des épidémies qui s’y manifestent
quelquefois et les rendre moins meurtrières.
De grandes rues, bordées de maisons agréables et peu élevées, de vastes
casernes et d’autres établissemens utiles, tout cela entremêlé de plantations
diverses, prouve ce que peut l’industrie de l’homme dans des lieux où la
nature sembloit se refuser à tout agrément.
Une jolie promenade . dessinée en jardin anglais, a été plantée à peu
de distance et en dehors de la partie méridionale de la ville. L à , mille
allées sinueuses et de différentes largeurs parcourent un éspaçe étendu et
s’élèvent à une assez grande hauteur sur le penchant occidental de la
montagne. Au-dessous, on découvre une batterie, la première que les
Anglais enlevèrent d’assaut lorsqu’ils s’emparèrent de Gibraltar ; c’est celle
Voyage 4e l* Uranie, — Historique. ç